La Bhagavad-Gîtâ, ou le Chant du Bienheureux/Chapitre 7

Traduction par Émile-Louis Burnouf.
Libr. de l’Institut (p. 95-103).

VII
YOGA DE LA CONNAISSANCE


Le Bienheureux dit :

1. « Si tu fixes sur moi ton esprit, pratiquant l’Union mystique, attentif à moi, écoute, fils de Prithâ, comment alors tu me connaîtras tout entier avec évidence.

2. Je vais t’exposer complètement, avec ses divisions, cette science au delà de laquelle, ici-bas, il ne reste rien à apprendre :

3. De tant de milliers d’hommes, quelques-uns seulement s’efforcent vers la perfection ; et parmi ces sages excellents, un seul à peine me connaît selon mon essence.

4. La terre, l’eau, le feu, le vent, l’air, l’esprit, la raison et le moi, telle est ma nature divisée en huit éléments :

5. C’est l’inférieure. Connais-en maintenant une autre qui est ma nature supérieure, principe de vie qui soutient le monde.

6. C’est dans son sein que résident tous les êtres vivants ; comprends-le ; car la production et la dissolution de l’Univers, c’est moi-même ;

7. Au-dessus de moi il n’y a rien ; à moi est suspendu l’Univers comme une rangée de perles à un fil.

8. Je suis dans les eaux la saveur, fils de Kuntî ; je suis la lumière dans la Lune et le Soleil ; la louange dans tous les Vêdas ; le son dans l’air ; la force masculine dans les hommes ;

9. Le parfum pur dans la terre ; dans le feu la splendeur ; la vie dans tous les êtres ; la continence dans les ascètes.

10. Sache, fils de Prithâ, que je suis la semence inépuisable de tous les vivants ; la science des sages, le courage des vaillants ;

11. La vertu des forts exempte de passion et de désir. Je suis dans les êtres animés l’attrait que la justice autorise.

12. Je suis la source des propriétés qui naissent de la vérité, de la passion et de l’obscurité ; mais je ne suis pas en elles, elles sont en moi.

13. Troublé par les modes de ces trois qualités, ce monde entier méconnaît que je leur suis supérieur et que je suis indestructible.

14. Cette magie, que je développe dans les modes des choses, est difficile à franchir ; on y échappe en me suivant ;

15. Mais ne sauraient me suivre, ni les méchants, ni les âmes troublées, ni ces hommes infimes dont l’intelligence est en proie aux illusions des sens et qui sont de la nature des démons.

16. Quatre classes d’hommes de bien m’adorent, Arjuna : l’affligé, l’homme désireux de savoir, celui qui veut s’enrichir, et le sage.

17. Ce dernier, toujours en contemplation, attaché à un culte unique, surpasse tous les autres. Car le sage m’aime par-dessus toutes choses, et je l’aime de même.

18. Tous ces serviteurs sont bons ; mais le sage, c’est moi même ; car, dans l’Union mentale, il me suit comme sa voie dernière

19. Et, après plusieurs renaissances, le sage vient à moi. — « L’Univers, c’est Vâsudêva » ; celui qui parle ainsi ne peut comprendre la Grande Âme de l’Univers.

20. Ceux dont l’intelligence est en proie aux désirs se tournent vers d’autres divinités ; ils suivent chacun son culte, enchaînés qu’ils sont par leur propre nature.

21. Quelle que soit la personne divine à laquelle un homme offre son culte, j’affermis sa foi en ce dieu ;

22. Tout plein de sa croyance, il s’efforce de le servir ; et il obtient de lui les biens qu’il désire et dont je suis le distributeur.

23. Mais bornée est la récompense de ces hommes de peu d’intelligence : ceux qui sacrifient aux dieux vont aux dieux ; ceux qui m’adorent viennent à moi.

24. Les ignorants me croient visible, moi qui suis invisible : c’est qu’ils ne connaissent pas ma nature supérieure, inaltérable et suprême ;

25. Car je ne me manifeste pas à tous, enveloppé que je suis dans la magie que l’Union spirituelle dissipe. Le monde plein de trouble ne me connaît pas, moi qui suis exempt de naissance et de destruction.

26. Je connais les êtres passés et présents, Arjuna, et ceux qui seront ; mais nul d’eux ne me connaît.

27. Par le trouble d’esprit qu’engendrent les désirs et les aversions, ô Bhârata, tous les vivants en ce monde courent à l’erreur ;

28. Mais ceux qui, par la pureté des œuvres, ont effacé leurs péchés, échappent au trouble de l’erreur et m’adorent dans la persévérance,

29. Ceux qui se réfugient en moi et cherchent en moi la délivrance de la vieillesse et de la mort connaissent Dieu, l’Âme suprême, et l’Acte dans sa plénitude ;

30. Et ceux qui savent que je suis le Premier Vivant, la Divinité Première, et le Premier Sacrifice, ceux-là, au jour même du départ, Unis à moi par la pensée, me connaissent encore. »