La Bhagavad Gîtâ/Chapitre 1

La Bhagavad Gîtâ Chapitre 2




Anonyme

Chapitre 1
Lamentation sur les conséquences de la guerre



Verset : 1.1

Dhritarâshtra dit : « Ô Sanjaya, qu’ont fait mes fils et les fils de Pându après s’être assemblés au lieu saint de Kurukshétra, prêts à livrer bataille ?

Verset : 1.2

Sanjaya dit : « Ô Dhritarâshtra, après avoir observé l’armée des fils de Pându déployée en ordre de combat, le roi Duryodhana s’approche de son précepteur et lui tient ces propos :

Verset : 1.3

« Contemple, ô mon maître, la puissante armée des fils de Pându, disposée de si experte façon par ton brillant élève, le fils de Drupada.

Verset : 1.4

« Y vois-tu ces vaillants archers, qui au combat, égalent Bhîma et Arjuna ? Et combien d’autres grands guerriers, dont Yuyudhâna, Virâta et Drupada !

Verset : 1.5

« Dhrishtaketu, Chekitâna, Kâshîrâja, Purujit, Kuntibhoja, Shaibya, et tant d’autres encore, tous grands héros à la force remarquable !

Verset : 1.6

« Vois le remarquable Yudhâmanyu, le très puissant Uttamaujas, le fils de Subhadrâ et les fils de Draupadî. Tous sont de valeureux combattants sur le char.

Verset : 1.7

« Ô toi, le meilleur des brâhmanas, laisse-moi maintenant te dire quels chefs très habiles commandent mon armée.

Verset : 1.8

« Ce sont des hommes de guerre renommés pour avoir, comme toi, obtenu la victoire dans tous leurs combats : Bhîshma, Karna, Kripa, Asvatthâman, Vikarna et Bhûrisravâ, le fils de Somadatta.

Verset : 1.9

« Et nombre d’autres héros, encore sont prêts à sacrifier leur vie pour moi, tous bien armés, tous maîtres dans l’art de la guerre.

Verset : 1.10

« On ne peut mesurer nos forces, que protège parfaitement Bhîshma, l’ancien, tandis que les forces des pândavas sont limitées, puisqu’elles n’ont pour les défendre que les soins de Bhîma.

Verset : 1.11

« Maintenant, vous tous, de vos positions respectives, apportez toute votre aide au vieux maître Bhîshma. »

Verset : 1.12

« À cet instant, Bhîsma, le grand et vaillant aïeul de la dynastie des Kurus, père des combattants, souffle très fort dans sa conque, qui résonne comme le rugissement d’un lion, réjouissant le cœur de Duryodhana.

Verset : 1.13

« Alors les conques, bugles, cors, trompettes et tambours, se mettent à retentir, et leurs vibrations confondues provoquent un grand tumulte.

Verset : 1.14

« Dans l’autre camp, debout sur leur vaste char attelé à des chevaux blancs, Krishna et Arjuna soufflent dans leurs conques divines.

Verset : 1.15

« Krishna souffle dans sa conque, Panchajanya, et Arjuna dans la sienne, Devadatta ; Bhîma, le mangeur vorace aux exploits surhumains, fait retenir Paundra, sa conque formidable.

Verset : 1.16, 1.17, 1.18

« Le roi Yudhishthira, fils de Kuntî, fait résonner sa conque, Anantavijaya ; Nakula et Sahadeva soufflent dans Sughosha et la Manipushpaka. Le roi de Kâshî, célèbre archer, le grand guerrier Sikhandi, Dhrishtadyumna, Virâta et Sâtyaki l’invincible, Drupada et les fils de Draupadî, et d’autres encore, ô roi, comme les fils de Saubhadrâ, tous puissamment armés, font aussi sonner leur conque.

Verset : 1.19

« Le mugissement de toutes ces conques réunies devient assourdissant, et, se répercutant au ciel et sur la terre, il déchire le cœur des fils de Dhritarâshtra.

Verset : 1.20

« À ce moment, ô roi, assis sur son char, dont l’étendard porte l’emblème de Hanumân, Arjuna, le fils de Pându, saisit son arc, prêt à décocher ses flèches, les yeux fixés sur les fils de Dhritarâshtra, puis s’adresse à Hrishîkesha. »

Verset : 1.21, 1.22

Arjuna dit : « Ô Toi, l’infaillible, mène, je T’en prie, mon char entre les deux armées afin que je puisse voir qui est sur les lignes, qui désire combattre, qui je devrai affronter au cours de la bataille imminente.

