L’isotopie et les éléments isotopes/14

Société « Journal de Physique » (9p. 157-177).


CHAPITRE XIV

PHÉNOMÈNES D’ÉQUILIBRE DE RÉGIME DÉPENDANT DE LA MASSE


Nous envisagerons dans cette première catégorie quelques phénomènes d’équilibre de régime, où une configuration moléculaire est réalisée sous l’action simultanée de forces extérieures appliquées aux masses et de l’agitation thermique. La distribution d’équilibre ne comporte pas de séparation complète, mais seulement une séparation partielle, dont le degré varie avec les conditions de l’expérience.


41. Gravitation. — Dans une colonne verticale de gaz à température constante les molécules soumises à l’agitation thermique et à l’action de la pesanteur, prennent une distribution de régime telle, que la concentration diminue régulièrement quand on s’élève en hauteur. Si no est la concentration au niveau o, n celle au niveau h, g l’accélération de la pesanteur, T la température absolue, R la constante moléculaire des gaz parfaits et m la masse moléculaire, on obtient la formule bien connue

.


Si deux gaz, de masses moléculaires et se distribuent indépendamment, on aura :

.


On en déduit pour le coefficient d’enrichissement du gaz 2 par rapport au gaz 1 :

.


si , on a r < 1 de sorte que le rapport des concentrations est plus petit au niveau h qu’au niveau o, ce qui équivaut à une séparation partielle des gaz par la gravitation.

On peut appliquer ce calcul à la teneur de l’atmosphère en néon, en faisant abstraction du trouble apporté par le manque d’uniformité de la température. Dans la couche dite isotherme, Lindemann et Aston [87] admettent T = 220° pour l’Angleterre. Exprimant h en kilomètres et posant


on trouve

.

Pour h = 30 km. r = 0,725, de sorte que le pourcentage normal des atomes de Ne22, soit 10 %, serait ramené à 7,25 % environ ; le poids atomique moyen serait abaissé de 20,20 à environ 20,15. On peut imaginer un ballon sonde aménagé pour une prise d’air à l’altitude indiquée ; le résultat obtenu serait peu considérable. On ne prévoit, d’ailleurs, aucune méthode permettant de tirer utilement parti de l’action de la pesanteur.

42. Force centrifuge. Centrifugation des gaz. — Le champ de force centrifuge pratiquement réalisable est bien plus considérable que le champ de gravitation. Il y a donc lieu d’examiner ce procédé de séparation.

Considérons le cas d’un gaz contenu dans le tube d’une centrifugeuse et désignons par la distance d’une section du tube à l’axe de rotation, par la vitesse angulaire. Chaque tranche de gaz comprise entre les distances et est en équilibre sous l’action de la force centrifuge et de la différence de pression sur les deux faces.

On peut écrire pour les molécules de masse m et de concentration n,

.


dp étant l’accroissement de pression sur la distance . Comme , il en résulte

.

En intégrant entre les distances o et , auxquelles correspondent les vitesses v = o et v = pa, on trouve

.[1]
Soient deux gaz isotopes, de masses moléculaires et qui se distribuent

indépendamment dans un tube de centrifugeuse de longueur L, entre les distances et l de l’axe, et soient et les concentrations qui correspondent à , , et celles qui correspondent à l

.

Le coefficient d’enrichissement pour les molécules , entre l’extrémité périphérique et l’extrémité axiale du tube se calcule par le rapport

Le coefficient ainsi introduit dépend de la différence () mais non de ou  ; il est donc indépendant de la présence dans les molécules isotopiques d’un élément commun tel que H dans HCl. Pour une centrifugeuse de vitesse périphérique déterminée, la valeur de r à une même température (par exemple à la température ordinaire), est une constante pour chaque gaz, et cette constante est la même pour les gaz pour lesquels a la même valeur (par exemple Ne et HCl). La vitesse périphérique maximum que l’on puisse envisager actuellement est  ; on trouve, en ce cas, en négligeant par rapport , à la température ordinaire T = 290, pour

La différence des poids moléculaires moyens M et pour le gaz à la périphérie et le gaz au centre se déduit de r par la formule suivante (voir p. 156).


et sont les proportions de molécules et pour le gaz du centre.

Ces proportions ne sont pas nécessairement les mêmes que dans le gaz naturel soumis à la centrifugation, et il y a à considérer les cas suivants :

1° Le gaz a été introduit dans le tube et celui-ci est fermé pendant la centrifugation ;

2° Le gaz est fourni au tube par un réservoir d’alimentation communiquant au centre et se trouve plus ou moins complètement aspiré pendant la rotation.

Dans le premier cas le gaz au centre est appauvri en molécules par rapport au gaz d’origine. Dans le deuxième cas le rapport des concentrations et s’écarte plus ou moins du rapport des concentrations N et dans le mélange initial, suivant la capacité du réservoir d’alimentation.

