La Belle Coutelière/04

Bibliothèque-Charpentier (p. 34-47).


IV


Du côté de la Dordogne, l’ancienne ville close de Montglat est protégée par de hauts escarpements à pic, percés de « crozes », ou grottes, et de trous d’où s’échappent des volées de choucas. Ces escarpements sont orientés de l’est à l’ouest. Vers le levant, des jardins enclos de murs de trois côtés poussent leurs cultures jusqu’au bord de la falaise. Au couchant, une sorte de large chemin de ronde irrégulier suit l’arête des rochers jusqu’à l’extrémité de la haute colline calcaire. À la pointe extrême, s’amoncellent en mont-joies gigantesques les ruines du vieux château rasé par Simon de Montfort au temps de la croisade des Albigeois ; rebâti depuis ; pris, repris pendant les grandes guerres des Anglais, et ruiné définitivement par les guerres de religion. Point de haie, de mur, de parapet, le long de ce chemin ; un faux pas et on tomberait d’une hauteur qui donne le vertige aux étrangers, tandis que les habitants se penchent impunément sur le vide, par l’effet de l’accoutumance. Entre la ville et les ruines du château, s’étendent des terrains vagues où le roc vif affleure, des « sols » à dépiquer, des murs de pierres sèches, des broussailles rases et des ronciers où broute parfois une chèvre au piquet. Au point culminant, un massif de maçonnerie en décombres, encore appelé les « Justices », portait autrefois les fourches patibulaires de la justice consulaire de Montglat. De ce point, on a une vue splendide sur la vallée et le cours de la Dordogne. Parfois, en aval, une flottille de gabares, remontant la rivière à l’aide de leurs grandes voiles carrées, évoquent le souvenir des barques normandes et de ces terribles pirates aux crinières fauves, aux yeux bleus, qui avaient fait ajouter aux litanies des Francs ce verset épouvanté :

A furore Normanorum libera nos, Domine !

Sur ce plateau battu des vents, les herbes grêles ne peuvent vivre ; une sorte de gazon court, serré, feutre le chemin qui suit la crête des rochers aux endroits où un peu de terre a permis à la plante de germer.

Ce chemin des « Jouvencelles », comme on l’appelle, solitaire, infréquenté, est la promenade favorite des amoureux. Dans la belle saison, à la vesprée du dimanche, les jeunes filles s’en vont là par deux ou trois, les bras enlacés, bientôt rejointes par leurs galants ; et jusqu’à l’heure du souper, cette jeunesse rit, caquette et s’amitonne à loisir. La nuit tombée, à l’incertaine clarté des étoiles, des couples errent par là, silencieux et semblables à des ombres.

Un soir d’été de la Saint-Martin, des amoureux s’en allaient le long des rochers, la tête baissée, serrés l’un contre l’autre. Devant, marchaient Toinette et le docteur Miquel. Ces deux-là avaient des occasions de se voir ailleurs, mais ils étaient venus à la prière de Kérado pour décider Maurette. Ceux-ci venaient derrière ; Reine avait pris le bras de son ami et elle marchait doucement, écoutant avec bonheur les paroles d’amour murmurées à son oreille, et tressaillant lorsque le jeune homme lui baisait la main. Ils marchaient si lentement que les autres disparurent dans la nuit et, qu’arrivés près des ruines du château, Maurette, ne voyant plus son amie, s’épeura et parlait de s’en retourner. Mais, comme elle était sortie de chez elle avec Toinette qui était venue la prendre, il fallait bien rentrer avec elle. Et puis Kérado la rassura, l’entoura de ses bras et la serra contre sa poitrine avec de douces paroles amiteuses, en lui baisant les cheveux. Ils restèrent ainsi un moment, émus, écoutant le bruit sourd de leurs cœurs sursautant d’amour. Puis, des cheveux, les baisers du jeune homme glissèrent sur le front et de là jusqu’aux lèvres de Reine, qui fut prise de cet effroi pudique qui saisit parfois les jeunes pucelles en présence de l’irrémédiable… Mais, à ce moment, Toinette et le médecin les ayant rejoints, tous quatre revinrent vers la ville.

