CXCIII

HONNEURS RENDUS À MARDOCHÉE
PUNITION D’AMAN

(Même année, 509 ans avant J.-C.)



Le roi, qui avait beaucoup bu des excellents vins d’Esther et qui était agité, passa cette nuit sans dormir. Il se fit apporter les histoires de son règne de l’année précédente, et il les fit lire devant lui. On lui lut comment Mardochée lui avait sauvé la vie, en découvrant la conspiration de Bagathan et de Pharès.

Le roi, l’ayant entendu, dit : « Quelle récompense Mardochée a-t-il reçue pour cet acte de fidélité qu’il m’a témoigné ? — Il n’en a reçu aucune, lui répondit-on. — Qui y a-t-il dans l’antichambre ? reprit le roi. — Aman est dans l’antichambre. (Aman était venu de grand matin pour prier le roi de faire pendre Mardochée.) — Qu’il entre, dit le roi. » — Aman, étant entré, se disposait à parler, mais le roi ne lui en laissa pas le temps.

« Que doit-on faire, dit-il, pour honorer un homme que le roi désire combler d’honneurs ? » Aman, pensant en lui-même que le roi ne voulait pas en honorer d’autre que lui, répondit :

« Il faut que l’homme honoré par la volonté du roi soit vêtu des habits royaux, qu’il soit monté sur un des chevaux que le roi monte habituellement ; qu’il ait le diadème royal sur la tête ; que le premier des grands de la cour tienne le cheval par la bride ; et que, marchant devant lui par la place de la ville, il crie : C’est ainsi que sera honoré celui qu’il plaira au roi de récompenser. »

Le roi lui répondit : « Hâte-toi donc. Prends une robe et un cheval ; et tout ce que tu as dit, tu le feras à Mardochée, Juif, qui est devant la porte du palais. Prends garde de ne rien oublier de ce que tu viens de dire. »

Armand. C’est bon, ça ! Devait-il être furieux, ce méchant Aman !

Jeanne. Et pas moyen de désobéir au roi ! Il l’aurait fait tuer.

Françoise. J’aime beaucoup Assuérus à présent ; c’est très-bien ce qu’il a fait.

Grand’mère. Aman fut donc obligé d’obéir au roi ; la rage dans le cœur, il promena Mardochée dans toute la ville ; tout le peuple courait derrière, devant, aux côtés d’Aman et de Mardochée, applaudissant à la gloire de Mardochée et riant de l’humiliation d’Aman, qui était généralement détesté à cause de son orgueil et de sa dureté de cœur.

Quand la promenade triomphale fut terminée, Mardochée reprit sa modeste place à la porte du palais, et Aman rentra chez lui suffoqué par la colère. Il raconta à Zarès ce qui venait de lui arriver ; elle lui répondit : « Si ce Mardochée, devant lequel vous commencez à tomber, est de la race des Juifs, vous ne pourrez lui résister. Vous tomberez devant lui, car son Dieu le soutient. »

Pendant qu’Aman exhalait encore sa rage, les officiers du roi accoururent et l’obligèrent d’aller tout de suite au festin de la reine.

Le roi vint donc, accompagné d’Aman, pour boire et manger avec la reine. Et le roi, ayant bu beaucoup de vin, lui demanda encore : « Que demandes-tu, Esther ? Que désires-tu que je fasse ? Quand tu me demanderais la moitié de mon royaume, je te le donnerais. »

Esther, se jetant à ses pieds, lui dit : « Ô mon roi, ce que je vous demande, c’est de m’accorder ma propre vie et celle de mon peuple, pour lequel j’implore votre clémence. Car nous avons été livrés, moi et mon peuple, pour être tous exterminés ; nous avons un perfide ennemi dont la cruauté retombe sur le roi même, puisqu’il ose lui enlever sa femme qu’il daigne aimer. — Qui est celui-là, qui est assez puissant pour oser le faire ? » répondit Assuérus bouillant de colère.

Esther reprit : « C’est cet Aman que vous voyez, qui est notre mortel ennemi. »

Aman, entendant ces paroles de la reine, demeura tout interdit, ne pouvant supporter les regards flamboyants du roi et les regards pleins de majesté de la reine.

En même temps, le roi, suffoqué de colère contre Aman, se leva et alla dans le jardin pour prendre l’air.

Aman se leva aussi de table, et, se jetant tout éperdu aux genoux d’Esther, lui demandait grâce, car il avait bien vu que le roi était résolu à le perdre.

À ce même moment, le roi rentra, et, voyant Esther tout effrayée et Aman, hors de lui, aux genoux de la reine, il s’écria avec fureur : « Comment ! Il ose toucher la reine, chez moi, en ma présence ! »

À peine ces paroles furent-elles sorties de la bouche du roi, que les courtisans couvrirent le visage d’Aman, et un des officiers attachés au service du roi lui dit : « Il y a une potence de cinquante coudées de haut, qu’Aman a fait préparer pour Mardochée, qui a sauvé la vie du roi. — Qu’Aman y soit pendu lui-même à l’instant ! » s’écria le roi, outré de colère.

Paul. Pourquoi a-t-on couvert le visage d’Aman ?

Grand’mère. Parce que c’était le signal de la condamnation à mort. Les courtisans, voyant le roi si irrité, ne doutèrent pas qu’il ne fît mourir Aman ; et, comme tous ils détestaient Aman, ils furent très-empressés de s’en débarrasser le plus tôt possible, de peur qu’il n’implorât sa grâce, et qu’elle ne lui fût accordée. Aussi, tu vois comme ils se dépêchent d’avertir le roi qu’il y a une potence, toute prête, dressée pour Mardochée, que le roi venait d’honorer d’une façon si éclatante.