E. Plon (p. 36-52).

III

À SAINTE-HÉLÈNE

Le lendemain matin, M. du Longpré fut debout le premier.

Il lui tardait de parcourir du regard cette île perdue au milieu de l’Atlantique et dont on connaîtrait à peine le nom, si le supplice d’un héros ne l’avait rendue célèbre à jamais.

De l’Espérance, on voyait au-dessus des fortifications les maisons blanches, les casernes et l’église de la ville, qui s’étend jusqu’au fond de la gorge profonde que la nature a creusée entre Ladder Hill (montagne de l’Échelle), rocher pelé de 200 mètres de hauteur, au sommet duquel on arrive par un effrayant escalier de bois, et Munden-Point, autre roche énorme, hérissée de canons comme Gibraltar. Au-dessus de tout cela, rien que l’épais rideau de nuages qui enveloppaient encore l’île tout entière.

M. du Longpré était là depuis plus d’une demi-heure, évoquant en face de cette terre maudite les grands souvenirs de l’épopée impériale, et il se demandait s’il existait vraiment quelque infortune humaine comparable à celle de l’homme qui, descendu et non tombé de la toute-puissance, s’était éteint loin de ceux qu’il aimait, quand il entendit prononcer son nom par une voix qui le fit tressaillir. Il se retourna.

Gabrielle n’était qu’à quelques pas de lui. À sa vue, il ne put retenir un mouvement d’admiration.

Sachant que ceux des excursionnistes auxquels cela conviendrait pourraient se rendre à Longwood à cheval, et parfaite écuyère, mademoiselle Berthier avait saisi avec empressement cette bonne fortune de se donner un plaisir dont elle était privée depuis si longtemps ; et elle portait un sévère costume d’amazone qui faisait admirablement valoir l’élégance et la richesse de sa taille. Jamais sa beauté n’avait brillé d’un tel éclat.

Paul en fut à ce point ébloui qu’il hésita à venir à elle. Ce fut la jeune fille qui, la première, lui tendit la main, et fort heureusement pour M. du Longpré que les autres touristes arrivèrent au même instant, car s’il avait répondu avec passion à l’étreinte de la jeune fille, il ne trouvait pas un mot à lui adresser.

Au nombre des passagers qui allaient à terre, il y avait un capitaine de l’armée du Bengale, sir Georges Fitzgerald, et un clergyman en disponibilité, le révérend Robertson.

Ces deux hommes offraient le plus étrange des contrastes.

Autant l’officier, tout jeune encore, était gai, loyal, haut en couleur, autant le révérend était blême, froid, compassé.

Sir Georges Fitzgerald ne cachait pas son admiration pour l’Empereur et son mépris pour son geôlier. C’était dans le seul but de rendre hommage à la mémoire de Napoléon qu’il voulait visiter le lieu de son exil et de sa mort.

Fils d’un grand négociant de la Cité que le blocus continental avait ruiné, le clergyman, au contraire, détestait l’Empereur et tout ce qui rappelait son souvenir. S’il daignait aller à Longwood, c’était tout simplement, disait-il, parce qu’un Anglais doit tout voir.

C'était, sans doute, dans ce même but, que le digne Robertson s’était fait donner dans l’Inde la mission évangélique qui lui avait permis, racontait impitoyablement sir Georges, d’entrer, sans bourse délier, dans les temples et les pagodes, pour y mutiler les statues, à la plus grande gloire du prosélytisme et surtout pour le plus grand bien de sa collection.

Car le révérend était un collectionneur enragé. Ainsi que bon nombre de ses compatriotes, il ne voyageait pas sans une canne dont la pomme, en forme de marteau, lui servait à briser, là où il le pouvait sans être vu, le morceau de marbre qu’il convoitait.

C’était enfin un de ces Anglais flegmatiques et antipathiques qu’on rencontre partout, — celui qui écrit ces lignes en sait quelque chose, — aussi bien au cap Nord qu’à la terre de Feu, au musée du Louvre qu’à Pompéi, dans les arènes de Pouzzoles qu’au sommet du pic d’Adam, portant en bandoulière une gourde de brandy, qu’ils gardent pour eux seuls, et, dans leurs vastes poches, quantité de petites bibles qu’ils offrent à tout le monde.