Lorsque les jeunes gens les eurent quittées pour n’être pas rencontrés de compagnie, la « Poulette » du Coq Hardi, comme on l’appelait quelquefois, confessa son amie encore palpitante.

— Que t’a-t-il dit ?

— Tu le devines bien… qu’il m’aimait plus que sa vie !

— Et puis ?

— Qu’il m’aimerait toujours…

— Et il t’a embrassée ?

— Oui…

— Et après ?

— Après vous êtes revenus.

Toinette se prit à rire et dit :

— Vous êtes des « nescis » ! puis elle remit Maurette à sa porte et rentra chez elle.

Après le regain de beau temps de la Saint-Martin, vinrent les pluies et les froidures hivernales peu propices aux promenades du soir. Kérado dut se contenter d’épier en passant sa petite mie derrière les vitres de la grande croisée close, et de la voir passer allant à l’église le dimanche, enveloppée d’une mante. C’était peu pour un amoureux, qui avait tâté le miel des lèvres de la bien-aimée, et il se dépitait fort de n’être pas plus avancé. Les autres couples, qui étaient en affaire réglée, profitaient des occasions et trouvaient toujours le moyen de se joindre en de furtifs et rapides rendez-vous. Mais lui n’en était pas là, car la Belle Coutelière ne lui avait pas encore « octroyé le don d’amoureuse merci », comme disait ce farceur de Viermont. Il eut pourtant quelques petites consolations. À la messe de minuit, il entendit sa chère Reine chanter les vieux noëls de jadis, et même un noël patois composé par quelque curé d’autrefois :

Reveillas-vous, pastourels,
Drubez lous els.
E laissas vostreis troupels.
Din l’estable avan jour,
Troubarez, pastours,
Lou Diou d’amour !

Ah ! ce mot d’« amour », comme elle le chantait à pleine gorge, avec une expression et des sonorités chaudes, vibrantes, passionnées, qui faisaient frissonner Yves dans le fond de l’église. À la sortie, pendant que Maurette suivait sa mère, il lui serra la main dans la foule et s’en fut un peu réconforté.

Cette nuit-là, on mangeait du boudin un peu partout. Gaudet, qui depuis quelque temps s’était accointé de la plus jeune sœur de Virginie, avait organisé un réveillon au café Montcazel, avec Gaujac et Sully Viermont qui, en ce moment, s’accommodait de la cadette, délaissée par Caraval, un peu jaloux de nature. Fillette, leur cousine, était venue aussi, de manière que chacun avait sa bonne amie, ce qui est une condition essentielle pour bien réveillonner. Quant à Virginie, elle était dépareillée depuis quelque temps.

Le docteur Miquel réveillonnait au Coq Hardi, chez Antoinette, qui avait invité son cousin le boucher, avec Clara Descalvel sa promise, dont elle devait être la fille d’honneur. Elle avait bien convié aussi son amie Reine, mais la mère Mauret l’avait voulu garder pour réveillonner en famille, ce dont était fort contrariée la petite.

Pour Kérado, pressé de venir, il refusa, sa mie n’y étant pas, et s’en fut se coucher pour penser à elle plus à loisir.

Mais vint le temps du carnaval, et le pauvre commis des tabacs eut quelques compensations plus substantielles que ses pensers solitaires. Depuis le jour des Rois jusqu’au mercredi des Cendres, les dimanches et les jours gras, il y avait deux bals publics à Montglat, l’un au café Montcazel, l’autre au Chêne-Vert, et, en outre, nombre de sauteries particulières. Dans cette petite ville, les distinctions de classes étaient en ce temps-là peu marquées. Grâce à son isolement, à son accès difficile qui rebutait les étrangers, les vieilles mœurs s’y étaient conservées, et un reste de l’égalité primitive des habitants, attirés dans la bastille par des franchises et des concessions de terres, subsistait encore, entretenu par un cousinage assez étendu des citadins qui s’étaient beaucoup mariés entre eux. Des descendants des premiers occupants, les uns avaient prospéré par leur industrie ou par l’heureuse chance de la découverte, sur leur lot de la plaine du Roy, d’une carrière de pierre meulière qui les avait enrichis. Mais, pour cela, ils n’affectaient point la supériorité sur leurs concitoyens moins habiles ou moins heureux, et riaient comme les autres — peut-être à contre-cœur — d’un vieux brocard sur leur commune origine :

Montglat, pays pierreux,
Race de gueux !

