L. Hachette et Cie (p. 466-469).

CLXXXVII

HOLOPHERNE REÇOIT JUDITH ET LA PROTÈGE

(Même année, 699 ans avant J.-C.)



Au point du jour, comme Judith descendait de la montagne, et qu’elle arrivait au camp, les gardes avancés l’arrêtèrent et lui demandèrent : « Où allez-vous ? d’où venez-vous ? »

Judith répondit : « Je suis une fille des Hébreux ; je me suis enfuie de chez eux, sachant que vous prendriez la ville, parce qu’ils vous ont méprisés. C’est pourquoi je vais trouver le prince Holopherne pour lui donner les moyens de les prendre sans qu’il perde un seul homme de son armée. »

Ces soldats considérèrent son visage, et ils étaient tous surpris de sa rare beauté. Ils lui dirent : « Vous avez sauvé votre vie en agissant comme vous le dites. Soyez assurée que le prince Holopherne vous trouvera parfaitement belle et que vous lui gagnerez le cœur. »

Les soldats la menèrent alors dans la tente d’Holopherne, auquel ils firent savoir que Judith était là. Il la fit entrer aussitôt ; dès qu’il l’eut regardée, il fut pris par les yeux.

Gaston. Comment ! pris par les yeux ? Judith voulait lui crever les yeux avec ses doigts !

Grand’mère, souriant. Mon cher enfant, pris par les yeux, veut dire qu’en la regardant, il la trouva si charmante, qu’il l’aima tout de suite, et qu’il voulut en faire son épouse.

Paul. C’est drôle, cela ; sans savoir qui elle était, si elle était bonne ou mauvaise.

Grand’mère. C’est le bon Dieu qui permit cette grande admiration d’Holopherne, pour faire réussir le projet de Judith.

Françoise. J’ai peur pour cette pauvre Judith ; je crains qu’on ne la tue.

Grand’mère. Le bon Dieu n’était-il pas là pour la protéger ? Tu verras qu’elle a très-bien réussi dans son projet.

Judith se trouva en présence d’Holopherne, qui était assis dans sa tente sous un dais en pourpre brodé d’or, d’émeraudes et d’autres pierres précieuses ; elle se prosterna devant lui. Holopherne commanda à ses gens de la relever immédiatement. Il lui dit :

« Aie bon courage ; bannis toute crainte de ton cœur parce que je ne te ferai jamais de mal. Si ton peuple ne m’avait pas méprisé, je n’aurais pas tourné mes armes contre lui. Mais, dis-moi, d’où vient que tu les as quittés et que tu t’es décidée à venir vers moi ? « 

Judith lui répondit : « Croyez à mes paroles, Seigneur, parce que, si vous y ajoutez foi, Dieu achèvera d’accomplir à votre égard ce qu’il a résolu. »

Valentine, souriant. C’est méchant, ce qu’elle lui dit là.

Armand. Pourquoi méchant ?

Valentine. Parce que c’est comme si elle lui disait : Si vous croyez toutes les paroles que je vais vous dire, il me sera facile de vous couper la tête, comme le veut le bon Dieu.

Grand’mère. Holopherne ne comprit pas le vrai sens des paroles de Judith, car il continua à l’écouter avec admiration. Elle lui parla avec beaucoup d’esprit, vanta sa vaillance, son habileté, la réputation qu’il s’était faite dans le monde entier, l’assura que le Dieu d’Israël avait abandonné son peuple, à cause de leur orgueilleuse résistance à ses volontés (ce qui était toujours vrai), mais qu’il lui fallait encore quatre jours.

Elle demanda qu’il lui accordât la liberté d’aller et de venir dans le camp, afin de pouvoir prier son Dieu dans les endroits écartés et faire les ablutions commandées par sa loi.

Tout son discours plut beaucoup à Holopherne et à ses guerriers ; elle le termina par des promesses et des paroles flatteuses. Holopherne et les Assyriens admirèrent la sagesse de Judith. « Il n’y a point, disaient-ils, de femme comparable à celle-ci, soit pour le charme et la beauté de son visage, soit pour la sagesse de ses paroles. »

Holopherne commanda qu’on donnât à Judith sa tente, où étaient ses trésors, et qu’on lui servît des mets de sa table. Mais elle lui demanda la permission de ne manger que ce qu’elle avait apporté avec elle, de peur d’irriter Dieu qui ne la protégerait plus dans son entreprise. « Mais, dit Holopherne, que pourrons-nous faire pour toi quand tu n’auras plus rien de ce que tu as apporté ?

— Je vous jure, répondit Judith, que mon œuvre sera accomplie avant que mes provisions soient épuisées. »

Holopherne commanda à ses officiers de mener Judith dans la tente où il avait donné ordre de la loger, et de la laisser aller et venir, et sortir du camp, la nuit et le jour, comme elle le désirerait.

Judith sortait donc la nuit ; elle allait avec sa servante dans la vallée de Béthulie, et se lavait dans une fontaine. Quand elle rentrait, elle priait le Seigneur Dieu d’Israël afin qu’il la protégeât dans le grand dessein qu’elle avait formé pour délivrer son peuple. Elle passait ainsi la journée en prière dans sa tente.