J’indiquerai ici une méthode qui permet de traiter le problème complètement. Pour cela il me paraît utile d’introduire une variable z pouvant convenir à tous les gaz et définie ainsi :

.

À une valeur de faisons correspondre l’intégrale , dont la valeur est proportionnelle au nombre de molécules m qui seraient contenues dans le tube entre les distances à l’axe 0 et si le tube commençait à l’axe.


l est la distance entre l’axe et l’extrémité périphérique du tube, et est la vitesse périphérique.

L’intégrale est obtenue par une intégration graphique effectuée sur la courbe d’abscisse z et d’ordonnée . Il suffit pour cela d’évaluer l’aire entre cette courbe et l’axe des z jusqu’à l’abscisse . Pour les molécules l’intégrale correspondante s’obtient sur la même courbe en augmentant dans le rapport l’abscisse limite de l’intégration. Pour faciliter les calculs il suffit de construire une deuxième courbe d’abscisse z et d’ordonnée S où . Ces deux courbes suffisent à tous les besoins du calcul.

Les intégrales et qui correspondent aux limites supérieures et ont les propriétés suivantes :

1° Quand on fait croître le coefficient commun K, en augmentant la vitesse de rotation, la distance à l’axe, ou en diminuant la température, les accroissements de et sont dans le rapport

.

Pour un même gaz ( et constants), ce rapport croît rapidement avec la valeur de K.

2° Quand on conserve à K une valeur constante et que l’on fait croître ( en laissant constante la différence , les limites supérieures s’accroissent de et et l’on trouve :

r est constant.


Comme . Quand croît, , tend vers 1 et vers r. Pour . Pour de grandes valeurs de est de la forme b est une constante, par conséquent le rapport tend vers la limite r.

Dans le cas d’un tube fermé de longueur L sans capacité additionnelle, les concentrations au centre s’obtiennent en écrivant


sont les valeurs des intégrales et pour l’origine du tube , et les valeurs relatives à l’extrémité du tube , et . On déduit de là et ainsi que le rapport .

,


et jouent par rapport à et le rôle de termes correctifs résultant de ce que le tube ne peut commencer à l’axe. Ces termes peuvent être négligés quand le rapport est petit par rapport à 1. Remarquons que et ne sont pas des concentrations réellement existantes, mais celles qui existeraient sur l’axe si le tube se prolongeait jusque là. Les concentrations au début du tube sont celles pour


et les proportions des deux espèces de molécules à l’origine du tube se déduisent des formules :

À l’extrémité du tube on trouve de même les concentrations et ainsi que les proportions de molécules et en remplaçant dans les formules précédentes par .

Comme les molécules sont en déficit au voisinage de l’axe et en excès à la périphérie, il existe une valeur de où le gaz a la même composition qu’avant la rotation. Ceci a lieu pour

.

La valeur de ainsi trouvée est fonction seulement de et (en négligeant les termes correctifs et ). Pour un même gaz ne dépend donc que de dont il est une fonction croissante. On peut montrer que pour de faibles valeurs de ce paramètre (vitesse de rotation faible ou température élevée) tend vers une valeur limite quels que soient et , tandis que pour de fortes valeurs (rotation rapide) se rapproche de 1. En admettant et , a une valeur élevée : 0,86 dans le cas du néon et 0,93 dans le cas du gaz HCl. Il en résulte que la séparation porte surtout sur la région voisine de l’axe.

Les pressions du gaz au centre et à la périphérie se calculent au moyen des mêmes variables. Les pressions partielles des deux gaz et pour sont données par les formules


et sont les pressions partielles des gaz dans le tube avant la rotation. Pour les pressions et à l’extrémité périphérique du tube on trouve

Les pressions totales et , sont les sommes des pressions partielles.


en désignant par le coefficient d’enrichissement des molécules par rapport aux molécules entre les extrémités du tube

.

Pour utiliser la séparation il serait nécessaire de partager le gaz dans le tube tournant, pendant la rotation même et après établissement d’équilibre, en portions de composition inégale. Cette opération ne serait pas sans difficulté. En la supposant réalisée, on ne peut tirer parti du coefficient d’enrichissement , car la séparation porte sur des volumes finis. Supposons la séparation faite en deux portions, par une cloison établie à la dis tance de l’axe. Si nous désignons par et les nombres de molécules et contenues entre les distances et , par et les nombres totaux entre et le coefficient d’enrichissement moyen qui intervient dans l’expérience est

.

La valeur maximum de ce coefficient est atteinte pour de petites valeurs de , quand la portion de gaz prélevée au centre est faible et que le gaz restant a une composition approximativement normale ; cette valeur maximum est . La fraction du volume de gaz détachée au centre s’exprime par la formule

.

