L. Hachette et Cie (p. 469-473).

CLXXXVIII

MORT D’HOLOPHERNE — FUITE DES ASSYRIENS

(Même année, 699 ans avant J.-C.)



Le quatrième jour au soir Holopherne donna un festin à tous les officiers de sa suite, et il dit à Vagao, un de ses serviteurs : « Va, invite de ma part cette femme du peuple hébreu à venir à mon festin, et persuade-lui de venir d’elle-même sans y être contrainte. »

Valentine, Pourquoi voulait-il qu’elle vint d’elle-même ?

Grand’mère. Parce que depuis trois jours il ne l’avait pas revue, et, comme il tenait beaucoup à ce qu’elle devint une de ses femmes, il craignait qu’elle ne lui fît l’affront de refuser cet honneur.

Vagao alla donc trouver Judith et lui demanda de venir le soir au festin d’Holopherne. Judith, au lieu de refuser, répondit : « Qui suis-je pour m’opposer aux volontés de mon seigneur ? Je ferai tout ce qu’il trouvera bon. »

Elle se leva donc, se para de tous ses ornements, et, étant entrée dans la tente d’Holopherne, elle parut devant lui. Holopherne, en la voyant, l’aima plus que jamais, et l’engagea à boire et à manger. Judith but et mangea devant lui ce que sa servante lui avait apporté. Holopherne, dans sa joie, se mit à boire plus qu’il n’avait bu en aucun jour de sa vie.

Ils burent si bien que le soir tous étaient ivres ; les officiers s’en allèrent ; Vagao ferma la tente, et s’en alla.

Holopherne était étendu sur son lit, engourdi par l’excès du vin qu’il avait bu. Judith était restée seule avec lui. Elle commanda à sa servante de rester en dehors de la tente et d’empêcher que personne ne pût entrer.

Puis, elle se mit à genoux près du lit, et pria le Seigneur avec larmes de lui donner le courage et la force d’exécuter son projet.

Elle s’approcha ensuite de la colonne, qui était à la tête du lit, et détacha le sabre qui y était accroché.

Puis, l’ayant tiré du fourreau, elle prit Holopherne par les cheveux en priant le Seigneur de donner de la force à son bras. Elle le frappa deux fois sur le cou, lui coupa la tête, et jeta par terre son corps mort.

Elle détacha ensuite des colonnes du lit, le drapeau, y enveloppa la tête d’Holopherne, commanda à la servante de la mettre dans son sac. Puis elles sortirent toutes deux, selon leur coutume ; et, quittant le camp, elles arrivèrent aux portes de la ville.

Judith appela les gardes des portes, et leur commanda de lui ouvrir, parce que, dit-elle, le Seigneur est avec nous, et qu’il nous délivrera de nos ennemis. Les gardes s’empressèrent d’ouvrir et appelèrent les Anciens.

Tous accoururent ; Judith tira du sac la tête d’Holopherne, Judith tranchant la tête à Holopherne.
et, la montrant au peuple, elle raconta ce qu’elle avait fait avec l’aide du Seigneur. Ils se prosternèrent et adorèrent le Dieu d’Israël qui ne les avait pas abandonnés.

Alors Judith dit au peuple : « Écoutez-moi, mes frères ; pendez cette tête au haut des murailles de notre ville. Aussitôt que le soleil sera levé, que tous les hommes prennent leurs armes, et sortent avec grand bruit, non pas pour attaquer réellement les ennemis, mais pour leur faire croire à une attaque. Les soldats qui gardent les fontaines fuiront, et vous les abandonneront. Ils courront à la tente d’Holopherne pour avoir des ordres ; et, quand ils ne trouveront qu’un corps sans tête, la terreur les prendra, ils s’enfuiront en désordre ; alors vous les poursuivrez, et vous en ferez un grand carnage. »

Les choses se firent comme l’avait dit Judith ; quand les Assyriens entendirent, au petit jour, les cris des Israélites, ils allèrent voir ce qui leur arrivait, et, en approchant de la ville, ils aperçurent la tête de leur général pendue au haut de la muraille, et les gardes avancés qui fuyaient vers le camp.

Pendant ce temps les officiers avaient été à la tente d’Holopherne, mais, n’osant entrer eux-mêmes, ils appelèrent Vagao qui entra ; n’entendant aucun bruit, il crut que le général dormait, et frappa dans ses mains ; n’entendant rien encore, il entr’ouvrit le rideau du lit, et vit par terre le corps sans tête inondé de sang.