On pense aisément combien sir Georges et le clergyman s’accordaient peu. Leurs querelles étaient une des plus grandes distractions de la chambre, surtout lorsqu’ils se provoquaient aux échecs, jeu où ils excellaient tous deux, mais auquel Fitzgerald avait déjà gagné au révérend certaines pièces intéressantes de sa collection.

L’officier ayant refusé de jouer seulement pour l’honneur, et Robertson n’étant pas en fonds, ce dernier avait dû en passer par la fantaisie du jeune homme ; mais si, lorsqu’il perdait, sir Georges payait gaiement, en bons souverains, il emballait soigneusement, lorsqu’il gagnait, les bibelots du collectionneur, en refusant de les lui revendre à quelque prix que ce fût.

Les autres promeneurs étaient, femmes ou hommes, des gens insignifiants, qui ne jouent aucun rôle dans ce récit.

Pendant que ses passagers se réunissaient sur le pont, le capitaine Saulnier avait fait armer le canot dans lequel il voulait les conduire lui-même à terre.

Quelques instants après, les hôtes de l’Espérance avaient pris place dans l’embarcation. Dix minutes plus tard, ils accostaient au débarcadère de Munden Point.

Durant cette courte traversée, M. du Longpré n’avait pas quitté des yeux Gabrielle, s’enivrant de sa beauté comme pour s’armer de plus de courage encore afin de tenir son serment.

Le choc du canot contre le quai le rappela à lui.

Il sauta à terre et offrit la main à la jeune fille, pour l’aider à débarquer.

La physionomie de mademoiselle Berthier était plus grave que d’ordinaire. On eût dit qu’elle avait lu sur le visage du créole tout le trouble de son esprit, et qu’elle pressentait qu’il allait se passer entre elle et lui quelque scène décisive.

Toutefois, elle accepta son bras, et, se mêlant tous deux à leurs compagnons d’excursion, ils franchirent le pont-levis pour gagner le long sentier creusé dans le roc qui conduit à la ville.

Rien de plus triste que cette route conquise sur la montagne et que dominent des rochers à pic. On ne serait pas surpris de lire au-dessus de la porte qui ouvre ce chemin le : Au delà, plus d’espérance de l’Enfer de Dante.

Mais l’aspect devient bientôt moins lugubre. Lorsqu’on arrive sur la place du Gouvernement, la ville apparaît au contraire coquette et riante, avec ses maisons peintes et d’une irréprochable propreté.

La petite troupe venait de dépasser le jardin du Gouvernement et allait entrer dans la petite rue de James Town, lorsqu’elle s’arrêta pour prêter l’oreille à la discussion qu’avaient ensemble sir Georges et Robertson.

La tête nue et la main levée vers une petite maison qui faisait l’angle de la rue, l’officier disait au révérend, en le retenant par le bras :

— C’est là, cher monsieur Robertson, que le 16 octobre 1815, l’empereur Napoléon a passé sa première nuit à Sainte-Hélène.

— Eh bien ! en quoi cela m’intéresse-t-il ? Maison sans style et sans caractère ! répondit d’un ton bourru le clergyman. C’était tout ce qu’on devait à l’ennemi de l’Angleterre. N’aurait-il pas fallu lui offrir un palais ?

Et, se dégageant, il poursuivit seul sa route vers l’hôtel Salomon, où le capitaine Saulnier avait fait préparer un déjeuner pour ses passagers.

Pendant que ceux-ci prenaient place dans une salle à manger, que le propriétaire de l’hôtel avait remplie de souvenirs de l’Empereur, on attelait les voitures et l’on sellait les chevaux des voyageurs.

M. du Longpré, fort bon cavalier comme tous les créoles, avait naturellement retenu pour lui une des montures. Lorsque le moment de partir fut venu, il mit Gabrielle en selle, et, sautant ensuite à cheval, il demanda à la jeune fille l’autorisation de marcher près d’elle.