Verset : 1.23

Que je voie ceux qui sont venus ici combattre dans l’espoir de plaire au fils malveillant de Dhritarâshtra. »

Verset : 1.24

Sanjaya dit : « Sri Krishna a entendu la requête d’Arjuna, ô descendant de Bhârata, et Il conduit le char splendide entre les deux armées.

Verset : 1.25

Devant Bhîshma, Drona et tous les princes de ce monde, Hrishîkesha, le Seigneur, dit à Arjuna : « Vois donc, ô Pârtha, l’assemblée de tous les Kurus. »

Verset : 1.26

« Arjuna voit alors, dispersés dans les deux camps, ses pères aïeux, précepteurs, oncles maternels, frères, fils, petits-fils et amis ; avec eux, son beau-père et tous ceux qui jadis lui ont montré tant de bienveillance. Tous sont présents.

Verset : 1.27

« Voyant devant lui tous ceux à qui des liens d’amitié ou de parenté l’unissent, Arjuna, le fils de Kuntî, est saisi d’une grande compassion et s’adresse au Seigneur. »

Verset : 1.28

Arjuna dit : « Cher Krishna, de voir ainsi les miens, devant moi en lignes belliqueuses, je tremble de tous mes membres et sens ma bouche se dessécher.

Verset : 1.29

« Tout mon corps frissonne et mes cheveux se hérissent. Mon arc, Gândîva, me tombe des mains, et la peau me brûle.

Verset : 1.30

« Ô Késhava, je ne puis demeurer ici plus longtemps. Je ne suis plus maître de moi et mon esprit s’égare ; je ne présage que des événements funestes.

Verset : 1.31

« Que peut apporter de bon ce combat, où sera massacrée ma propre famille ? À pareil prix, ô Krishna, comment pourrais-je encore désirer la victoire, aspirer à la royauté et aux plaisirs qu’elle procure ?

Verset : 1.32, 1.33, 1.34, 1.35

« Ô Govinda, que servent tant de royaumes, que sert le bonheur, à quoi bon la vie même, quand ceux pour qui nous désirons ces biens se tiennent maintenant sur le champ de bataille ? Ô Madhusûdana, regarde. Toute ma famille, mes pères, fils, aïeux, oncles maternels, beaux-pères, petit-fils et beaux-frères, et mes maîtres aussi, tous prêts à sacrifier leur vie et leurs richesses, se dressent devant moi. Comment pourrais-je souhaiter leur mort, dussé-je par-là survivre ? Ô Toi qui maintiens tous les êtres, je ne peux me résoudre à lutter contre eux, même en échange des trois mondes, et que dire de cette Terre ?

Verset : 1.36

« Bien qu’ils soient nos agresseurs, si nous tuons nos amis et les fils de Dhritarâshtra, nous serons la proie de péché ; un tel crime serait indigne de nous. Et de quel profit serait-il ? Ô Krishna, Toi l’époux de la déesse de la fortune, comment pourrions-nous être jamais heureux après avoir tué ceux de notre lignage ?

Verset : 1.37, 1.38

« Ô Janârdana, si aveuglés par la convoitise, ces hommes ne voient aucun mal à détruire leur famille, nulle faute à se quereller avec leurs amis, pour quoi nous, qui voyons le péché, devrions-nous agir de même ?

Verset : 1.39

« La destruction d’une famille entraîne l’effondrement des traditions éternelles ; ses derniers représentants sombrent alors dans l’irréligion.

Verset : 1.40

« Lorsque l’impiété, ô Krishna, règne dans une famille, les femmes se corrompent, et de leur dégradation, ô descendant de Vârshni, naît une progéniture indésirable.

Verset : 1.41

« L’accroissement du nombre de ces indésirables engendre pour la famille, et pour ceux qui en ont détruit les traditions, une vie d’enfer. Les ancêtres sont oubliés, on cesse de leur offrir les ablations d’eau et de nourriture.

Verset : 1.42

« Ceux qui, par leurs actes irresponsables, brisent la tradition du lignage, ceux-là provoquent l’abandon des principes grâce auxquels prospérité et harmonie règnent au sein de la famille et de la nation.

Verset : 1.43

« Je le tiens de source autorisée, ô Krishna : ceux qui détruisent les traditions familiales vivent à jamais en enfer.

Verset : 1.44

« Hélas, par soif des plaisirs de la royauté, n’est-il pas étrange que nous nous apprêtions maintenant à commettre de si grands crimes ?

Verset : 1.45

« Mieux vaut mourir de la main des fils de Dhritarâshtra, sans armes et sans faire de résistance, que de lutter contre eux. »

Verset : 1.46

Sanjaya dit : « Ayant ainsi parlé sur le champ de bataille, Arjuna laisse choir son arc et ses flèches ; il s’assoit sur son char, accablé de douleur. »