L’instruction primaire en Écosse
Revue pédagogique, second semestre 18794 (p. 376-386).

L’INSTRUCTION PRIMAIRE EN ÉCOSSE


Les Écoles de paroisse et les Écoles privées avant 1872.

Il faut remonter à 1696 pour fixer les origines de la législation concernant l’instruction élémentaire en Écosse. En cette année, sous le règne de Guillaume III, le Parlement vota une loi pour l’établissement d’écoles dans l’ancien royaume des Stuarts réuni depuis peu à la couronne d’Angleterre : « Act for settling of schools ».

Un siècle se passa avant qu’une législation nouvelle apportât à l’enseignement populaire une organisation qui n’avait jamais existé. En 1803, dans la session parlementaire de la 43e année du règne de Georges II, une loi décréta de meilleures conditions pour les instituteurs de paroisse et de nouvelles dispositions pour améliorer l’organisation des écoles paroissiales.

Quelques progrès que cette loi eût réalisés, les moyens d’instruction étaient encore insuffisants ; mais, dans la session parlementaire des première et deuxième années du règne présent, une loi fut rendue pour faciliter l’érection et la dotation’ d’écoles additionnelles en Écosse. Vingt ans après, en 1861, le Parlement vota la loi qui régla les conditions de nomination et la situation des instituteurs des paroisses et des bourgs.

Enfin intervint la loi fondamentale, l’ « Education Act » de 4872, qui réorganisa entièrement le système scolaire en Écosse, et dont les dispositions, au point de vue des principes, se rapprochent beaucoup de celles qui sont appliquées en Angleterre. Cette loi fut modifiée et complétée en certaines parties par Acte additionnel de 1878, qui détermine les obligations imposées aux tuteurs et patrons à l’égard des enfants qu’ils emploient, fixe les attributions et les devoirs des membres des comités scolaires et règle les inspections à faire dans les écoles placées sous le contrôle des autorités scolaires.

I

Pour bien juger de l’état actuel de l’éducation populaire en Écosse et des progrès accomplis sous le régime inauguré par la législation nouvelle, il est nécessaire de se reporter à quelques années en arrière et d’examiner ce qu’étaient les écoles avant 1872, au double point de vue de l’installation matérielle cet des méthodes d’enseignement.

Pendant longtemps il n’y eut d’autre enseignement en Écosse que celui qui était donné dans les écoles de paroisse, et dans quelques établissements libres entretenus à l’aide des ressources de la charité privée. Ces écoles étaient en nombre insuffisant dans la plupart des paroisses, et leur installation était telle qu’il était impossible d’y recevoir tous les enfants en âge de les fréquenter ; elles étaient loin de ressembler à celles qui se sont édifiées dans ces derniers temps, grâce aux libéralités du gouvernement et aux dons particuliers. La maison était humble d’aspect, haute de cinq mètres à peine, couverte en chaume, mal éclairée par des fenêtres étroites et ouvertes sans symétrie, au mépris des plus simples règles de l’art. Le mobilier allait de pair avec la maison : cinq à six doubles rangées de tables adossées les unes aux autres, et sur chaque côté de la salle une longue table adaptée au mur, une chaire pour le maître, au milieu de la pièce une large pierre destinée à recevoir le poële dans la saison d’hiver, et enfin pour tout ornement deux ou trois cartes géographiques à demi effacées par le temps.