Il jeta aussitôt un grand cri ; les officiers, entrèrent précipitamment ; Vagao, ne trouvant plus Judith dans la tente, s’écria : « Une seule femme du peuple hébreu a mis la confusion dans l’armée de Nabuchodonosor, car voici son meilleur général étendu par terre, et sa tête n’est plus avec son corps. »

Cette nouvelle se répandit en un instant dans tout le camp ; il retentit de cris effroyables ; le désordre se mit partout. Les Assyriens crurent que les Israélites venaient les attaquer ; ils ne songèrent qu’à fuir.

Les Israélites, les voyant fuir dans un si grand désordre, se mirent à leur poursuite et en tuèrent un grand nombre, parce qu’au lieu de rester en masse pour se défendre les uns les autres, ils couraient tous disséminés, de sorte qu’on les tuait aisément. Pendant ce temps, les femmes et les enfants avaient couru aux fontaines pour se désaltérer.

Ceux qui étaient restés, ou qui y étaient revenus, allèrent au camp abandonné des Assyriens et y firent un grand butin, et s’emparèrent de richesses immenses, ainsi que de troupeaux nombreux. Il fallut plus de trente jours pour recueillir toutes les richesses du camp.

Tout ce qu’on put retrouver de ce qu’avait possédé Holopherne, en or, argent, pierreries, riches vêtements, meubles précieux, etc., fut donné à Judith par tout le peuple. Elle composa à ce sujet un très-beau cantique qui se trouve dans la sainte Bible.

Après cette victoire, tout le peuple alla à Jérusalem pour adorer le Seigneur et offrir un sacrifice. Judith déposa dans le temple du Seigneur, les armes et les trésors d’Holopherne que le peuple lui avait donnés, et le drapeau du lit qu’elle avait emporté elle-même ; elle les offrit au Seigneur, en mémoire de la divine protection qu’il lui avait accordée.

Tout le peuple fut dans la réjouissance à la vue des lieux saints, et cette victoire fut célébrée avec Judith pendant trois mois, après quoi chacun retourna dans sa maison. Judith resta célèbre dans Béthulie et fut la femme la plus considérée dans tout le peuple d’Israël. Elle donna la liberté à la servante qui l’avait accompagnée au camp d’Holopherne ; elle demeura encore soixante-dix-huit ans dans la maison de son mari, vivant saintement et refusant toutes les propositions de mariage qui lui furent faites. Elle mourut à l’âge de cent cinq ans, et tout le peuple pleura sa mort.

Armand. C’est très-intéressant, cette histoire de Judith ; elle a été bien courageuse.

Henriette. Oui, mais je trouve tout de même que c’était mal de flatter Holopherne et de le tromper, pour pouvoir le tuer plus facilement.

Jacques. Pas du tout ; ce n’était pas mal. Un méchant homme qui faisait mourir de soif tous les habitants de Béthulie et qui voulait les tuer tous !

Louis. Et puis c’est le bon Dieu qui a donné cette idée à Judith ; donc elle était bonne.

Henriette. Ce n’est jamais bon de tuer quelqu’un.

Paul. Si fait ; c’est bon quand c’est un ennemi ou un méchant homme.

Marie-Thérèse. La preuve, c’est que Moïse et Aaron et bien d’autres ont tué beaucoup de monde par l’ordre de Dieu.

Henriette. Mais c’était pendant la guerre ; et ce n’étaient pas des femmes qui tuaient.

Petit-Louis. Tu oublies donc Déborah, qui a tué le général Sisara, et que Dieu a approuvée ?

Grand’mère. Ce que tu oublies aussi, ma petite Henriette, c’est que Judith exécutait un ordre, ou du moins une inspiration de Dieu, que c’était pour sauver le peuple de Dieu et le Temple qu’elle s’exposait à de grands dangers, à de grandes fatigues, à des insultes, à des privations, et que les moyens qu’elle employait étaient les seuls possibles pour réussir. Crois-tu qu’Holopherne l’eût laissée vivre, si elle lui avait parlé franchement comme à Ozias ?

Henriette. Non, grand’mère, mais je veux dire seulement que cela me ferait horreur de tuer un homme, quelque méchant qu’il fût, et surtout après l’avoir trompé pour lui couper la tête.

Grand’mère. Aussi, ma pauvre petite, ne seras-tu jamais soumise à une épreuve pareille. — Nous allons maintenant nous occuper d’une autre femme, qui elle aussi a sauvé le peuple d’Israël, quoiqu’avec moins de courage que Judith. Cette femme était une jeune reine juive qui s’appelait Esther.