L’homme de la maison grise/03/13

L’imprimerie du Saint-Laurent (p. 125-127).


Chapitre XIII

LES YEUX DE FEU


Hâtivement, nos amis s’approchèrent de l’endroit d’où leur parvenait le bruit des machines, et appuyés à une sorte de corniche (en charbon naturellement) chacun aspira avec délices, cet air artificiel. Ces pompes qui distribuent l’air respirable dans la mine, si elles cessaient de fonctionner, pour une raison ou pour une autre… ce serait la mort à courte échéance pour des centaines d’êtres humains !

Yvon Ducastel (Richard d’Azur et Luella le savaient) était à préparer une pétition, pour obtenir du Département des Mines, l’installation de plusieurs pompes à air dans chaque houillère. Cette pétition serait signée par tous les citoyens de W… et on en espérait de bons résultats. Ces pompes fonctionneraient indépendamment les unes des autres ; de cette manière, s’il arrivait à l’une d’elle de se déranger, d’autres les remplaceraient.

Mais on ne pouvait s’éterniser près des pompes à air ; Yvon proposa qu’on continuât l’exploration.

— Encore un couloir à inspecter, dit-il ; ensuite, nous remonterons à la surface du sol.

— Depuis combien de temps sommes-nous… sous terre, M. Ducastel demanda Luella.

— Depuis au-delà de deux heures, Mlle d’Azur, répondit-il. Vous ne serez pas fâché de revoir le jour, la lumière, je crois, hein ? demanda-t-il en souriant.

— Oh ! Ça peut faire maintenant ! dit la jeune fille ; qui marchant tout à côté de l’inspecteur. D’avoir respiré ce bon air artificiel, cela m’a donné beaucoup de courage, voyez-vous.

— J’en suis bien heureux alors, fit le jeune homme.

— Oh ! s’écria tout à coup Luella, en se cramponnant au bras d’Yvon. Voyez donc ! Là !… Là !… Ces yeux de feu qui nous regardent !

— Où cela ? demanda-t-on.

— Là ! Là ! répéta Luella, tremblante de frayeur. Dans ce boyau… à notre gauche !

Tous regardèrent dans la direction indiquée, et Mme Foulon, effrayée, à son tour, de s’écrier :

— Oui ! Oui ! Je les vois !… Deux yeux de feu qui nous observent !

— Des lanternes… que tu prends pour des yeux probablement, dit M. Foulon, en riant, à sa femme.

— Non ! Ce ne sont pas des lanternes !… Qu’est-ce que c’est, M. Ducastel ?

— Rien qui puisse vous effrayer à ce point, Mesdames, répliqua Yvon en souriant. Ces yeux de feu appartiennent à un hibou…

— Un hibou !

— On voit, assez souvent, de ces oiseaux dans la mine. C’est toujours la nuit ici, voyez-vous ; les oiseaux nocturnes y… pullulent.

— Les oiseaux nocturnes ?… Vous ne voulez pas dire qu’il y a aussi des chauve-souris ici, sûrement ! cria Luella, qui avait une peur affreuse de ces bêtes.

— Je n’ai jamais vu une seule chauve-souris dans cette houillère, Mlle d’Azur, je vous le certifie, assura Yvon, qui, lui aussi, craignait et détestait ces sales bêtes.

Cependant, il mentait en disant cela, afin de ne pas effrayer les dames qui l’accompagnaient. Les houillères sont littéralement infestées de chauve-souris ; c’est reconnu. On ne les voit pas, il est vrai ; elles se collent aux voûtes, aux parois et il est rare qu’on en aperçoive une seule… Mais de savoir qu’elles sont là, cela ne saurait manquer d’occasionner des frissons de dégoût et de crainte.

— Ce hibou… dit soudain Mme Foulon ; il n’a pas bougé seulement, depuis cinq minutes que nous sommes ici, à le regarder.

— C’est l’oiseau du malheur… murmura Luella.

