Éditions Édouard Garand (61p. 3-4).




PROLOGUE


En ce jour de mai, sous un ciel éclatant, Québec étincelle de lumière. Le Saint-Laurent remue paresseusement ses ondes bleues sur lesquelles se balancent avec grâce de nombreuses voiles blanches. La ville est joyeuse et animée. Dans les jardins, les arbres font leur feuillée, les fleurs donnent le jour à leurs timides corolles, les herbes nouvelles, d’un beau vert sombre, tapissent déjà les parterres. Il semble que ce jour-là soit le plus beau qu’on ait vu, que la nature se soit faite plus belle que jamais, que le Ciel ait répandu sur la Nouvelle-France et son petit peuple tous ses bienfaits.

Monsieur le Comte de Frontenac parade par les rues de la cité : une compagnie de tambours et de fifres le précèdent, ses gardes l’entourent, la maréchaussée ferme la marche. Car Monsieur de Frontenac aime à laisser entendre et surtout à faire voir qu’il est un maître ! Il entend être non le vice-roi, mais le roi de la Nouvelle-France. Il veut donner une idée de son pouvoir et, peut-être aussi, de sa puissance. Et, comme à dessein, il défile avec son imposante escorte devant la cathédrale et devant l’habitation de Monseigneur l’évêque, et comme pour narguer, sinon le défier, le représentant du pape. Plus tard, ayant franchi la porte de la basse-ville, il passe lentement avec grand bruit de tambours et de fifres…

Le peuple, émerveillé, admire, salue, s’incline…

Aux côtés de Monsieur de Frontenac deux cavaliers caracolent : l’un, à gauche, est le chevalier d’Auteuil, procureur-royal : l’autre, à droite, est le lieutenant des gardes, le sieur Bizard. L’escorte passe devant le logis de Flandrin Pinchot… le capitaine Flandrin, comme on l’appelle, et ancien maître-geôlier dans les salles basses du Château Saint-Louis

Frontenac se penche vers Bizard.

— Il faudra arrêter Flandrin Pinchot, murmure-t-il, car c’est lui qui, par un tour de sa façon, a donné la liberté au calviniste Maître Jean. D’ailleurs, Lucie le redoute, et il pourra arriver qu’un jour ou l’autre il n’aille pendre cette exquise jeune femme à notre gibet, de la rue Sault-au-Matelot. Donc, s’il est incapable de quitter son logis, vous y aposterez deux gardes. Plus tard, nous verrons…

— Bien, Excellence, il sera fait ainsi que vous le désirez et commandez, répond Bizard.

Frontenac est sévère et digne sur sa monture noire et fringante.

Il se penche ensuite vers le chevalier d’Auteuil.

— Mon cher d’Auteuil, dit-il, ne pensez-vous point qu’il serait opportun de faire pendre Flandrin Pinchot ?

— Excellence, je suis de votre avis. Je demanderai sa tête, et vous me la donnerez.

— Oui, mais qu’en ferez-vous, puisque Mathurin-le-Bourreau a été pendu la nuit dernière ?

— C’est vrai, Excellence, mais j’ai trouvé, je pense, un autre bourreau…

— Vraiment ?

— Oui… un mendiant… le père Brimbalon…

L’escorte poursuit son chemin…


FIN DU PROLOGUE