Il ne reste plus aujourd’hui qu’un petit nombre de ces écoles, et bientôt elles auront toutes disparu ; mais il n’y a pas longtemps l’Écosse n’en possédait point d’autres, et l’on pourrait citer nombre d’hommes de mérite et de distinction encore vivants qui y reçurent leur première instruction. Tous les enfants de la paroisse, sans distinction de sexe, riches et pauvres, y recevaient une éducation commune ; les fils et les filles des propriétaires opulents étaient mêlés aux enfants de modestes artisans et même à ceux de cette classe qui, de nos jours, en Angleterre est appelée Ta classe indigente. On y admettait également les orphelins et les enfants dont les familles étaient hors d’état de supporter les frais de leur instruction ; mais pour ceux-ci le conseil paroissial payait la rétribution scolaire. Le régime était à peu près le même pour tous ; il ne différait que dans la durée du temps passé à l’école et dans quelques parties de l’enseignement, suivant la carrière ou la profession qu’ils devaient suivre, Garçons et filles étaient réunis dans la même salle, groupés suivant le degré d’instruction de chacun, et tous indistinctement étaient soumis à la même règle et à la même discipline. Ces exercices en commun n’avaient lieu qu’aux heures de classe : dès qu’ils étaient dehors, les garçons et les filles se séparaient, se livrant les uns et les autres aux jeux de leur âge et de leur sexe. Ce système d’éducation, si étrange qu’il puisse nous paraître, n’a jamais produit que de bons résultats chez les peuples qui l’ont mis en pratique. Durant les longs mois d’hiver, le combustible pour le chauffage de l’école était fourni par les écoliers. L’un apportait sa bûche, l’autre son morceau de charbon de terre, un autre sa brassée de ramilles ; le tout était déposé dans un coin de la salle, et chacun des garçons avait à tour de rôle le soin de veiller à l’entretien du feu. Cet ancien usage a cessé depuis peu de temps : la contribution en nature fut remplacée par une somme annuelle de 1 shelling à 1 shelling 1/2 que chaque élève payait à l’instituteur pour les frais de chauffage. En Écosse, le premier lundi de janvier correspond à notre premier jour de l’an ; ce jour-là chaque élève apportait au maître sa part d’étrennes, lesquelles s’ajoutaient aux diverses ressources de l’instituteur. Cette coutume tend également à disparaître, mais elle est encore vivace dans nombre de villages.

Tout le temps était employé au travail de classe, sauf l’après-midi du samedi qui était consacrée À l’enseignement religieux. Une fois dans l’année, l’école était inspectée par un comité composé des membres du conseil presbytéral. Sous le rapport ecclésiastique, l’Écosse est partagée en synodes et en presbytères. Le synode comprend dans sa circonscription un certain nombre de presbytères ; le presbytère, qui tient son nom de la ville principale, comprend plusieurs paroisses. Chaque année, le presbytère désignait un comité composé de quatre à cinq membres, et dont le ministre faisait toujours partie, pour passer l’inspection des écoles. Le jour était fixé quelques semaines à l’avance, et dès qu’il était connu, maîtres et élèves se préparaient avec ardeur. On remettait en état les cahiers, on faisait choix des meilleurs devoirs, on apprenait des morceaux de prose et de poésie extraits des grands écrivains, on revoyait les diverses matières enseignées dans le cours de l’année, on s’exerçait à répondre aux questions posées par les inspecteurs. À cette occasion des récompenses étaient décernées aux plus méritants,

Le directeur d’une école de paroisse était un personnage d’importance, dont la position était avantageuse autant que recherchée ; il était, après le ministre du culte, l’homme le plus en estime dans le bourg. La considération attachée à sa personne était due à une instruction étendue et variée : il n’était pas rare de rencontrer de ces hommes qui avaient passé huit années dans une université et qui, après un cours d’études complet, avaient été déclarés aptes à occuper un poste de vicaire. Déjà, il y a vingt ans, les instituteurs de paroisse recevaient un traitement fixe dont le chiffre variait entre 750 et 875 francs ; ils étaient logés aux frais de la paroisse et percevaient une rétribution payée par Les élèves. Dans la paroisse, l’administration des intérêts et des biens ecclésiastiques est remise à un conseil composé du ministre et des « anciens », qui sont eux-mêmes choisis parmi les plus dignes. Cette réunion d’hommes d’élite prend le nom de « session », et l’instituteur qui en faisait partie prenait le titre de « clerc de la session ». C’était l’instituteur qui publiait les bans de mariage, et pour cette fonction il recevait une rétribution qui n’était pas inférieure à dix shellings et atteignait le plus souvent une guinée. C’était lui encore qui enregistrait les naissances et les décès. Il exerçait dans la circonscription de la paroisse une sorte de magistrature, dont les divers bénéfices lui constituaient une situation honorable et lucrative dans un pays où la vie était peu coûteuse et où les occasions de dépense étaient rares.

II

À côté des écoles de paroisse, il y avait, en plus petit nombre, les établissements libres, qui étaient des écoles de charité dans lesquelles étaient recueillis les orphelins et les enfants des classes déshéritées. Beaucoup de personnes demandent que, dans nos écoles primaires, l’enfant reçoive, avec les premières connaissances indispensables à tout individu, des notions spéciales qui le préparent à l’exercice d’une profession ou d’un métier. L’idée n’est pas nouvelle ; ce système d’éducation était appliqué en Écosse avec intelligence dans plusieurs établissements privés. Un mémoire que nous avons sous les yeux nous fournit des renseignements intéressants sur l’organisation d’une école industrielle qui fut fondée, il y a vingt ans, à Édimbourg par les soins du Dr Guthrie. L’auteur du mémoire nous introduit dans cette école établie dans High Street, l’une des plus anciennes rues de la ville ; il nous conduit dans les salles d’exercices, nous fait assister aux leçons des élèves et à leurs travaux manuels, place sous nos yeux les mille objets sortis de leurs mains, nous fait voir dans le détail une véritable école modèle habilement organisée, ne laissant rien à désirer sous le rapport de l’enseignement moral et technique donné aux enfants.