Les jeunes filles des familles bourgeoises, assez rares du reste, ne trouvaient donc point malséant, à l’occasion, de se rencontrer dans un bal particulier avec des artisanes qu’elles tutoyaient le plus souvent et réciproquement, pour avoir été ensemble à l’école des sœurs. Ainsi, au premier bal que donna Antoinette au Coq Hardi, assistaient Mlle Luce Viermont, conduite par son frère, et Mlle Agathe, nièce du greffier de la justice de paix, chaperonnée par sa tante, qui était cousine au cinquième ou sixième degré des Cadenet.

Reine était là aussi, et l’heureux Kérado la fit danser si souvent que Toinette lui dit pendant un repos :

— Vous voulez donc vous faire remarquer de sa mère !

L’orchestre était tout local, il se composait de deux « cabrettaïres » qui jouaient des contredanses, des bourrées, des sautières, et puis le congo, danse du pays, très belle et plaisante, qui est comme une espèce de pantomime amoureuse entre un galant et sa bonne amie.

Il faut être belle femme et bien faite pour cette danse. Au temps qu’elle était jeune, la Thibalde, comme s’appelait la mère de Reine, était réputée la meilleure danseuse de congo de Montglat. Maintenant, sa fille l’avait remplacée. Le Breton, qui ne connaissait pas cette danse, fut obligé de se contenter de la voir faire, mais vraiment cela en valait la peine, aussi faisait-on cercle pour la regarder.

Elle était en robe de mousseline blanche, la même qu’elle portait à la procession de la Notre-Dame d’août, y ayant ajouté seulement une ceinture de ruban rouge, dont les bouts noués sur le côté flottaient le long de la jupe. Rien sur la tête ; elle était comme casquée de ses beaux cheveux noirs, massés derrière la tête, et maintenus par un haut peigne à chignon qui semblait un cimier.

Tenant sa robe entre ses doigts, Maurette s’avançait, les yeux baissés, vers son danseur, puis elle s’arrêtait, cambrait la taille, rejetait la tête en arrière et marquait un temps d’arrêt pendant que le cavalier tourbillonnait autour d’elle. Ensuite elle se remettait en mouvement, faisait des pas, fuyait, revenait et pirouettait sur elle-même avec une gracieuse torsion de reins qui faisait coller la robe sur ses hanches. Après, ce furent d’autres attitudes, des mouvements rythmés et souples qui révélaient des formes de déesse. Enfin, comme saisie par le dieu de la danse, aux yeux ravis et jaloux de Kérado, la voici qui s’élance, multiplie ses pas cadencés, arrondit les bras au-dessus de sa tête, fait claquer ses doigts comme des castagnettes, ploie sur ses flancs, se meut, se balance et se tord avec la fougue chaste de la jeunesse exubérante… Puis cette ardeur tombe soudain, et la belle Reine s’avance, calme, vers un nouveau danseur, car dans le congo les couples qui dansent ensemble tournent en rond autour de la salle, les cavaliers passant successivement d’une danseuse à l’autre.

À la sortie du bal, Kérado s’en fut par les rues, où la lune projetait les ombres dentelées des pignons comme de gigantesques scies, et monta sur le chemin des Jouvencelles où il se promena longtemps, le chapeau à la main, livrant sa tête brûlante à la bise aigre de la nuit. Puis, un peu calmé par cette douche d’air froid, il rentra chez lui en passant par la rue du Grel.

