La Bible d’une grand’mère/47
XLVII
MORT DE JOSEPH
Joseph, voyant que son père était mort, se jeta sur son corps et le tint longtemps embrassé, en pleurant. Il commanda aux médecins qu’il avait à son service d’embaumer le corps de son père avec le plus grand soin. Cet embaumement dura quarante jours.
Marie-Thérèse. Qu’est-ce que c’est, embaumer ?
Grand’mère. Embaumer, c’est retirer du corps tout ce qui peut se corrompre, comme le cerveau, les entrailles, le cœur, les poumons, etc., et mettre à la place des herbes aromatiques, c’est-à-dire des herbes qui sentent très-bon et très-fort, des parfums, des onguents, toutes sortes de choses qui conservent la chair et la peau pour l’empêcher de se corrompre.
Armand. Mais pourquoi les médecins ont-ils été quarante jours à faire cela ? Ce n’est pas bien long de vider un corps et de bourrer dedans des herbes et des parfums.
Grand’mère. Les Égyptiens mettaient un grand soin dans les embaumements ; surtout pour un grand personnage comme était le père du gouverneur général de l’Égypte, presque l’égal du roi lui-même. Ils avaient soin de conserver tous les traits du visage, les formes des membres et du corps, la souplesse de la peau, les cheveux, la barbe, et c’était très-long à bien faire.
Louis. Mais, pendant qu’ils embaumaient une partie du corps, le reste devait se corrompre et se dessécher.
Grand’mère. Non, parce qu’on frottait extérieurement avec des huiles et des liqueurs qui empêchaient la corruption. Les médecins égyptiens étaient des gens fort habiles ; ils connaissaient toutes sortes de moyens pour conserver les corps.
Tous les habitants de l’Égypte portèrent pendant soixante et dix jours le deuil de Jacob, pour honorer Joseph, qu’ils aimaient et respectaient. À la fin du deuil, Joseph dit au roi :
« Seigneur, mon père m’a ordonné en mourant et m’a fait jurer de porter son corps dans le tombeau de ses pères au pays de Chanaan ; et que ce soit avec votre agrément. Si j’ai trouvé grâce devant vous, permettez-moi, mon Seigneur, d’accomplir l’ordre de mon père ; mon cœur ne sera tranquille que lorsque j’aurai rempli mon serment. »
Pharaon lui dit avec affection : « Va, Joseph, va, et ensevelis ton père selon qu’il l’a demandé. »
Joseph se mit immédiatement en route, suivi d’un riche cortège, auquel se joignirent les premiers officiers de Pharaon et les plus grands seigneurs de l’Égypte.
Lorsqu’ils furent arrivés à l’emplacement des grottes d’Abraham et d’Isaac, on célébra les funérailles pendant sept jours avec beaucoup de larmes et de grands cris.
Paul. Pourquoi de grands cris ?
Grand’mère. Parce que c’était l’usage ; plus le mort était un grand personnage, plus on criait et on se lamentait, et plus on faisait durer les funérailles. C’est encore l’usage en Orient et surtout chez les Juifs.
Marie-Thérèse. Mais qu’est-ce qu’on a pu faire pendant sept jours ? On ne peut pas crier pendant sept jours.
Grand’mère. Non, on ne reprenait les cris et les gémissements que par moments, quand on allait visiter le tombeau du défunt ; le reste du temps, on mangeait, on buvait, on se reposait.
Jacques. Mais cela devait être très-désagréable pour ce pauvre Joseph et pour ceux qui aimaient et qui regrettaient très-réellement son père.
Grand’mère. Sans doute, mais, d’après les usages du pays, c’était en même temps un honneur qu’on rendait à son père, ce qui consolait son cœur.
Les habitants du pays de Chanaan accouraient pour voir ces magnifiques funérailles ; ils étaient dans l’admiration, et ils disaient : « Voilà un grand deuil pour les Égyptiens ; ils ont perdu un grand personnage. »
Aussitôt après les funérailles. Joseph, accompagné de ses frères et de sa nombreuse suite, retourna en Égypte auprès du roi.
Après la mort de Jacob, les frères de Joseph eurent peur, et ils s’entre-disaient : « À présent que notre père n’est plus là, Joseph pourrait bien vouloir se venger du mal que nous lui avons fait et nous faire souffrir ce qu’il a souffert lui-même. »
Ils appelèrent donc un homme de confiance et lui dirent :
« Va chez notre frère Joseph, et dis-lui de notre part : Seigneur, notre père en mourant nous a chargés de vous demander d’oublier l’injure que vous avez reçue de nous, et de ne pas tirer vengeance de la malice noire dont nous avons usé contre vous. Ainsi, nous vous conjurons de nous pardonner. »
Quand Joseph eut entendu l’envoyé de ses frères, il pleura.
Henriette. Encore ! Cette fois, par exemple, il n’y avait pas de quoi.
Grand’mère. Si fait ; il y avait de quoi. Ce pauvre Joseph pleura, parce qu’il fut affligé que son père eut pu conserver la crainte d’une vengeance contre ses frères ; lui qui était si bon, et qui avait pardonné de si bon cœur au premier mot de repentir, devait croire que son père avait connu les sentiments de bonté et d’affection qui remplissaient son cœur, et qu’il était mort sans rien redouter pour ses autres fils. Voilà pourquoi il pleura ; cela se comprend très-bien.
Jeanne. Comme c’était méchant à ses frères de faire de la peine à ce bon Joseph, qui avait été si bon pour eux !
Grand’mère. Ils n’avaient pas assez de cœur pour comprendre la peine qu’ils lui causaient. Ils le jugeaient d’après eux-mêmes.
Joseph désira voir ses frères. Ils arrivèrent et se prosternèrent devant lui. Joseph les releva et leur dit : « Ne craignez rien. Il est vrai que vous m’avez fait du mal ; mais n’avez-vous pas vu que je vous avais pardonné du fond du cœur ? D’ailleurs, ce que vous avez fait a tourné pour notre bien à tous ; c’est la volonté Dieu qui s’est accomplie. Pour moi, je vous nourrirai avec vos femmes et vos enfants. » Il continua à leur parler avec beaucoup de douceur et de tendresse. Et ils se rassurèrent enfin complètement.
Joseph demeura en Égypte avec toute la maison de son père pendant soixante-deux ans encore. Il vit les enfants et les petits-enfants de ses fils, Éphraïm et Manassès. Et il mourut saintement à l’âge de cent dix ans, après avoir ordonné à ses enfants d’emporter ses ossements pour les placer près de ceux de Jacob, quand ils quitteraient le pays d’Égypte.
En attendant, son corps fut embaumé et déposé dans un cercueil en Égypte.