Notre première visite, dit l’auteur du mémoire, fut pour l’école des garçons, qui ne compte pas moins de 150 enfants, la plupart pensionnaires. En offrant le pensionnat à ces enfants, le fondateur n’a pas entendu les priver des affectueuses tendresses de la famille, il a voulu seulement les soustraire au contact du vice et mettre leur jeune âme à l’abri de pernicieuses influences. Sur les 800 enfants, tant garçons que filles, qui sont recueillis dans l’école de High Street, 127 sont traités comme des enfants d’adoption, instruits, logés, surveillés avec une sollicitude toute paternelle. La nourriture y est fortifiante et saine, comme il convient qu’elle soit pour des enfants dont la santé est épuisée ou affaiblie par les privations de toute sorte à leur entrée dans l’établissement.

Les bâtiments, entourés de cours spacicuses, sont bien aménagés et appropriés à leur destination. Un large vestibule précède une pièce où un bassin d’eau constamment renouvelée sert de lavabo aux jeunes garçons. Tous, sans exception, pensionnaires et externes, y défilent pour la toilette commune ; la cérémonie des ablutions terminée, chacun revêt l’habillement fourni par l’établissement, et dépose jusqu’au soir ses misérables défroques dans un filet marqué à son nom et à son numéro. Après avoir quitté cette pièce, nous fîmes notre entrée dans les salles de classe séparées par une cloison mobile et ouvrant l’une et l’autre sur un long couloir. Le maître y donnait la leçon d’histoire ; M. Guthrie interrogea au hasard quelques élèves qui répondirent avec une remarquable précision, dans un langage convenable et sans apprêt, comme des enfants qu’on habitue à penser et à s’exprimer par eux-mêmes plutôt qu’à réciter une leçon apprise. D’après notre désir, on procéda à un exercice de calcul mental, et nous fûmes émerveillés de la rapidité autant que de l’exactitude des problèmes résolus. Dans les écoles d’Écosse on attache une grande importance à ce genre d’exercices, qui force l’attention de l’élève, tient en éveil ses facultés, forme son jugement et l’habitue de bonne heure à raisonner avec justesse sans le secours de signes écrits ou de procédés de convention. Tout d’abord, je pus croire que les problèmes avaient été étudiés à l’avance ; mais la façon dont il fut répondu à plusieurs de mes questions me força de reconnaître l’excellence des méthodes employées dans l’établissement. La leçon de géographie nous procura également une bien vive satisfaction ; nous demandâmes à plusieurs enfants de nous désigner sur la carte muette l’emplacement de pays et de villes éloignés ou peu connus ; sans hésitation et comme d’elle-même la baguette suivait une ligne qui était rarement la plus longue et allait s’arrêter sur le point cherché. M. Guthrie avait pour chacun une parole d’encouragement : — « Bien répondu, mon enfant. » — « Nous sommes contents de vous, bon courage. » — Ou bien encore : « Voilà qui promet, persévérez, mon ami, et vous arriverez. » — Ces simples mots produisaient un effet magique chez ces abandonnés qui se sentaient renaître à une vie nouvelle.

On nous fit ensuite visiter les ateliers. Tout ce petit monde de travailleurs était bien trop affairé pour se laisser distraire pour notre présence ; tous les fronts étaient penchés sur les métiers, toutes les mains étaient en mouvement, tous les yeux était fixés sur les instruments. Il y avait dans une même salle soixante jeunes garçons occupés à fabriquer des boîtes de carton, les unes simples, les autres peintes et ornées, pour l’industrie ou le commerce. Dans une autre salle, dix enfants, sous la surveillance d’un maître cordonnier, faisaient les chaussures pour tous les élèves et le personnel de la maison. La pièce qui fait suite sert d’atelier pour la confection des vêtements ; seize enfants étaient là réunis, coupant, confectionnant, raccommodant les jaquettes, les vestes, les pantalons de leurs camarades. On applique de préférence à ce genre de travail les enfants atteints d’infirmités physiques : le sentiment des services qu’ils rendent les relève à leurs propres yeux et leur fait mieux supporter le dur traitement de la nature. Une ferme est annexée à l’école, non loin des bâtiments, mais en dehors de la ville, avec champ d’expériences où quarante enfants s’exercent aux travaux de l’agriculture.