Les intégrales , se déterminent toutes sur la même courbe . On peut donc calculer la valeur de C pour une valeur donnée de [2].

Voici quelques résultats numériques relatifs au néon et au gaz HCl, calculés en négligeant les termes et . Pour les deux gaz , si et T = 290°. Pour le néon les proportions normales x et y sont 0,9 et 0,1. La composition normale est réalisée dans le tube à la fraction de la longueur du tube. Par rapport au gaz normal, le coefficient d’enrichissement des molécules est 0,738 au centre et 1,118 à la périphérie, ce qui correspond aux poids atomiques 20,15 et 20,22, soit entre les deux limites un écart un peu supérieur à celui prévu entre le néon normal et le néon puisé à 30 km. d’altitude. Les valeurs de et sont environ 18,5 et 26.3 correspondant aux limites et . Leur rapport est 1,42.

Le rapport des pressions à la périphérie et au centre est environ 65. Si le gaz était admis dans le tube au repos à la pression atmosphérique (0,9 atm. pour et 0,1 atm. pour ), les pressions qui s’établissent lors de la rotation sont 0,097 et 0,008 atm. au centre, au total environ 8 cm. de mercure, et à la périphérie 6,1 et 0,8 atm., au total 6,9 atm. Les proportions de et , au centre sont 0,924 et 0,076 au lieu de 0,9 et 0,1, soit environ 24 % de diminution pour , tandis qu’elles sont à la périphérie 0,89 et 0,110, avec une augmentation de 7 % seulement sur . L’écart des valeurs extrêmes est de 30 % sur la proportion de ce constituant.

Si l’on suppose le tube séparé en deux portions à peu près égales, la portion située du côté du centre contient environ 0,08 du gaz total, et le coefficient d’enrichissement moyen en molécules de la portion périphérique par rapport à la portion centrale est 1,32, d’où un écart d’environ 0,05 entre les poids atomiques moyens.

À la même température et pour la même vitesse de rotation on trouve pour le gaz HCl (molécules m = 36 et m’ = 38, en proportions 0,77 et 0,23 dans le gaz naturel) les valeurs et correspondant aux limites z = 2,73 et z’ = 2,805. On en déduit pour les rapports des concentrations au centre et à la périphérie 0,209 et 0,3175 correspondant à un poids moléculaire moyen diminué de 0,12 au centre et augmenté de 0,01 à la périphérie, soit un écart total de 0,13 environ. Les proportions des deux gaz sont 0,83 et 0,17 au centre, 0,76 et 0,24 à la périphérie. Les pressions totales au centre et à la périphérie (pour une pression d’une atmosphère au repos) sont 5,6 mm. de mercure et 12,8 atm. avec un rapport d’environ 1700.

En séparant le tube en deux portions, de manière à réserver du côté du centre un dixième du volume gazeux, on obtient un coefficient d’enrichissement moyen 1,18, très inférieur au coefficient maximum 1,43 relatif à la séparation en deux compartiments.

Pour remédier aux difficultés de séparation du tube en compartiments pendant la rotation et pour améliorer le rendement de la séparation, Mülliken a proposé l’emploi d’un réservoir d’alimentation communiquant au centre avec le tube de la centrifugeuse [87]. Pendant la rotation le gaz est plus ou moins complètement aspiré dans le tube ; quand l’équilibre est établi, on peut fermer la communication entre le tube et le réservoir. Les résultats prévus dépendent le la capacité du réservoir relativement au tube.

Si le réservoir est assez vaste pour que la pression et le rapport des concentrations n’y soient pas altérés, ces mêmes conditions existent dans le tube du côté de l’axe. La centrifugeuse établit, à partir de ces conditions, un coefficient d’enrichissement, une pression et un poids moléculaire déterminés du centre à la périphérie. Par exemple, pour le néon, on trouverait à la périphérie le poids atomique 20,29 avec les proportions 0,83 et 0,17 de Ne20 et Ne22 ; pour une pression d’une atmosphère dans le réservoir, la pression à la périphérie serait 65 atmosphères.

Si le réservoir n’a pas un volume considérable il faut en tenir compte. Soit U ce volume et u celui du tube. Si n0 et n0 sont les concentrations sur l’axe, les nombres de molécules contenues dans le tube en régime de rotation sont

v est la vitesse périphérique, et les intégrales ci-dessus utilisées.

La répartition du gaz entre le réservoir et le tube pendant la rotation fournit les relations

xxxxd’oùxxxx
,


et sont les volumes apparents du tube tournant pour les gaz de molécules et .

Quand on sépare le réservoir et le tube, le coefficient d’enrichissement moyen est


tandis que le coefficient d’enrichissement pour les molécules dans le réservoir par rapport au gaz de composition normale est

.