La période qui va de la mi-carême à Pâques est, à Montglat, un temps de mortification pour les amoureux. Les filles, même les moins sévères, tiennent à faire leurs dévotions ; c’est une question de coutume et de convenance religieuse.

Nani, moussur ! disait en riant Adélaïde, la plus jeune sœur de Virginie, à Gaudet qui l’arraisonnait un soir ; il faut que je fasse mes Pâques !

Kérado, lui, était habitué en tout temps à ce régime d’abstinence, car il n’avait jamais voulu profiter des occasions de plaisir facile qui s’étaient offertes à lui. Cependant, cette situation commençait à le lasser. Sa fidélité à sa chère Reine était entière ; mais il était jeune, amoureux, et il la désirait avec une ardeur que ne laissait pas soupçonner sa contenance froide.

— Kérado file le parfait amour ! Kérado fait l’amour platonique ! disaient Gaudet, Miquel et les autres, qui le prenaient pour un amoureux transi.

La vérité était tout autre ; mais Maurette, qui pourtant en son cœur s’était déjà donnée, était moins impatiente de la réalité, et elle se complaisait dans les heureux préliminaires de la petite oie. Elle aimait profondément le jeune homme, mais un sentiment de pudique réserve la faisait hésiter encore. Il lui semblait banal et grossier de se donner, pour la première fois, de propos délibéré, dans un rendez-vous vulgaire, comme les autres. Puis sa délicatesse native répugnait à mettre une camarade, et surtout l’ami de celle-ci, dans la confidence de sa chute. Pourtant, sans Toinette, elle n’eût eu quasi point de moyen de voir son amoureux et de lui parler ; car c’était une complaisante amie, Mlle Cadenet, qui n’épargnait pas sa peine pour favoriser les amours de Maurette. Sous le prétexte de porter des ciseaux et des couteaux à repasser, elle avait avec celle-ci de secrètes confabulations et lui parlait du Breton en des termes qui faisaient « boire du lait » à la petite, comme on dit. Puis un jour elle lui remit une longue lettre que Reine lut le soir, au lit, la targette mise à la porte de sa chambre.

En attendant le jour où elle n’aura plus rien à donner, Maurette donne de ces menus objets, de ces chères babioles qui font le bonheur des jeunes soupirants : une fleur, un ruban, puis, après quelques hésitations, un petit billet, Toinette remet tout cela au grand Kérado, ravi ; cela lui fait prendre patience, mais le rend insatiable en même temps. Après plusieurs supplications épistolaires transmises par Toinette, Reine donne une partie d’elle-même, sous la forme d’une grosse mèche de cheveux coupée par derrière, de ces magnifiques cheveux qui lui tombent jusqu’aux jarrets. Kérado, recevant ce trésor, en est comme imbécile, et dix fois le jour il baise en cachette ces cheveux, imprégnés des émanations de sa bien-aimée.

Après s’être longuement délecté de cette parcelle chère de sa mie, Yves voudrait davantage. Les beaux jours d’avril étant revenus, il pressait Toinette de lui ménager une entrevue. Un soir, celle-ci mène son amie sur le chemin des Jouvencelles, où Miquel et Kérado devaient les rejoindre. Mais à peine étaient-elles arrivées, que, des ruines du château, sortit un individu qui passa et repassa, qu’elles reconnurent pour le « Tétard », comme on avait baptisé Capdefer à cause de sa grosse tête. Lors, les deux jeunes filles s’en retournèrent contrariées ; aussi le lendemain, saisissant un moment où l’ouvrier était seul à la boutique, Reine lui dit hardiment :

— Vous savez que je ne veux pas être espionnée !

— Je me promenais, répondit-il sans la regarder.

— Promenez-vous tant que vous voudrez, mais pas du côté où je serai ! je vous le défends !

Capdefer ne répliqua pas et continua de limer.