Mademoiselle Berthier le lui permit, mais seulement avec politesse et sans le sourire gracieux dont elle avait coutume d’accompagner ses réponses.

Paul comprit qu’il allait avoir à faire le siége d’une place décidée à se défendre.

Sir Georges était également à cheval, ainsi que deux ou trois autres touristes ; mais, aussi bien par goût que pour fuir le trop fréquent voisinage de son ennemi intime, le révérend Robertson était monté dans l’une des voitures.

Tout le monde casé, la petite troupe se mit en mouvement en suivant la grande rue pour atteindre Side-Path, la route fort bien entretenue qui conduit dans l’intérieur de l’île.

Après une demi-heure de marche, cavaliers et voitures s’arrêtèrent un instant.

On était arrivé sur un petit plateau d’où la vue s’étend jusqu’à la mer. Mais, malgré tout le pittoresque du spectacle qu’offre cette gorge profonde, le long de laquelle les maisons de James Town semblent se perdre dans la rade, les promeneurs ne firent là qu’une courte station. Il leur tardait d’arriver à Briars.

Gabrielle et Paul n’avaient échangé que des phrases insignifiantes et brèves.

Quelques instants plus tard, ils mettaient pied à terre, ainsi que leurs compagnons, au pied du petit monticule sur lequel s’élève le misérable pavillon que l’Empereur habita pendant près de deux mois, avant de se rendre à Longwood.

C’était alors un simple chalet qui dépendait de la propriété de M. Balcombe, négociant de l’île. Jamais Napoléon, même dans le cours de ses plus rudes campagnes, n’avait été aussi mal logé. Il n’y restait aucune trace de son séjour. Sir Georges Fitzgerald n’eut pas la satisfaction de le faire remarquer à l’honorable Robertson, car le digne révérend n’avait pas daigné descendre de voiture.

Les passagers de l’Espérance s’empressèrent de s’éloigner de ce triste lieu pour se diriger vers Longwood.

La route était fort belle, mais montait beaucoup ; les voitures allaient au pas. M. du Longpré se tenait toujours auprès de mademoiselle Berthier.

— À vous, si bonne écuyère, dit-il à la jeune fille, cette allure ne doit plaire que fort peu. Ne voulez-vous pas que nous allions plus vite ?

— Volontiers, répondit Gabrielle.

Et rendant la main à son cheval, elle partit au galop.

M. du Longpré la rejoignit en un instant.

Cinq minutes après, ils étaient hors de la vue de leurs compagnons, non pas tant grâce à la distance qu’ils avaient parcourue que grâce aux courbes nombreuses que décrivait le chemin.

Paul avait compté sur cet isolement, car il savait que sir Georges Fitzgerald ne le rejoindrait pas. L’officier anglais s’était galamment chargé de veiller sur deux jeunes filles qui faisaient à cheval, elles aussi, l’excursion de Longwood.

Mais ce n’était pas le tout pour le jeune homme d’être seul avec celle qu’il aimait, il fallait maintenant qu’il lui avouât cet amour, ainsi qu’il se l’était juré. Or il ne savait comment prier Gabrielle de l’entendre.

Ils avaient dépassé Hut’s gate, petite maison où le général Bertrand demeura pendant plusieurs mois, en attendant qu’on lui eût préparé une habitation auprès de Longwood, et ils arrivaient le long du terrible précipice que les Anglais ont nommé Devil’s Punch Bowl, le bol de punch du diable.

À la vue de cette excavation naturelle de plus de mille pieds de profondeur et d’une égale circonférence au moins, excavation aux flancs nus et déchirés qui semble le cratère d’un volcan éteint, mademoiselle Berthier arrêta brusquement son cheval pour admirer cette image du chaos.

— N’est-ce pas que cela est beau dans son horreur ? dit-elle à Paul, en se tournant gracieusement de son côté.

Elle s’aperçut alors que son cavalier était d’une étrange pâleur, et ajouta :

— Qu’avez-vous donc ?