La composition du gaz dans le réservoir ne pourra être modifiée que si U est comparable à et . La fraction de gaz qui reste dans le réservoir est évaluée par la formule

.

Dans le cas du néon et avec le régime de centrifugeuse T  =  290° on trouve . Si U est de l’ordre de 100 u, on aura dans le tube environ 10 % du gaz total, avec un coefficient d’enrichissement 1,3 par rapport au gaz normal, pour les molécules (la valeur maximum à obtenir pour étant 1,34). Pour obtenir un écart semblable en sens inverse, il faudrait employer un réservoir de l’ordre de U = u qui conserverait un dixième du volume gazeux avec un coefficient d’enrichissement , tandis que le gaz contenu dans le tube aurait une composition voisine de la normale. Le calcul montre que l’on obtient le même enrichissement sans réservoir, en partageant le tube en deux compartiments sensiblement égaux dont l’un contient le dixième du gaz et l’autre le reste de la masse gazeuse.

Dans le cas du gaz HCl, on trouve . Avec un grand réservoir, on obtiendrait dans le tube un enrichissement 1,43 par rapport à la composition normale. Avec un réservoir de l’ordre de 10 u, on séparerait dans celui-ci un résidu non aspiré d’un quinzième environ, avec un coefficient d’enrichissement 0,71. Pour obtenir le même enrichissement avec un tube sans réservoir, il serait nécessaire de séparer le deux centième seulement du gaz, tandis que la séparation d’un quinzième ne donnerait qu’un enrichissement de 0,8 ; le rendement est donc amélioré par l’emploi du réservoir.

Les considérations relatives à la centrifugation des gaz supposent que les lois des gaz parfaits se vérifient ; elles ne seraient donc pas valables numériquement si le gaz venait à se liquéfier par compression au fond du tube. Toutefois, qualitativement, les prévisions de la théorie devraient subsister. On suppose aussi que l’équilibre de régime est établi ; le temps nécessaire pour cela ne paraît pas devoir être élevé dans le cas des gaz. Aucune expérience de centrifugation des gaz n’a encore été réalisée.

43. Centrifugation des liquides. — Examinons maintenant la centrifugation des liquides, par exemple, celle du mercure ou du plomb fondu, en nous limitant au cas de deux isotopes. Les molécules du liquide sont soumises à la force centrifuge et à l’agitation thermique comme celles d’un gaz, mais elles obéissent aussi à leurs actions mutuelles. On peut admettre que ces forces s’exercent également sur deux molécules isotopiques, car les volumes atomiques, les compressibilités et les températures de fusion d’éléments isotopes ont les mêmes valeurs. Dans le mélange chacune des molécules isotopiques circule, par conséquent, avec la même facilité. Si un gradient de concentration vient à être établi dans le liquide pour chaque espèce de molécules, sous la réserve que la concentration totale reste constante, le liquide étant supposé incompressible, il ne résulte de là aucune force autre que l’excès de pression partielle, pour solliciter une molécule dans une direction déterminée. Dans la mesure où ces suppositions sont permises, les molécules d’une espèce se distribuent sous l’action de la force centrifuge et de l’agitation thermique suivant une loi statistique ; la concentration totale reste constante et l’énergie potentielle est donnée[3]. L’application de la méthode générale conduit à chercher la valeur minimum de l’expression.

où Q est le nombre de molécules dans une tranche de liquide de faible épaisseur et de rang i ; et , sont les nombres de molécules de masses et dans cette tranche, , l’énergie potentielle par unité de masse et des coefficients dont la signification se déduit de la nature du problème.

Le calcul conduit à la formule

et sont les concentrations sur l’axe, et celles à la distance de l’axe. On trouve, en particulier, entre l’axe et la périphérie, un coefficient d’enrichissement r tel que

.

Ce résultat est tout à fait le même que dans le cas d’un mélange gazeux formé par les mêmes molécules. Mais la distribution des molécules de chaque espèce est différente dans les deux cas. Pour le gaz, les distributions des molécules et sont indépendantes ; pour le liquide, la distribution des molécules m fait intervenir celle des molécules et réciproquement. On ne peut donc assimiler complètement les deux cas, ainsi que cela a été fait par certains auteurs. On a, en effet, en désignant par la concentration totale constante, et en posant

La distribution ne peut devenir conforme à celle d’un gaz de molécules de masse que pour une seule des deux espèces de molécules quand celle-ci est peu nombreuse par rapport à l’autre dont la concentration est approximativement constante dans tout le tube.

