Chapitre 1 | ◄ | La Bhagavad Gîtâ | ► | Chapitre 3 |
Verset : 2.1
Sanjaya dit : « Voyant la profonde tristesse et la grande compassion d’Arjuna, dont les yeux sont baignés de larmes,
Verset : 2.2
La personne Suprême, Bhagavân, dit : « Ô Arjuna, comment une telle souillure a-t-elle pu s’emparer de toi ? Ces plaintes dégradantes sont tout à fait indignes d’un homme éveillé aux valeurs de la vie. Par elles, on n’atteint pas les planètes supérieures, mais on gagne l’opprobre.
Verset : 2.3
« Ne cède pas à une faiblesse aussi mesquine et avilissante, ô fils de Pârtha, et qui ne te sied guère. Chasse-la de ton cœur, et relève-toi, ô vainqueur des ennemis. »
Verset : 2.4
Arjuna dit : « Ô Vainqueur de Madhu, comment pourrais-je, au cours de la bataille, repousser de mes flèches des hommes tels que Bhîshma et Drona, dignes de ma vénération ?
Verset : 2.5
« Plutôt mendier que jouir des plaisirs de ce monde s’il faut tuer de si nobles âmes. Même cupides, ils sont encore mes maîtres ; leur mort entacherait de sang notre victoire.
Verset : 2.6
« Je ne sais s’il est plus juste de les vaincre ou d’être par eux vaincus. Voici les fils de Dhritarâshtra en ligne devant nous sur ce champ de bataille : leur mort nous ôterait le goût de vivre.
Verset : 2.7
« La défaillance m’a fait perdre tout mon sang-froid ; je ne vois plus où est mon devoir. Indique-moi clairement la voie juste. Je suis à présent Ton disciple et m’en remets à Toi ; éclaire-moi, je T’en prie.
Verset : 2.8
« Ce qui pourrait chasser la douleur qui m’accable, je ne le vois pas. Nul apaisement pour moi, même si, tel un déva dans le ciel, je régnais ici-bas sur un royaume sans pareil. »
Verset : 2.9
Sanjaya dit : « Ayant ainsi dévoilé ses pensées, Arjuna, vainqueur des ennemis, dit à Krishna : « Ô Govinda, je ne combattrai pas », puis se tait.
Verset : 2.10
« Ô descendant de Bhârata, Krishna, souriant, S’adresse alors, entre les deux armées, au malheureux Arjuna.
Verset : 2.11
Le Seigneur Bienheureux dit : « Bien que tu tiennes de savants discours, tu t’affliges sans raison. Ni les vivants, ni les morts, le sage ne les pleure.
Verset : 2.12
« Jamais ne fut le temps où nous n’existions, Moi, toi et tous ces rois ; et jamais aucun de nous ne cessera d’être.
Verset : 2.13
« À l’instant de la mort, l’âme prend un nouveau corps, aussi naturellement qu’elle est passée, dans le précédent, de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas qui a conscience de sa nature spirituelle.
Verset : 2.14
« Éphémères, joies et peines, comme étés et hivers, vont et viennent, ô fils de Kuntî. Elles ne sont dues qu’à la rencontre des sens avec la matière, ô descendant de Bhârata, et il faut apprendre à les tolérer, sans en être affecté.
Verset : 2.15
« Ô meilleur des hommes [Arjuna], celui que n’affectent ni les joies ni les peines, qui, en toutes circonstances, demeure serein et résolu, celui-là est digne de la libération.
Verset : 2.16
« Les maîtres de la vérité ont conclu à l’éternité du réel et à l’impermanence de l’illusoire, et ce, après avoir étudié leur nature respective.
Verset : 2.17
« Sache que ne peut être anéanti ce qui pénètre le corps tout entier. Nul ne peut détruire l’âme impérissable.
Verset : 2.18
« L’âme est indestructible, éternelle et sans mesure ; seuls les corps matériels qu’elle emprunte sont sujets à la destruction. Fort de ce savoir, ô descendant de Bhârata, engage le combat.
Verset : 2.19
« Ignorant celui qui croit que l’âme peut tuer ou être tuée ; le sage, lui, sait bien qu’elle ne tue ni ne meurt.
Verset : 2.20
« L’âme ne connaît ni la naissance ni la mort. Vivante, elle ne cessera jamais d’être. Non née, immortelle, originelle, éternelle, elle n’eut jamais de commencement, et jamais n’aura de fin. Elle ne meurt pas avec le corps.
Verset : 2.21
« Comment, ô Pârtha, celui qui sait l’âme non née, immuable, éternelle et indestructible, pourrait-il tuer ou faire tuer ?
Verset : 2.22
« À l’instant de la mort, l’âme revêt un corps nouveau, l’ancien devenu inutile, de même qu’on se défait de vêtements usés pour en revêtir de neufs.
Verset : 2.23
« Aucune arme ne peut prendre l’âme, ni le feu la brûler ; l’eau ne peut la mouiller, ni le vent la dessécher.
Verset : 2.24
« L’âme est indivisible et insoluble ; le feu ne l’atteint pas, elle ne peut être desséchée. Elle est immortelle et éternelle, omniprésente, inaltérable et fixe.