L’école des filles est organisée d’après les mêmes principes. On y donne un enseignement complet et approprié aux divers besoins de la vie. Dès leur entrée dans la maison, ces jeunes filles sont confiées aux soins d’une femme active et affectueuse qui aura pour elles la sollicitude d’une mère et se chargera de leur éducation domestique. Il convenait de donner aux travaux de couture une importance particulière ; aussi les filles ne font pas seulement leurs habillements, elles confectionnent les chemises de tous les pensionnaires de la maison et tricotent les bas de laine pour l’hiver ; elles blanchissent et repassent le linge, elles lavent les vestibules et le sol des salles d’exercices, elles vont à tour de rôle aider la cuisinière dans son travail, elles se préparent à devenir plus tard d’habiles ouvrières ou de bonnes mères de famille.

Le temps ne nous permit de faire qu’une courte visite à la salle d’asile ; nous l’avons bien regretté, car cette école n’est pas la moins intéressante des trois. Nous avons vu là quatre-vingt-six petits enfants, tous bien portants, exempts des infirmités que nous avions observées chez leurs aînés, et dont l’âme était ouverte à tous les sentiments honnêtes. Ces petites créatures étaient placées par groupes, dans un ordre parfait, suivant, sous la direction de deux maîtresses, des exercices appropriés à leur âge et à leurs forces. C’était plaisir de les interroger sur les premières leçons qu’elles avaient reçues et d’entendre leurs réponses. On leur fit chanter quelques phrases rythmées, qui furent dites avec ensemble. La plus jeune des deux maîtresses est une ancienne élève de la maison.

On nous dit que l’une des plaintes les plus sérieuses formulées contre le système d’éducation appliqué dans l’établissement de M. Guthrie porte sur les ablutions auxquelles les enfants sont soumis chaque matin, et que plusieurs personnes considèrent comme un sujet de souffrance. Garçons et filles sont obligés de traverser une piscine longue de six pieds et dont la voûte livre passage à un véritable torrent qui tombe sur la tête et les épaules des enfants ; mais ce que ce régime pourrait avoir de cruel est mitigé par la température tiède de l’eau.

Rien de ce qui pouvait distraire les élèves et leur rendre plus agréable le séjour de l’école n’a été négligé ; un cours de musique vocale et instrumentale a été institué pour les garçons, et il a été possible de former en peu de temps un petit corps de musiciens, qui exécute des airs dans les promenades que font les élèves à Édimbourg ou aux environs de la ville.

Il ne suffit pas d’avoir dit que tous ces enfants, dès le premier âge jusqu’à quatorze ans, sont entourés de tous les soins, admirablement élevés et instruits : nous devons faire connaître ce qu’a produit ce système d’éducation. Les résultats sont inappréciables ; pour en donner une idée, nous dirons que sur un nombre de 500 enfants sortis des écoles de High Street et qui furent tous d’honnêtes ouvriers, les deux tiers, s’ils avaient été abandonnés à eux-mêmes, seraient allés peupler les prisons et auraient coûté à l’État une dépense totale de 2,490,000 francs. La différence entre cette somme et celle qui a été dépensée pour faire de ces abandonnés des citoyens utiles à leur pays est de 1,800,000 francs. La dépense moyenne, par an, et pour chaque enfant entretenu dans l’école industrielle de M. Guthrie, est de 100 francs ; dans les prisons, la dépense pour chaque enfant est du 300 francs. Voilà des chiffres qui n’ont pas besoin de commentaires et qui témoignent hautement en faveur de ces écoles que nous voudrions voir se multiplier dans les grands centres d’industrie.

Parmi ces enfants qui semblaient condamnés par le hasard de la naissance à la mendicité et au crime peut-être, nous en avons rencontré plus tard un grand nombre qui combattent courageusement, noblement, le combat de la vie, les uns dans leur pays dont ils sont l’honneur, les autres dans les plaines de l’Australie, dans les forêts du Canada ou les prairies du Far West. Il n’en est pas un qui, dans la mesure de ses aptitudes et de son activité, n’ait contribué à étendre et à enrichir le domaine de la mère-patrie.

(À suivre.)