La présence de cet homme, qui ne lui était déjà pas sympathique, devint odieuse à Maurette. Pour ne pas le voir, elle restait à travailler en haut, ou, lorsque le temps le permettait, elle allait au jardin avec son ouvrage. Le jardin du coutelier était un de ceux qui bordaient les rochers. Des murailles tapissées de treilles, de pêchers, le séparaient des autres, et, du côté de la ville, un chemin bordé de murs y donnait accès par une porte fermant à clef. Au milieu, sous un gros prunier, était un cabanon où Reine travaillait. De là, elle laissait parfois ses yeux errer sur le cours de la rivière, qui se déroulait lentement le long de la vallée comme un immense serpent aux écailles d’argent. De l’autre côté, en face, s’étageaient des collines irrégulièrement découpées, avec des roches pittoresques, des bois d’yeuses à la verdure sombre, des vignes, et des villages campés sur les croupes fauves. De ce massif saillaient par endroits des mamelons chauves aux belles lignes antiques, et des puys escarpés couronnés de ruines recuites et dorées par le soleil des âges. La petite regardait tout cela distraitement ; elle pensait à son cher Yves et désirait le revoir… Mais de retourner du côté du château ruiné elle n’osait, Capdefer étant fort capable de l’épier sans se montrer.

Ah ! s’il avait été là dans ce jardin où elle était seule, libre, et, par la porte barrée, à l’abri des indiscrets ! Cette pensée la fit rougir.

Cependant le mois de mai vint. Le temps était doux ; la terre, échauffée par le soleil, fermentait et dégageait ces effluves troublants du renouveau de l’année qui incitent tous les êtres à aimer… Dans l’église illuminée, embaumée, devant l’autel de Marie, embuissonné d’aubépine, fleuri de lilas, de muguet, de véronique, les chanteuses étaient rangées. Elles étaient cinq ; pour remplacer Virginie, le curé avait recruté Mlle Viermont, qui avait une jolie voix. Sa chevelure, aux tons dorés, brillait entre les cheveux noirs de Maurette et la tête de maugrabine de Marion Caraval, comme une javelée d’épis mûrs, et attirait les regards avides de Gérard, le clerc de son père.

Et bientôt commencèrent les litanies de la Vierge, cette ardente glorification de la femme, sous le nom de la mère de Christ.

Dans le fond de l’église, Kérado, retiré en un coin, écoutait et regardait en extase.

Oh ! cette voix divine de son aimée, égrenant les poétiques appellations de la Reine du ciel, comme elle retentissait amoureusement jusqu’au fond de son être !

Virgo potens !… Causa nostræ lætitiæ !… Turris eburnea !… Regina virginum !… Janua cœli !… Stella matutina !… Rosa mystica !

Sous les lumières qui l’hypnotisaient, enivré par les parfums des fleurs et de l’encens, un long frisson de volupté secouait Kérado.

« Ô ma Rose mystique ! ô vierge puissante sur mon cœur ! ô ma divine Reine ! ô porte du ciel que va m’ouvrir ton baiser !… »

Et, fou d’amour, il s’enfuit.

Le lendemain, Maurette était dans son jardin, rêveuse, et soupirait en pensant à son ami. Du cabanon où elle était assise, son regard suivait, indécis, des nuages aux formes fantastiques qui glissaient lentement dans le ciel bleu, quand soudain, dans les broussailles de la falaise à pic qui bordait le jardin, elle ouït un bruit singulier comme si quelqu’un escaladait les rochers à grand’peine. Anxieuse, elle regardait, le cœur palpitant, et tout à coup vit apparaître la tête de Kérado, puis lui tout entier, qui s’enleva sur les poignets, et courut en se courbant vers le cabanon. Mais dans quel état ! sans chapeau, les vêtements déchirés, la figure égratignée par les ronces et les épines, les mains éraflées !

Les larmes aux yeux, Reine étanchait avec son mouchoir le sang qui perlait au visage de son ami, agenouillé devant elle.

— Vous auriez pu vous tuer ! murmura-t-elle, tremblante.

— Ô ma Reine ! j’avais soif de vous voir ! à tout prix !

Et comme il l’attirait dans ses bras, elle se laissa aller, ferma les yeux, et leurs lèvres se joignirent.