Verset : 2.25
« Il est dit de l’âme qu’elle est indivisible, inconcevable et immuable. Sachant cela, tu ne devrais pas te lamenter sur le corps.
Verset : 2.26
« Et même si tu crois l’âme sans fin reprise par la naissance et la mort, tu n’as nulle raison de t’affliger, ô Arjuna aux-bras-puissants.
Verset : 2.27
« La mort est certaine pour qui naît, et certaine la naissance pour qui meurt. Puisqu’il faut accomplir ton devoir, tu ne devrais pas t’apitoyer ainsi.
Verset : 2.28
« Toutes choses créées sont, à l’origine, non manifestées ; elles se manifestent dans leur état transitoire, et une fois dissoutes, se retrouvent non manifestées. À quoi bon s’en attrister, ô descendant de Bhârata ?
Verset : 2.29
« Certain voient l’âme, et c’est pour eux une étonnante merveille ; ainsi également d’autres en parlent-ils et d’autres encore en entendent-ils parler. Il en est cependant qui, même après en avoir entendu parler, ne peuvent la concevoir.
Verset : 2.30
« Celui qui siège dans le corps, ô descendant de Bhârata, est éternel, il ne peut jamais être tué. Tu n’as donc à pleurer personne.
Verset : 2.31
« Tu connais, de plus, tes devoirs de kshatriya : ils t’enjoignent de combattre selon les principes de la religion ; tu ne peux donc hésiter.
Verset : 2.32
« Heureux les kshatriyas à qui s’offre ainsi l’occasion de combattre, ô Pârtha, car alors s’ouvre pour eux la porte des planètes de délices.
Verset : 2.33
« Mais si tu refuses de livrer ce juste combat, certes tu pécheras pour avoir manqué au devoir, et perdras ainsi ton renom de guerrier.
Verset : 2.34
« Les hommes, à jamais, parleront de ton infamie, et pour qui a connu les honneurs, la disgrâce est pire que la mort.
Verset : 2.35
« Les grands généraux qui estimèrent haut ton nom et la gloire croiront que la peur seule t’a fait quitter le champ de bataille, et te jugeront lâche.
Verset : 2.36
« Tes ennemis te couvriront de propos outrageants et railleront ta vaillance. Quoi de plus pénible pour toi ?
Verset : 2.37
« Si tu meurs en combattant, tu atteindras les planètes de délices ; vainqueur, tu jouiras du royaume de la Terre. Lève-toi donc, ô fils de Kuntî, et combats fermement.
Verset : 2.38
« Combats par devoir, sans compter tes joies ni tes peines, la perte ni le gain, la victoire ni la défaite ; ainsi, jamais tu n’encourras le péché.
Verset : 2.39
« Tu as reçu de Moi, jusqu’ici, la connaissance analytique de la philosophie du Sâmkhya. Reçois maintenant la connaissance du yoga, qui permet d’agir sans être lié à ses actes. Quand cette intelligence te guidera, ô fils de Prithâ, tu pourras briser les chaînes du karma.
Verset : 2.40
« À qui marche sur cette voie, aucun effort n’est vain, nul bienfait acquis n’est jamais perdu ; le moindre pas nous y libère de la plus redoutable crainte.
Verset : 2.41
« Qui marche sur cette voie est résolu dans son effort, et poursuit un unique but ; par contre, ô fils aimé des Kurus, l’intelligence de celui à qui manque cette fermeté se perd en maints sentiers obliques.
Verset : 2.42, 2.43
« L’homme peu averti s’attache au langage fleuri des Védas, qui enseignent diverses pratique pour atteindre les planètes de délices, renaître favorablement, gagner la puissance et d’autres bienfaits. Enflammé de désir pour les joies d’une vie opulente, il ne voit pas au-delà.
Verset : 2.44
« Trop attaché aux plaisirs des sens, à la richesse et à la gloire, égaré par ses désirs, nul ne connaît jamais la ferme volonté de servir le Seigneur Suprême avec amour et dévotion.
Verset : 2.45
« Dépasse, ô Arjuna, les trois gunas, ces influences de la nature matérielle qui des Védas font l’objet premier. Libère-toi de la dualité, abandonne tout désir de possession et de paix matérielle ; sois fermement uni au Suprême.
Verset : 2.46
« Car, de même qu’une grande nappe d’eau remplit d’un coup toutes les fonctions du puits, celui qui connaît le but ultime des Védas recueille, par là-même, tous les bienfaits qu’ils procurent.
Verset : 2.47
« Tu as le droit de remplir les devoirs qui t’échoient, mais pas de jouir du fruit de tes actes ; jamais ne crois être la cause des suites de tes actions, et à aucun moment ne cherche à fuir ton devoir.
Verset : 2.48
« Soit ferme dans le yoga, ô Arjuna. Fais ton devoir, sans être lié ni par le succès ni par l’échec. Cette égalité d’âme, on l’appelle yoga.
Verset : 2.49
« Libère-toi, ô Dhananjaya, de tout acte matériel par le service de dévotion ; absorbe-toi en lui. « Avares » ceux qui aspirent aux fruits de leurs actes.
