L’isotopie et les éléments isotopes/13

Société « Journal de Physique » (9p. 153-156).


QUATRIÈME PARTIE

LA SÉPARATION DES ISOTOPES


CHAPITRE XIII

CLASSEMENT DES PHÉNOMÈNES. CAS DES RADIOÉLÉMENTS
POIDS ATOMIQUE ET DENSITÉ


38. Rôle de la masse et du nombre atomique. — Pour examiner les conditions de séparation des isotopes, nous prendrons comme base le fait que les isotopes ont la même charge nucléaire, mais en général des masses différentes.

Nous distinguerons 3 groupes de phénomènes :

1° Phénomènes qui dépendent de la masse de l’atome mais surtout de la structure du noyau. Tels sont les phénomènes radioactifs.

2° Phénomènes qui dépendent de la masse de l’atome : inertie, gravitation, force centrifuge, vitesse moléculaire à température donnée.

3° Phénomènes qui dépendent de la charge du noyau et sont déterminés par la distribution électronique autour de celui-ci. Ici se classe la valence, qui fait intervenir les électrons les plus superficiels ; les propriétés chimiques, le volume atomique, la pression de vapeur saturante, la température de fusion, la cohésion font intervenir aussi les électrons des couches plus profondes. L’émission et l’absorption des radiations se placent dans cette catégorie, en première approximation ; il existe toutefois, des effets de faible importance qui dépendent de la masse du noyau ou du moment d’inertie des molécules.

La première catégorie est spéciale aux radioéléments et doit être examinée comme telle ; les deux autres catégories s’adressent à tous les éléments, y compris les radioéléments. Tout phénomène de la deuxième catégorie doit, en principe, permettre une séparation d’isotopes. Les phénomènes de la troisième catégorie ne conduisent pas, en général, à une séparation s’ils se produisent dans des conditions soumises à des lois d’équilibre. Ils peuvent, par contre, conduire à des séparations par l’emploi de méthodes dynamiques qui utilisent directement la vitesse d’agitation moléculaire, considérée, d’une manière très générale, comme une vitesse de réaction. C’est pourquoi il convient, de traiter ensemble ces méthodes, en les détachant des groupes 2 et 3, pour former un groupe 4.

39. Séparation des radioéléments isotopes par provenance ou par différence de vie moyenne. — Les radioéléments isotopes peuvent être obtenus séparément, soit dès leur production, soit à partir d’un mélange, par différence de vie moyenne.

Alors que les éléments inactifs complexes se trouvent dans la nature à l’état de mélange de composition définie, mise en évidence par la constance du poids atomique chimique, les radioéléments se produisent à partir des deux éléments primaires, l’uranium et le thorium, et on les extrait couramment des minéraux qui contiennent ces deux corps.

Les minéraux d’urane sensiblement exempts de thorium se rencontrent dans la nature et fournissent tous les éléments des familles uranium-radium et uranium-actinium, à l’exclusion de ceux de la famille du thorium. Ainsi, on trouve dans le commerce du radium pratiquement exempt de mésothorium. On ne trouve pas, par contre, de mésothorium exempt de radium, car la monazite utilisée comme minerai de thorium et de mésothorium contient de l’uranium et du radium. On peut, cependant, obtenir le mésothorium sans radium, si au lieu de s’adresser au minerai, on extrait le mésothorium des sels de thorium du commerce. En ce cas, en effet, le radium et le mésothorium ont été séparés lors de la préparation, mais comme le premier se reforme très lentement à partir de l’ionium entraîné avec le thorium tandis que le second se forme beaucoup plus vite, l’opération est possible, bien qu’elle ne puisse fournir par an, que 10 % environ de la quantité qu’on trouve dans le minerai à poids de thorium égal.

On peut citer de nombreux exemples analogues. Le radium D mélangé au plomb dans le minerai, s’obtient à l’état pur, non sans difficultés, il est vrai, à partir du dépôt actif de l’émanation du radium. Les isotopes RaB, ThB, AcB s’obtiennent séparément, à partir des émanations qui leur donnent naissance (par l’intermédiaire des corps A).

Pour que deux isotopes puissent être obtenus séparément, il suffit donc que l’on ait pu séparer les ascendants et que la production ne soit pas d’une lenteur prohibitive.

Dans un mélange d’isotopes, la séparation se fait automatiquement par différence des vies moyennes, mais on ne peut obtenir, à l’état de pureté, que l’élément de vie moyenne maximum. Ainsi dans un mélange de RaB et ThB obtenu par dépôt actif de l’atmosphère, le premier de ces corps disparaît en quelques heures, laissant subsister le second pendant plusieurs jours. Le polonium s’obtient à partir du minerai ou du dépôt actif du radon, entièrement exempt de RaA, dont la vie est très brève ; de même le protactinium s’obtient exempt de brévium, etc.

Grâce à ces diverses possibilités, les radioéléments peuvent, en général, être étudiés individuellement et indépendamment de leurs isotopes, abstraction faite de quelques cas particulièrement difficiles, tels que celui des uranium I et II. Cette circonstance a eu, sans aucun doute, une influence décisive sur la genèse de la notion d’isotopie qui n’aurait pu se développer avec la même aisance par la seule considération des éléments stables, alors que les séparations des isotopes par les méthodes physico-chimiques sont si peu efficaces.

40. Poids atomique et densité. — Les essais de séparation des isotopes n’ont encore donné que des résultats très restreints, contrôlés par la mesure de la densité ou du poids atomique. Pour suivre les variations de ces quantités, nous introduirons le coefficient d’enrichissement r défini par Lord Rayleigh dans l’étude de la séparation des gaz par diffusion (voir p. 183). Nous nous bornerons au cas de deux isotopes.

Si et sont les concentrations moléculaires dans le mélange initial, et celles obtenues après les opérations de séparation, et les masses moléculaires, on pose

.

Le coefficient est relatif au 2e constituant (masse ) ; on peut de même définir un coefficient relatif au 1er constituant, et il est évident que  :

Soient et les proportions de molécules et dans le mélange d’origine, et celles obtenues après la séparation, telles que :

.
Soient M et M0 les poids moléculaires moyens des deux mélanges


où, en transformant,


Ainsi M — M0 ne dépend pas des valeurs et , mais seulement de leur différence. La densité d’un gaz rapportée à la pression et à la température normale est proportionnelle au poids moléculaire. La densité d’un mélange solide ou liquide de molécules ou atomes isotopiques est aussi proportion­nelle au poids moléculaire ou au poids atomique, car les volumes molé­culaires ou atomiques sont, en ce cas, égaux. Si donc on désigne par la densité du mélange (pour les gaz, à pression et température normales), la variation relative de est la même que celle de M

Pour une même valeur de et cette variation relative dépend des concentrations initiales, et il est facile de voir qu’elle est maximum pour . Quand est peu différent de 1 et de , le maximum a lieu pour des valeurs de et de voisines de 0,5, c’est-à-dire pour des concentrations moléculaires approximativement égales.