Comprenant que le moment décisif était venu, M. du Longpré tremblait.

À la voix de la jeune fille, il se remit promptement et, s’approchant d’elle, lui répondit :

— Ce que j’ai, mademoiselle, c’est que l’heure a sonné pour moi de jouer ma vie sur un seul mot de vous ; c’est que je me suis juré de ne pas retourner à bord de l’Espérance avant de vous avoir fait un aveu.

— Un aveu ! fit Gabrielle en feignant une surprise plus grande qu’elle ne l’éprouvait peut-être. Lequel ?

— Celui de ma respectueuse admiration et de mon amour.

— Monsieur du Longpré !

— Ah ! pardonnez-moi, mais je souffre trop, depuis quelques jours surtout, depuis que vous me fuyez, que vous ne m’accordez plus cette confiance que vous me témoigniez et dont j’étais si fier.

— J’ai toujours la même confiance en vous.

— Pourquoi vous éloignez-vous de moi, à bord ?

— Parce que je ne voulais pas entendre ce que vous venez de me dire, ce que vous n’auriez pas dû me dire.

La jeune fille avait prononcé ces derniers mots d’une voix émue, presque douloureuse.

— Ainsi, je vous ai blessée, reprit Paul ; vous ne voulez pas croire à cet amour dont je ne suis plus le maître ?

— Je ne vous dis pas que je ne veux pas y croire, mais je ne dois pas y croire.

— Écoutez-moi, Gabrielle.

— Prenez garde, voici nos compagnons qui nous rejoignent.

La petite troupe, en effet, se rapprochait rapidement.

— N’importe, reprît Paul, je n’ai plus qu’un mot à vous dire !

La jeune fille fit signe qu’elle écoutait.

— Ce que je vous demande en grâce, poursuivit le créole d’une voix fiévreuse, ce n’est pas encore de m’aimer, mais seulement de me permettre de vous répéter que je vous aime. Ce que j’implore de vous, c’est la promesse de ne plus me fuir, de reprendre, au contraire, nos entretiens. Si vous ne pouvez m’accorder cette faveur, je ne vous en voudrai pas, mais je m’en jugerai indigne et, je vous le jure, comme je ne saurais supporter cette torture de vivre si loin de vous en vous voyant chaque jour, j’arrêterai ici mon voyage, je renoncerai à aller en France, je retournerai à Bourbon pour n’en plus sortir jamais.

Le ton de fermeté avec lequel M. du Longpré avait prononcé ces dernières phrases fit tressaillir Gabrielle. Depuis longtemps déjà elle avait jugé Paul, elle savait qu’il était un de ces hommes qui n’ont qu’une parole et ne font jamais de compromis avec leur conscience. Or, cette menace de séparation l’épouvantait.

Aussi, brusquement, comme par un mouvement tout spontané, irréfléchi, lui tendit-elle la main, en disant :

— Non, ne restez pas ici, venez en France avec nous.

El sans attendre la réponse de M. du Longpré, dont la physionomie s’était transformée, elle fit faire à son cheval une volte savante et rejoignit les autres touristes qui, d’ailleurs, n’étaient plus qu’à quelques pas en arrière.

Aucun des passagers n’aurait certes pu lire sur les traits de la jeune fille l’émotion qui l’avait dominée pendant quelques secondes, car, en arrivant auprès de ses compagnons, son visage était froid, souriant, à peine coloré par la rapidité de la course.

Si Paul avait été là, il eût certainement été surpris de ce calme et de cette puissante volonté chez une jeune fille de l’âge de Gabrielle. Mais, au lieu de revenir en arrière, M. du Longpré, au contraire, s’était élancé en avant, tout entier à son bonheur, voulant être seul, pour que rien ne pût le distraire de ses espérances.

Il ne se mêla de nouveau aux promeneurs que lorsqu’ils arrivèrent à Longwood, où tous, y compris le révérend Robertson, mirent pied à terre.

Paul avait aidé Gabrielle à descendre de cheval, et au moment où, palpitant d’amour à son contact, il la tenait dans ses bras, il avait murmuré à son oreille un remercîment, auquel la jeune fille avait répondu par un sourire et aussi par un de ces regards magnétiques qui le rendaient fou.