Au lieu d’employer la méthode statistique, on peut introduire la notion de poussée ainsi que l’a fait Poole [88]. Chaque molécule est entourée par d’autres de deux espèces. Le remplacement d’une molécule par l’une des molécules du milieu extérieur correspond à un changement de la force centrifuge qui s’exerce sur le volume de cette molécule. Celle-ci est pour un milieu composé de molécules uniquement, pour un milieu composé de molécules m uniquement. Pour un milieu composé de molécules et avec les concentrations et cette poussée est . La force centrifuge diminuée de la poussée pour les molécules comprises entre les distances et est d’après cela

.

En égalant ceci à l’excès de pression partielle des molécules on trouve

const.

On obtient ensuite

et en intégrant


comme précédemment.

On peut estimer que la répartition ainsi trouvée par deux méthodes différentes repose sur une base théorique solide.

Les formules qui permettent de calculer les concentrations et pour , en fonction des concentrations et à l’équilibre du repos, sont ici les suivantes :


en posant.

.

Il suffit de considérer la première intégrale, car . Comme le rapport des concentrations et figure sous le signe de l’intégrale ; on ne peut introduire ici un procédé graphique ayant recours à une courbe réduite, comme dans le cas des gaz. On serait plutôt obligé de construire une série de courbes pour diverses valeurs de u et de les utiliser dans le calcul. Cependant, cet inconvénient peut être évité : la valeur de ne pouvant être ici considérable, puisque , à la température ordinaire, est, au maximum 0,2 et que les différences à considérer sont de quelques unités seulement, l’intégrale se calcule par approximation, ce qui permet de déduire u en fonction de .

Ainsi, considérons le cas où (qui s’applique au plomb fondu). On trouve r = 1,22.

Si , on déduit

.

Si la matière considérée était gazeuse, le rapport r serait le même et s’il s’agissait de grandes masses, nous pourrions admettre que .

Nous aurions alors

.

On voit donc que pour le liquide le rapport des concentrations est moins altéré au centre qu’à la périphérie, tandis que pour le gaz c’est l’inverse qui se produit ainsi que nous l’avons vu précédemment.

Conformément à ceci, le rapport des concentrations normal se trouve réalisé pour environ dans le cas du liquide, pour dans le cas du gaz. Les différences des poids atomiques extrêmes sont dans les deux cas, égales à 0,1 environ, ce qui donne un écart de 0,5 pour mille sur la densité.

Pour une vitesse périphérique on trouve, dans les mêmes conditions de température et de différence de masses un écart de concentration extrême de 0,48 % dans le liquide centrifugé, et un écart relatif sur le poids atomique de , soit 0,05 pour mille. Ces nombres ont été calculés sans tenir compte de la correction qui résulte de ce que le tube ne commence pas à l’axe. La correction pourrait être introduite soit par un procédé analogue à celui utilisé dans le cas des gaz, soit par un calcul d’approximation convenablement disposé.

On peut encore examiner le cas du mercure, plus favorable que celui du plomb fondu, puisque la centrifugation peut avoir lieu à la température ordinaire. En considérant le mercure comme composé par parties égales, d’isotopes dont la différence des masses est 3 (voir p. 116), on trouve pour et T = 290° :

L’écart extrême sur la densité atteindrait, dans ce cas, 0,23 % et serait environ 20 fois plus grand que celui observé jusqu’ici par la méthode de distillation (voir p. 191); l’écart effectivement observable serait moindre, eu égard à la nécessité de prélèvement.

Ainsi, la méthode de centrifugation des liquides paraît offrir de grandes possibilités de séparation. Toutefois, elle présente aussi des difficultés considérables, qui tiennent, d’une part, à la pression qui peut s’exercer sur le fond du tube, d’autre part, à la lenteur avec laquelle s’établit l’équilibre de régime qui correspond à l’état de rotation.

La pression sur le fond du tube dans le cas du liquide, est calculée approximativement en utilisant la densité moyenne D et l’on trouve

si v et v0 sont les vitesses aux deux extrémités du tube. Cette pression peut devenir très grande. On trouve dans le cas du mercure, en négligeant v0 par rapport à v, environ 670 atmosphères pour et environ 67000 atmosphères pour .

