L. Hachette et Cie (p. 245-248).

XCI

PERFIDIES DE DALILA — PORTES DE GAZA
MORT DE SAMSON

(Même année, 1135 ans avant J.-C.)



Après cette victoire éclatante d’un seul homme contre trois mille, Samson alla dans la ville de Gaza. Il y connaissait quelqu’un et il y coucha.

Les Philistins, ayant appris que Samson y était sans ses amis, voulurent s’emparer de lui à sa sortie de la ville ; ils fermèrent les portes, qui étaient en airain, très-grandes et très-lourdes ; ils mirent des gardes, pour saisir Samson quand il ferait jour et qu’il voudrait sortir.

Mais Samson, ayant été averti par un ami de ce qui se passait, se leva dans la nuit, arriva sans bruit aux portes de Gaza, les leva de dessus leurs gonds, comme si elles étaient en bois léger, les chargea sur ses épaules et les porta au haut de la montagne en face de celle d’Hébron.

Quand les Philistins virent le lendemain leurs portes enlevées disparues, ils furent dans une grande colère, car ils ne savaient plus comment s’y prendre pour se rendre maîtres de ce terrible Samson.

Quelque temps après, Samson eut la faiblesse d’épouser une seconde femme philistine.

Louis. Comment ! après avoir été si horriblement trompé par sa première femme et après avoir si bien connu ces coquins de Philistins ?

Grand’mère. C’est inexplicable. Le pauvre homme payera bien cher la faiblesse de son cœur.

Cette femme s’appelait Dalila, et elle fut chargée par les Philistins de découvrir le secret de la force de Samson ; elle l’essaya bien des fois en lui témoignant une grande tendresse, et Samson fit semblant bien des fois de lui avouer la vérité ; une fois il lui dit que si on le liait avec sept cordes mouillées, il perdrait toute sa force ; une autre fois, qu’il fallait une corde neuve qui n’eût jamais servi ; une autre fois, qu’il fallait lui partager les cheveux en sept touffes et nouer chaque touffe séparément avec une ficelle.

Chaque fois Dalila trahissait son mari, il s’éveillait entouré de Philistins qui voulaient le garrotter ; et chaque fois il en tuait une multitude, ce qui faisait enrager tous les autres.

Valentine. Mais comment s’est-il laissé attraper plus d’une fois par cette méchante Dalila ? Comment ne l’a-t-il pas tuée avec ses amis dès sa première tromperie ?

Grand’mère. Cela tenait au premier tort de Samson, d’avoir épousé une ennemie du Seigneur. Et au lieu de la tuer, il cherchait à la calmer, parce qu’elle se plaignait qu’il la trompât, qu’il n’eût pas confiance en elle ; elle pleurait, elle se fâchait, elle l’injuriait ; et lui, était faible comme un enfant auprès de Dalila, parce qu’il l’aimait sans savoir pourquoi. Elle ne méritait certainement que du mépris et de l’aversion.

Enfin, un jour, elle obtint de lui de connaître la vraie raison de sa force. Aussitôt qu’il fut bien endormi, elle fit venir un Philistin qui lui coupa adroitement les cheveux ; puis elle appela les Philistins, se fit payer une grosse somme d’argent pour prix de son abominable trahison, et livra Samson à ses ennemis.

Ils se jetèrent sur lui ; il voulut en vain se défendre ; les Philistins le garrottèrent, lui arrachèrent les yeux, l’emmenèrent à Vengeance et mort de Samson.
Gaza chargé de chaînes et l’enfermèrent dans une prison d’où ils le tiraient pour lui faire tourner la roue d’un moulin, en l’accablant de mauvais traitements.

Jeanne. Pauvre Samson ! Comme il devait souffrir d’avoir épousé une si méchante femme !

Grand’mère. Oui, et surtout se repentir, car c’est elle qui a été la cause de son malheur.

Après quelques semaines, les Philistins, ayant convoqué tous les chefs et les prêtres de leur pays pour célébrer une grande fête en l’honneur de leur dieu Dagon, se rassemblèrent au nombre de cinq mille et firent un festin magnifique. À la fin du repas, ils firent venir le pauvre Samson pour les amuser par des chansons et des récits. Samson, frissonnant de honte et de fureur, pria le serviteur qui le menait de le placer au milieu de la salle, près des deux colonnes qui soutenaient la toiture de cette immense salle. Ses cheveux commençaient à repousser. Samson invoqua le Seigneur, et, sentant subitement sa force surnaturelle revenir, il saisit chacune des colonnes d’un de ses bras ; il pria le Seigneur de le venger de ses ennemis et de le faire mourir avec eux ; après quoi, il donna une forte secousse aux colonnes, qui se brisèrent, se renversèrent, et la lourde toiture s’écroula sur la salle, écrasant les cinq mille hommes et femmes qui s’y trouvaient. Tous périrent, et Samson fut enseveli avec eux sous les décombres.

Marie-Thérèse. Et la méchante Dalila ?

Grand’mère. Il est probable qu’elle était de la fête et qu’elle fut écrasée avec eux tous.

Les frères et les parents de Samson, ayant appris cet événement, vinrent chercher son corps qu’on retira de dessous les ruines, et l’enterrèrent avec honneur dans le sépulcre de son père Manué. Samson avait été juge d’Israël pendant vingt ans.

Jeanne. Ce pauvre Samson, s’il n’avait pas méprisé le conseil de son père, et s’il avait épousé une Israélite, ce malheur ne lui serait pas arrivé.

Grand’mère. Non certainement ; il eut été tout de même juge d’Israël, et il aurait vécu plus longtemps et plus heureux.

Henriette. Grand’mère, ne trouvez-vous pas que cela ressemble à l’histoire d’Hercule dans la Mythologie ?

Grand’mère. Oui, mon enfant, et, pour une bonne raison, la fable d’Hercule n’est autre chose que l’histoire de Samson changée par les poëtes de ce temps. Il en est ainsi de la plupart des faux dieux des païens ; on y retrouve des histoires de la vraie religion seule connue dans les premiers temps, et à laquelle on a mêlé des fables.