Puis elle prit le bras de son cavalier pour rejoindre les autres visiteurs.

Ceux-ci venaient de dépasser les deux petits pavillons en ruine qui forment l’entrée de l’ancienne habitation de Napoléon.

L’aspect délabré de Longwood avait arraché un geste de colère à sir Georges Fitzgerald, qui s’était respectueusement découvert en franchissant le seuil de cette maison si brutalement profanée.

— Qui donc saluez-vous ? eut la maladresse de demander Robertson à l’officier.

— Le souvenir de celui dont le supplice et la mort seront une tache éternelle pour mon pays, cher monsieur Robertson, répondit sèchement sir Georges. Cela vous étonne ? C’est que nous ne professons pas, vous et moi, la même morale et que vous connaissez peu notre histoire. Permettez-moi de vous la rappeler.

— Je n’y tiens pas, répondit le clergyman, qui craignait quelque coup de boutoir de son fougueux compatriote.

Et il s’éloigna rapidement.

Mademoiselle Berthier et Paul ne le retrouvèrent qu’une demi-heure plus tard au fond de Rupert Valley, dans cette espèce d’oasis, la vallée du Tombeau, où l’Empereur fut inhumé, près de la source qui jaillit d’un rocher, à quelques pas de la maison habitée jadis par le docteur Kay.

Les cyprès qui entouraient le tombeau avaient résisté aux injures du temps ; ils avaient grandi au contraire, et leur feuillage sombre rendait encore plus triste cette petite vallée, dont nulle description ne pourrait rendre l’aspect lugubre et mystérieux.

Nos promeneurs allaient s’éloigner lorsque sir Georges aperçut Robertson qui détachait à l’aide de son couteau une énorme branche de l’un des arbres.

— Je vous y prends, mon révérend, lui dit l’officier. Comment se fait-il que, détestant l’Empereur, vous vouliez emporter un souvenir de sa tombe ?

Surpris en flagrant délit d’une action qui n’était plus qu’un simple larcin, puisqu’elle n’avait pour mobile que l’avidité du collectionneur et non le respect pour le mort, Robertson répondit d’un ton piqué à son interlocuteur :

— Je vous ferai observer, sir Georges, que je n’ai aucune vénération pour Bouddha, et que je n’en rapporte pas moins, de sa pagode de Tritchinapaly, des fragments précieux pour un archéologue.

— C’est vrai ! riposta le gentleman, je vous ai même déjà gagné deux ou trois de ces fragments-là !

Puis il ajouta en aparté en s’éloignant :

— Comme je vous gagnerai encore, clergyman défroqué, cette branche de cyprès que vous êtes indigne de posséder.

Quelques instants après, la petite caravane sortait de la vallée du Tombeau et reprenait son ordre de marche.

Pour rejoindre la grande route, elle dut côtoyer de nouveau le Bol de punch du diable.

La vue du gouffre rappela à M. du Longpré que là, peu d’instants auparavant, il avait dit à Gabrielle qu’il l’aimait, et que la jeune fille lui avait répondu : Poursuivez votre voyage.

Le même souvenir venait sans doute de s’éveiller dans l’esprit de mademoiselle Berthier, car les regards des deux jeunes gens se rencontrèrent, l’un tendre et reconnaissant, l’autre dominateur et brillant d’orgueil.

Une heure plus tard, les excursionnistes étaient réunis une seconde fois dans la salle à manger de l’hôtel Salomon, où le capitaine Saulnier les attendait pour les reconduire à son bord.

Au moment où l’embarcation accostait le trois-mâts, mademoiselle Berthier pria Paul de l’aider à en gravir l’échelle, et elle lui saisit la main avec une telle force qu’on eût dit que, pour jamais, Gabrielle rivait à elle celui qui l’adorait comme un fanatique.

Le soir même L’Espérance reprit la mer.

Le lendemain, au lever du soleil, le trois-mâts était seul de nouveau sur l’immensité.