— Ah ! Oui ! C’est ce qu’on prétend, du moins, répliqua en souriant Lionel Jacques.

— J’ai… J’ai peur, M. Ducastel ! balbutia la jeune fille.

— Le hibou est inoffensif, tout à fait inoffensif, du moment qu’on ne l’attaque pas, répondit Yvon. Venez. Mlle d’Azur ! Venez, tous !

À ce moment, un cri lamentable parvint à leurs oreilles : « Hou-ouou ! Hou-ou-ou- ! Hou-ou-ou ! » disait une voix.

— Oh ! Que je déteste le cri du hibou ! C’est si… si… lugubre ! s’exclama Mme Foulon, en portant ses deux mains à ses oreilles.

— Allons ! Continuons notre promenade. suggéra Yvon ; laissons le hibou dans son domaine… l’obscurité, je veux dire.

Mais, maître hibou ne l’entendait pas ainsi. Il avait son idée cet oiseau ; car aussitôt que les explorateurs lui eurent tourné le dos, il battit lentement des ailes, tout d’abord, puis il se mit à les suivre. Bientôt il voltigeait au-dessus de leurs têtes à l’extrême terreur des femmes… peut-être aussi à celle des hommes, Yvon fut favorisé d’un coup d’aile de l’oiseau nocturne, en passant.

— Chassez-le ! De grâce, chassez-le ! cria Luella.

— Ne dirait-on pas qu’elle nous poursuit l’horrible bête ! cria, à son tour, Mme Foulon.

— Chassez-le ! Chassez-le ! sanglotait la jeune fille, en saisissant le bras de son compagnon.

— Il est parti, disparu ; voyez ! répondit Yvon.

— Il va nous arriver malheur, je le sens je le sais ! pleurait la jeune fille.

— Ma chère enfant ! supplia Richard d’Azur.

— Mais, père…

Les hiboux ne sont pas rares, dans la mine, je le répète, fit Yvon. Cependant, ajouta-t-il avec un rire quelque peu ennuyé, c’est la première fois que l’un d’eux me frôle de ses ailes et… je n’aimerais pas à recommencer l’expérience, je l’avoue en toute franchise, car ça été pour le moins désagréable.

— Croyez-vous qu’il reviendra ?

— Soyez assurée que non, Mlle d’Azur. Il est déjà loin, je pense.

— Mais, par où est-il passé ? demanda Mme Foulon. Il était là il y a un instant ce hibou… Où est-il allé ?

— Il a dû s’enfuir par quelque trou ou crevasse, que nous ne voyons pas, nous. Allons ! Continuons notre exploration ! répondit Yvon, que le sujet commençait à agacer beaucoup.

— Quel lugubre lieu qu’une houillère tout de même ! s’exclama Luella.

— Vous l’avez dit ! approuva Mme Foulon.

— Voici le dernier couloir que je dois inspecter aujourd’hui, mes amis, annonça Yvon. Ah ! reprit-il aussitôt, tout est terminé ici, évidemment, puisque les hommes sont partis. Vous le voyez, continua-t-il, c’est…

Mais, subitement, il se tut. Un bruit étrange, épouvantable, venait de se faire entendre : on eût dit celui du tonnerre, lointain d’abord, mais se rapprochant rapidement.

Pourtant, pas un cri ne s’échappa de la bouche de nos amis ; c’est qu’une terreur sans nom les rendait muets. Tous pâlirent cependant, même Yvon.

— Qu’est-ce que ce bruit ! demanda, au milieu du silence de tous, Lionel Jacques. Serait-ce…

— Une catastrophe… Un désastre, je le crains, répondit Yvon.

— Fuyez ! Fuyez ! Effondrement ! Effondrement !

Ces paroles venaient de retentir dans le couloir, et au même instant, apparaissait une forme vêtue de noir ; c’était une femme, dont la main droite projetait une clarté blanche, surnaturelle, propre à jeter la terreur dans le cœur du plus hardi.

— La Dame Noir ! s’écria Luella, puis elle s’évanouit.