La durée d’établissement du régime dans un liquide est plus longue que dans un gaz, en raison de la lenteur de l’interdiffusion des liquides. Le coefficient de cette diffusion nous est connu dans le cas du plomb fondu par les expériences sur l’interdiffusion d’isotopes radioactifs dans le plomb (voir p. 27) sa valeur est 2,2 cm3 par jour. Un coefficient semblable doit s’appliquer au mercure, d’après les recherches sur les échanges entre ce liquide et ses amalgames. On peut admettre que le temps nécessaire pour établir le régime stationnaire est le même que le temps nécessaire pour le retour de ce régime à celui qui correspond au repos, le degré d’approximation étant le même dans les deux cas. Or, dans l’équation qui caractérise le retour à la concentration uniforme, à partir d’un état où existe un gradient de concentration, le temps intervient comme facteur dans l’exposant d’exponentielles qui s’évanouissent quand on s’approche de l’équilibre. Le temps nécessaire pour réaliser l’équilibre à une précision donnée est donc du même ordre que , la valeur de étant de la forme l est la longueur du tube et K un nombre entier qui caractérise les termes successifs de la série. La plus grande valeur de t correspond au premier terme pour lequel . Si l = 10 cm., l’équilibre est rétabli en ce qui concerne ce terme en 23 jours à 1 % près, et la réduction de l’écart à la moitié de sa valeur a lieu en 3,5 jours quelle que soit l’importance du gradient initial. Si l = 20 cm., ces chiffres sont portés à 90 jours et 14 jours. Dans le cas des gaz ces durées sont réduites à moins d’une heure, la valeur des coefficients de diffusion étant beaucoup plus grande (p. ex. pour CO2 dans l’air à la pression atmosphérique.)

Les expériences sur la centrifugation des liquides sont encore peu nombreuses, et elles n’ont pas d’ailleurs donné jusqu’ici des résultats encourageants. La première tentative dans ce sens a été faite par Joly et Poole [89] qui ont centrifugé du plomb dans l’espoir de révéler une composition complexe. La centrifugeuse utilisée pouvait tourner à 9.000 tours par minute, la vitesse périphérique étant 104 cm. par sec. Le plomb fondu se trouvait dans des tubes d’acier, fermés afin d’éviter l’oxydation ; il était maintenu en fusion par un système de chauffage électrique. Après une rotation d’une heure, la centrifugeuse était arrêtée, et des prises de plomb étaient faites en six lots. Avec chacun de ces lots on a fait de petites sphères, dont on a déterminé la densité par une méthode permettant d’obtenir une précision de 0,03 pour mille. Les écarts de densité observés se sont montrés de l’ordre des erreurs d’expérience ; le résultat a donc été entièrement négatif. La différence prévue entre les densités extrêmes était d’environ 0,05 pour mille.

L’efficacité de la méthode a été contrôlée par la centrifugation d’alliages de composition connue. Les résultats obtenus n’ont pas été très réguliers. Avec des alliages contenant 90 à 97 % de plomb et 10 à 3 % d’argent on n’a obtenu aucune séparation. Avec des alliages plomb-étain, on a obtenu, au contraire, un résultat positif, bien qu’un de ces alliages soit un composé défini. Au total, il est clair que la méthode n’a pas fourni les résultats prévus. L’une des causes d’insuffisance peut être cherchée dans la durée de la centrifugation qui était certainement trop courte. D’après les considérations exposées ci-dessus, on peut juger qu’une différence appréciable n’aurait pu être établie qu’en plusieurs jours. Des expériences faites par Mülliken [87] ont montré qu’il existe aussi d’autres causes d’erreur qui viennent troubler le phénomène cherché.

Cet auteur a centrifugé du mercure au moyen d’une machine tournant à 2.300 tours par minute, munie de tubes d’environ 20 cm. de longueur, ayant leurs extrémités distantes de l’axe d’environ 7 cm. et 26 cm. ; la contenance de chaque tube était de 13 cm3. L’écart des densités extrêmes devait atteindre, d’après les prévisions 8,8 10-6. En séparant le contenu en 3 portions, on espérait observer un écart 5,9 10-6, tandis que la précision réalisée sur la mesure de la densité pouvait atteindre 1 10-6. Ici encore le résultat a été négatif, le temps accordé à l’expérience étant environ 8 heures, durée que l’auteur estimait suffisante pour l’établissement de l’équilibre, d’après la valeur présumée du coefficient d’interdiffusion du mercure. (Ces prévisions semblent entachées d’erreur, car la durée nécessaire dans le cas des tubes employés devait être de l’ordre d’une dizaine de jours pour obtenir la moitié de l’effet prévu). On a supposé que l’insuccès pouvait être dû à la vibration de l’appareil, laquelle n’avait pu être supprimée. L’expérience de contrôle suivante a été faite. On disposait d’échantillons de mercure de densités légèrement différentes, obtenus par des méthodes qui seront décrites plus loin. On a rempli, par moitiés, un tube avec des mercures ayant un écart de densité égal à . Après une demi heure de rotation accompagnée de vibrations légères, les densités examinées ont été trouvées identiques. Si, avec le même remplissage, le tube est laissé au repos, les neuf dixièmes de l’écart des densités subsiste encore après une heure, et l’uniformité de concentration est rétablie en 8 heures environ, conformément aux prévisions de l’auteur. On doit penser que, même au repos, il existait des causes accélératrices de la diffusion telles que des différences de température ou des secousses accidentelles. Il paraît résulter de ces expériences que la méthode de centrifugation est sujette à des difficultés qui détruisent ou tout au moins diminuent son efficacité. De nouvelles expériences sont nécessaires pour voir si ces difficultés peuvent être surmontées.

