L. Hachette et Cie (p. 118-121).

XL

SONGES DE PHARAON

(1705 ans avant J.-C.)



Deux ans après la rentrée en grâce du grand échanson, le roi lui-même eut deux songes qui l’inquiétèrent beaucoup. Il rêva que, se promenant au bord du Nil, grand fleuve qui traverse toute l’Égypte, il voyait sortir de l’eau sept vaches magnifiques et très-grasses qui se mirent à paître dans les marécages.

Il vit ensuite sortir du même fleuve, sept autres vaches si horribles et si maigres, qu’il n’en avait jamais vu de pareilles dans toute l’Égypte ; elles se mirent aussi à paître les herbes qui poussaient au bord du Nil, mais elles n’en devinrent ni plus belles ni plus grasses. Tout à coup, ces sept vaches maigres se jetèrent sur les sept belles vaches grasses et les dévorèrent.

Pharaon se réveilla inquiet de ce songe, mais il ne tarda pas à se rendormir. Il eut alors un second rêve semblable au premier. Il vit sortir d’une tige de blé sept épis pleins de grains et plus beaux que tous ceux qu’il eût jamais vus. Ensuite il vit paraître sept autres épis si petits, si misérables, qu’il n’y avait rien dedans. Ces épis maigres se jetèrent sur les beaux épis et les dévorèrent.

Le roi fut saisi de frayeur ; il envoya de grand matin chercher tous les devins et les sages de l’Égypte ; mais aucun ne put lui expliquer ce que voulaient dire ces deux songes.

Petit-Louis. Qu’est-ce que c’est qu’un devin ?

Grand’mère. Dans les fausses religions, il y a toujours eu des hommes qui ont voulu faire croire qu’ils pouvaient deviner les choses cachées et prédire l’avenir. Ces gens-là étaient des imposteurs ; quelquefois ils devinaient juste par hasard ; d’autres fois le démon leur venait en aide ; le plus souvent, ils ne devinaient rien ; c’est ce qui est arrivé pour Pharaon.

Le grand échanson, voyant le roi dans une si grande inquiétude, se souvint de Joseph et raconta au roi ce qu’il leur avait prédit dans la prison et avec quelle facilité il avait expliqué leurs songes.

Aussitôt le roi envoya chercher Joseph. On le rasa, sans doute, afin qu’il fût plus propre, on lui mit des habits neufs et on l’amena devant Pharaon.

Le roi lui dit : « J’ai vu des songes qui me tourmentent et je ne trouve personne qui sache me les expliquer ; mais on m’a dit que tu avais une grande habileté pour comprendre le sens des songes. »

Joseph lui répondit : « Ce ne sera pas de moi, mais du Seigneur mon Dieu, que me viendra l’intelligence des choses que vous avez rêvées, seigneur. Me voici prêt à écouter les paroles du roi. »

Pharaon lui raconta alors ce qu’il avait vu. Joseph lui répondit sans hésiter : « Les deux songes signifient la même chose. Les sept vaches belles et grasses veulent dire qu’il y aura en Égypte sept années d’une grande abondance et de récoltes magnifiques. Les sept vaches maigres signifient qu’après les sept années d’abondance viendront sept années de famine pendant lesquelles les grains, les herbes, tout ce qui sert à la nourriture des hommes et des bêtes se desséchera et périra. Le second rêve signifie la même chose que le premier ; et le Seigneur vous en a envoyé deux semblables pour vous annoncer que ces choses s’accompliront très-certainement et sans retard.

« Il est donc prudent de choisir un homme sage et habile, auquel le roi donne le commandement sur toute l’Égypte, pour que cet homme fasse construire dans toutes les villes des magasins dans lesquels il amassera les grains et les aliments nécessaires à la nourriture du peuple, profilant ainsi de la trop grande abondance des sept années de fertilité. Que tous ces blés et ces approvisionnements appartiennent au Roi, qui les aura achetés, pour être vendus avec grand profit pendant les sept années de famine. »

Le roi fut frappé de l’intelligence de Joseph. Ce conseil lui plut, et il dit à ses ministres :

« Où pourrions-nous trouver un homme comme celui-ci ? Il est sans aucun doute rempli de l’esprit de Dieu. »

Et il dit à Joseph : « Puisque Dieu t’a fait voir tout ce que tu m’as dit, où pourrais-je trouver un homme plus sage que toi ou même semblable à toi ? Ce sera donc toi qui auras l’autorité dans ma maison et dans toute l’Égypte. Quand tu ouvriras la bouche pour commander, tout le peuple t’obéira ; je n’aurai au-dessus de toi que le trône et le nom de roi. Je t’établis dès aujourd’hui pour commander à toute l’Égypte. »

En disant ces paroles, il ôta de son doigt l’anneau royal et le passa à celui de Joseph. Il le fit revêtir d’une robe de fin lin et lui mit au cou un collier d’or.

Il le fit ensuite monter sur l’un de ses chars qui était le second après le sien ; il fit marcher devant Joseph un héraut qui criait que tout le monde eût à fléchir le genou devant Joseph, et que tous reconnussent qu’il était établi pour commander à toute l’Égypte.

Armand. Quel bonheur ! voilà donc l’excellent Joseph devenu heureux !

Grand’mère. Le Roi dit encore à Joseph : « Je suis Pharaon ; c’est moi qui ordonne que personne ne fasse rien en Égypte que par ton commandement. »

Enfin, il changea le nom de Joseph et lui en donna un qui Joseph interprète les rêves de Pharaon
signifie en égyptien Sauveur du monde. Et il lui fit épouser Aseneth, fille du grand prêtre, pour augmenter le respect que devaient avoir pour lui les Égyptiens, car tout ce qui touchait aux prêtres, et surtout au grand prêtre, était sacré pour ce peuple.

Henriette. Mais, Grand’mère, ce bon Pharaon avait l’air de croire au vrai Dieu, au Dieu de Joseph. Est-ce qu’il n’était pas païen ?

Grand’mère. Oui, chère petite, il était païen ; mais il y avait, chez plusieurs des anciens peuples païens, un mélange de vérité et d’erreur. Au fond, ils croyaient en un seul vrai Dieu tout-puissant, qui était plus puissant que toutes leurs idoles ou faux dieux.

Joseph avait trente ans lorsqu’il parut devant Pharaon ; il en avait dix-huit quand il fut vendu par ses frères ; il en avait donc passé douze, chez Putiphar d’abord, puis en prison.

Pharaon voulut que Joseph fît le tour de toutes les provinces de l’Égypte, afin que partout il fût reconnu gouverneur et premier ministre par ordre du roi.