Édouard Garand (17p. 31-32).

CHAPITRE VII

UN QU’ON CROYAIT NE PLUS REVOIR


Après le départ de Marcelle, Gaétan eut voulu partir, en exploration lointaine ; mais Mme de Bienencour était malade, d’une sorte d’influenza, accompagné de rhumatisme articulaire, et c’eut été presque brutal de la quitter. De plus, la marraine de Marcelle avait fait comprendre à son neveu qu’il se devait à la société et qu’il était de son devoir de se rendre aux invitations écrites, qui s’accumulaient sur son pupitre.

Inutile de le dire, Gaétan de Bienencour était très recherché, et non sans raison ; n’était-il pas le plus aimable, le plus gentil garçon, et le meilleur parti de la ville de Québec ?

Il resta donc chez sa tante, mais il fuyait le boudoir de Mme de Bienencour, dans lequel se tenait habituellement Iris Claudier. Si la jeune fille arrivait dans une pièce où il se trouvait, vite il se retirait, sous un prétexte quelconque : il ne pouvait la souffrir.

Iris n’avait pas tardé à constater qu’elle avait fait une colossale gaffe, le soir du bal. Sous l’impulsion de la haine que lui inspirait Marcelle, elle avait dit des choses, qu’elle regrettait, maintenant qu’il était trop tard, non à cause du tort qu’elle aurait pu faire à la filleule de sa vieille parente, mais à cause de l’effet que son langage avait eu sur Gaétan. De fait, elle était presque au désespoir, en constatant le tort qu’elle s’était fait à elle-même, dans l’esprit du jeune homme. Il la fuyait. Il n’était plus le temps où il la nommait joyeusement ; « Cousine Iris » (cela lui avait toujours fait battre le cœur, jadis). Les aimables causeries ensemble étaient finies ! Finies aussi les promenades en voiture ou à cheval, finies, les soirées passées au théâtre !

Injustement, Iris rendait Marcelle responsable de ce qui se passait, et sa haine contre celle-ci allait s’augmentant, de jour en jour. Elle se dit qu’elle saisirait la première occasion qui se présenterait pour se venger de « cette poupée », qui lui avait enlevé le cœur de Gaétan. Pauvre fille ! Comment avait-elle pu croire, même un instant, que ce jeune homme, si fêté, si recherché, si favorisé, de toutes manières, eut songé à lui faire la cour, à elle, si mal partagée sous le rapport de charmes ?

L’état de Mme de Bienencour allant s’empirant, Gaétan lui dit, un jour, qu’il lui tenait compagnie, dans son boudoir, Iris étant sortie.

— Tante Paule, nous allons faire venir un médecin ! Oui, je sais, vous n’y tenez pas, mais…

— Vois-tu, Gaétan, répondit-elle, mon médecin est absent et je préfère attendre son retour.

— Impossible, chère tante ! fit Gaétan. Vous souffrez… et vous devriez être au lit, enveloppée de moelleuses couvertures et entourée de sacs d’eau chaude.

— C’est précisément cela, mon neveu ! dit Mme de Bienencour, en riant. Vois-tu, le Docteur Miguel me connait ; il sait que je ne veux pas me mettre au lit, car je crains toujours de ne plus me relever.

— Allons ! Allons, tante Paule ! Je vous en prie !… Consentez à ce que j’aille chercher un médecin, voulez-vous ?… Je ne vous cacherai pas que votre état m’inquiète quelque peu… Je pars, et ne reviendrai qu’accompagné d’un disciple d’Esculape, dit Gaétan, en souriant.

— Comme tu voudras, cher enfant ! fit Mme de Bienencour, en haussant légèrement les épaules.

Lorsque Gaétan revint, au bout d’un quart d’heure à peu près, li était accompagné du Docteur Nippon.

On se souvient du Docteur Nippon ? Nous l’avons vu, plus d’une fois, au chevet de cette pauvre Ondine Fauvet.

— Ah ! tiens ! Le Docteur Nippon ! s’exclama Mme de Bienencour, en l’apercevant.

— Vous êtes souffrante, Madame, me dit M. de Bienencour ? Je vais immédiatement prendre votre température, dit le médecin.

— Je vous laisse avec votre malade, Docteur, fit Gaétan, en se retirant.

Quand le médecin eut constaté la température de la malade et qu’il eut interrogé celle-ci, il écrivit deux prescriptions, puis il dit :

— Ces remèdes… Il faut que vous les preniez, le plus tôt possible, Madame.

— C’est bien ! répondit Mme de Bienencour. Elle posa le doigt sur un timbre qui se trouvait à sa portée, et Iris Claudier entra dans le boudoir.

— Iris, dit la malade, veux-tu t’occuper, toi-même, de faire remplir ces prescriptions ?

— Certainement, ma tante ! répondit Iris, en recevant les prescriptions des mains du Docteur Nippon.

— Iris, je te présente le Docteur Nippon ; Docteur Nippon, ma jeune parente Mlle Claudier.

— Ciel ! Qu’elle est laide ! se dit le médecin, tout en s’inclinant profondément devant la jeune fille. Ce teint de… boue ! Ce nez retroussé ! Ces yeux de chat ! Et puis, pourquoi ferme-t-elle les yeux ainsi pour parler ?… Peut-être est-elle intelligente cependant, et… elle est la nièce de Mme de Bienencour ; c’est quelque chose cela… Je verrai ! Je verrai !…