44. Diffusion thermique. — Le phénomène ainsi désigné a été étudié par Enskog et par Chapman [90] qui ont montré qu’un mélange gazeux dans lequel est établi un gradient thermique, ne reste pas homogène, mais que les molécules de masse plus petite se concentrent dans les régions de température plus élevée et inversement. Cette séparation partielle qui a reçu le nom de diffusion thermique est limitée par le phénomène de diffusion ordinaire qui tend à rétablir l’uniformité du mélange, d’où un état stationnaire faisant intervenir, pour les deux gaz considérés, le coefficient d’interdiffusion à température constante D et le coefficient de diffusion thermique . Le calcul de dépend des hypothèses faites sur le comportement des molécules. Si celles-ci sont considérées comme des sphères élastiques, on trouve une valeur plus élevée qu’en admettant entre les molécules une loi d’action en raison inverse d’une puissance n de la distance ; l’effet s’annule même complètement pour n = 5.

L’effet de diffusion thermique a été mis en évidence par Chapman et Dootson [90], au moyen d’expériences effectuées sur des mélanges d’hydrogène et de gaz carbonique ou d’hydrogène et de gaz sulfureux. Le mélange gazeux primitivement homogène était contenu dans deux réservoirs sphériques en verre d’environ 100 cm3 de volume, qui communiquaient par un court tube muni d’un robinet à large voie. L’un des réservoirs était maintenu à la température de 230°, l’autre à celle d’une distribution d’eau courante. Le mélange de CO2 et H2 ayant été soumis au régime de diffusion thermique pendant plusieurs heures, on trouve que les proportions d’hydrogène et de gaz carbonique sont 45 % et 55 % dans le réservoir chaud, 41,3 % et 58,7 % dans le réservoir froid. La théorie montre que l’effet obtenu est à peu près la moitié de celui prévu pour le cas de molécules se comportant comme des sphères élastiques. Il en a été de même dans le cas du mélange de H2 et SO2. Ibbs [90] a confirmé les résultats ci-dessus et a montré, que conformément aux prévisions théoriques, l’équilibre de régime est réalisé en quelques heures.

Chapman a proposé l’emploi de cette méthode pour la séparation des isotopes. Quand la différence des masses moléculaires m1 et m2 est petite, on peut écrire, d’après cet auteur,


et sont les proportions des molécules m1 et m2 dans le récipient à la température absolue , et celles dans le récipient à la température absolue . Le coefficient applicable aux molécules considérées comme des sphères élastiques de même diamètre est déterminé, ainsi qu’il suit, par le rapport

.

Dans le cas du néon naturel, posant m1 = 20, m2 = 22, = 0,9, = 0,1 et supposant T = 80° (température de l’air liquide), = 800° (soit 527° degrés centigrades), on trouve

Chapman fait remarquer que l’effet de séparation par un champ de force centrifuge, entre les limites de pression et s’exprime par la formule approchée


.

En comparant les valeurs des coefficients , et Chapman est amené à considérer la diffusion thermique comme un agent de séparation moins efficace que la force centrifuge mais pouvant donner lieu à une réalisation plus facile. Cependant, on n’a pas encore de résultats expérimentaux relatifs à l’emploi de cette méthode dans le cas de gaz isotopes.

Mülliken [87] a suggéré une modification à la méthode de diffusion thermique. Le mélange serait fourni au réservoir froid et soustrait lentement du réservoir chaud. L’auteur prévoit ainsi une amélioration du rendement.

45. Méthode basée sur la mobilité ou sur la diffusion des ions électrolytiques. — Lindemann [91] a suggéré que les ions électrolytiques d’éléments isotopes devraient avoir, dans un champ électrique, une mobilité en relation avec la masse moléculaire. Un raisonnement sommaire le conduisit à admettre que la mobilité serait proportionnelle à , où M est la masse moléculaire de l’ion et m celle du solvant. On observerait, en ce cas, des écarts de l’ordre de 1 % entre les mobilités des atomes isotopes de Li ou de Cl en solution aqueuse. Cette théorie ne tient pas compte des effets d’hydratation ou d’association qui peuvent intervenir dans la valeur des mobilités et tendent à réduire les différences.

Remarquons aussi qu’il existe une relation entre le coefficient de diffusion des ions et leur mobilité. Cette relation prend une forme particulièrement simple dans le cas de cathions diffusant en petit nombre dans un excès d’anions (p. 38) ; il y a alors proportionalité entre les coefficients de diffusion et de mobilité pour des ions de même valence se déplaçant dans le même solvant, de sorte qu’à une différence des mobilités des ions isotopes correspondrait nécessairement une différence des coefficients de diffusion avec la même valeur relative.