Verset : 2.50
« Le service de dévotion peut, dans cette vie, libérer qui s’y engage des suites de l’action, bonnes ou mauvaises. Efforce-toi donc, ô Arjuna, d’atteindre à l’art d’agir, au yoga.
Verset : 2.51
« Absorbé dans le service de dévotion, le sage prend refuge en le Seigneur et, renonçant en ce monde aux fruits de ses actes, s’affranchit du cycle des morts et des renaissances. Il parvient ainsi à l’état qui est par-delà la souffrance.
Verset : 2.52
« Quand ton intelligence aura traversé la forêt touffue de l’illusion, tout ce que tu as entendu, tout ce que pourrais encore entendre, te sera indifférent.
Verset : 2.53
« Quand ton mental ne se laissera plus distraire par le langage fleuri des Védas, quand il sera tout absorbé dans la réalisation spirituelle, alors tu seras en union avec l’Être Divin. »
Verset : 2.54
Arjuna dit : « À quoi reconnaître celui qui baigne ainsi dans le Transcendant ? Comment parle-t-il, et avec quels mots ? Comment s’assied-il et comment marche-t-il, ô Késhava ? »
Verset : 2.55
Le Seigneur Bienheureux dit : « Quand un homme, ô Pârtha, s’affranchit des milliers de désirs matériels créés par son mental, quand il se satisfait dans le vrai moi, c’est qu’il a pleinement conscience de son identité spirituelle.
Verset : 2.56
« Celui que les trois formes de souffrance ici-bas n’affectent plus, que les joies de la vie n’enivrent plus, qu’ont quitté l’attachement, la crainte et la colère, celui-là est tenu pour un sage à l’esprit ferme.
Verset : 2.57
« Celui qui, libre de tout lien, ne se réjouit pas plus dans le bonheur qu’il ne s’afflige du malheur, celui-là est fermement établi dans la connaissance absolue.
Verset : 2.58
« Celui qui, telle une tortue qui rétracte ses membres au fond de sa carapace, peut détacher de leurs objets les sens, celui-là possède le vrai savoir.
Verset : 2.59
« Même à l’écart des plaisirs matériels, l’âme incarnée peut encore éprouver quelques désirs pour eux. Mais qu’elle goûte une joie supérieure, et elle perdra ce désir, pour demeurer dans la conscience spirituelle.
Verset : 2.60
« Fort et impétueux sont les sens, ô Arjuna ; ils ravissent même le mental de l’homme de sagesse qui veut les maîtriser.
Verset : 2.61
« Qui restreint ses sens et s’absorbe en Moi prouve certes une intelligence sûre.
Verset : 2.62
« En contemplant les objets des sens, l’homme s’attache ; d’où naît la convoitise, et de la convoitise, la colère.
Verset : 2.63
« La colère appelle l’illusion, et l’illusion entraîne l’égarement de la mémoire. Quand la mémoire s’égare, l’intelligence se perd, et l’homme choit à nouveau dans l’océan de l’existence matérielle.
Verset : 2.64
« Qui maîtrise ses sens en observant les principes régulateurs de la liberté, reçoit du Seigneur Sa pleine miséricorde, et se voit ainsi libéré de tout attachement comme de toute aversion.
Verset : 2.65
« Les trois formes de souffrance matérielle n’existent plus pour celui que le Seigneur a ainsi touché de Sa miséricorde immotivée. Devenu serein, son intelligence ne tarde pas à s’affermir.
Verset : 2.66
« L’être inconscient de son identité spirituelle ne peut ni maîtriser son mental, ni affermir son intelligence ; comment, dès lors, connaîtrait-il la sérénité ? Et comment, sans elle, pourrait-il goûter au bonheur ?
Verset : 2.67
« Comme un vent violent balaie sur l’eau une nacelle, il suffit que l’un des sens entraîne le mental pour que l’intelligence soit emportée.
Verset : 2.68
« Aussi, ô Arjuna aux-bras-puissants, celui qui détourne ses sens de leurs objets possède-t-il une intelligence sûre.
Verset : 2.69
« Ce qui est nuit pour tous les êtres devient, pour l’homme qui a maîtrisé les sens, le temps de l’éveil ; ce qui, pour tous, est le temps de l’éveil, est la nuit pour le sage recueilli.
Verset : 2.70
« Celui qui reste inébranlable malgré le flot incessant des désirs, comme l’océan demeure immuable malgré les mille fleuves qui s’y jettent, peut seul trouver la sérénité ; mais certes pas celui qui cherche à satisfaire ces désirs.
Verset : 2.71
« Celui que les plaisirs matériels n’attirent plus, qui n’est plus esclave de ses désirs, qui a rejeté tout esprit de possession et qui s’est libéré du faux ego, peut seul connaître la sérénité parfaite.
Verset : 2.72
« Tels sont les modes de la spiritualité, ô fils de Prithâ. Qui s’y établit, fût ce à l’instant de la mort, sort de sa confusion, et le royaume de Dieu s’ouvre pour lui. »