La tentative de séparer les ions électrolytiques de UI et UII par diffusion a eu un résultat négatif, (voir p. 44), ainsi que celles de Murmann [92] effectuées sur des composés d’urane et sur des chlorures de sodium et de lithium. Il a été trouvé que les coefficients de diffusion diffèrent de moins de 0,2 %. Il en est probablement de même des mobilités. C’est ce qui semble résulter d’expériences récentes de Kendall et Crittenden [92], qui ont soumis au déplacement par électrolyse les ions chlore du chlorure de sodium et du chlorure de lithium dans un gel d’agar agar intercalé entre des gels contenant l’un de la soude, l’autre de l’acétate de soude. On cherchait à isoler le front des ions les plus mobiles. Les premiers résultats obtenus ont été négatifs. On ne peut donc espérer trouver dans l’électrolyse ou dans la diffusion un procédé de séparation efficace.

46. Méthode de séparation par tes rayons positifs. — Puisque les diverses variétés de molécules isotopiques qui constituent les rayons positifs, se trouvent séparées par un champ électrique ou par un champ magnétique, dans un spectrographe à masses, il paraîtrait naturel d’utiliser cette séparation pour récolter séparément chacun des isotopes. Si cette méthode était praticable, elle aurait l’avantage de donner une séparation complète, tandis que les diverses méthodes envisagées ne peuvent fournir, même en principe, qu’une séparation limitée. La possibilité de cette utilisation du spectrographe à masses a été discutée par Aston pour le cas du néon, en utilisant les données expérimentales relatives aux appareils utilisés par ce savant [61]. Le tube à décharge étant traversé par un courant de 5 milliampères, les quantités en volume de gaz recueilli pourraient atteindre selon l’estimation d’Aston 4,3 mm3 à l’heure pour Ne20, et 0,43 mm3 à l’heure pour Ne22. Ces quantités quoique peu considérables ne sont pas négligeables. Toutefois, il y aurait à prévoir des difficultés, en ce qui concerne le procédé employé pour recueillir les molécules d’une espèce. Il semble qu’on ne pourrait y arriver qu’en les condensant à très basse température, de sorte que l’expérience ne paraît pas facile à réaliser. Elle constitue pourtant le seul espoir d’obtenir à l’état de pureté les constituants d’un élément complexe ; un effort dans cette direction serait donc, particulièrement intéressant. La captation de rayons positifs sera sans doute assez facile si leur substance est solide ou liquide à la température ordinaire, et si elle a des affinités chimiques pour la paroi qui doit l’absorber.

47. Méthode photochimique. — Merton et Hartley ont proposé une méthode très ingénieuse pour la séparation des isotopes, en particulier pour celle des deux chlores [93]. En voici le principe : le chlore naturel est composé de trois espèces de molécules, en proportions inégales, 9 : 6 : 1 pour , ,  ; il y a donc prédominance des molécules . La lumière filtrée au travers d’un écran de chlore naturel ne doit pas être également absorbée par les diverses molécules, puisque la fréquence absorbée par chaque espèce de molécules n’est pas la même. Il en résulte que quand la fréquence absorbable par les molécules est presque complètement éliminée par filtration de la lumière incidente, celle-ci doit encore contenir une forte proportion de la fréquence absorbable par . Supposons que la lumière ainsi filtrée soit reçue par un mélange de chlore naturel et d’hydrogène. On peut penser que pour déterminer la combinaison il est nécessaire que le chlore absorbe la radiation incidente. Si celle-ci ne contient plus que la fréquence absorbable par , la combinaison ne portera que sur cette variété de chlore, de sorte qu’il ne se formera que des molécules . La possibilité de l’expérience est limitée par la différence des fréquences d’absorption, ainsi que par l’élargissement des raies par effet de température ou de pression.

L’expérience a été exécutée de la manière suivante [93] : un mélange d’hydrogène et de chlore a été soumis à l’action de la lumière qui avait traversé un écran de chlore de 50 cm. d’épaisseur. Le mélange était ensuite soumis dans l’obscurité à l’action du mercure pour éliminer le chlore libre. Le gaz chlorhydrique formé était converti en chlorure de sodium, et le chlore était dosé à l’état de chlorure d’argent. On a trouvé pour ce chlore un poids atomique normal, le même que sans filtration de lumière.




  1. Ce calcul est indiqué avec une erreur de signe dans plusieurs publications.
  2. La réduction de volume C est désignée par l’expression « cut » par certains auteurs.
  3. L’application des méthodes statistiques aux problèmes de physique a été exposée par P. Langevin, [87].