L’histoire naturelle des estranges poissons marins/Introduction
A monseigneur mõsieur le Reverendissime Cardinal de Chastillon, liberal Mecenas des hommes studieus,
entiere prosperité.
ONSEIGNEUR, me trouvant en ce
loisir, duquel ie suis a present par vostre benignité
iouissant, apres avoir descript en nostre
langue, les choses memorables, & les richesses
de la terre de plusieurs pays estranges ou i’ay
esté, & la fertilité de diverses mers, dont vous
avez veu plusieurs pourtraicts, & desquels il vous a pleu me ouir
parler : & sachant bien que vous n’avez plus grand plaisir, que
d’employer le temps cõvenable, a entendre les choses qui sont extraictes
de l’intime cognoissance des histoires naturelles : & que donnez
voluntiers quelques heures du iour apres les repas, a deviser & ouir
des propos d’erudition qui ne travaillent point l’esprit : Apres que
i’ay consideré, que vous estiez souverain admirateur des choses prinses
de l’antiquité : & que les Princes de ce temps la, ont estez si curieus
de faire retirer les vraies effigies des choses qu’ils avoient
proposé faire engraver en leurs medalles, qu’ils n’ont iamais permis
qu’on y ait feinct une faulse peincture, ains se sont efforcez de
recouvrer les plus excellẽts ouvriers quils pouvoient trouver, & aussi
quils n’espargnoient rien a envoier gents exprez en diverses parties
du monde, pour chercher les choses dont ils vouloient avoir le
portraict contrefaict au vif : Et que i’ay cogneu que les effigies des
Daulphins qui sont maintenant gravees en toutes les especes des
monnoies modernes, n’ont non plus d’affinité avec le naturel, que
de commun avec celles, qu’on voit gravees es statues ou es mõnoies antiques. Ie me suis mis en debvoir, de vous rendre les vraies
peinctures des Daulphins, retirees tant du naturel que de l’antique, ausquelles ie n’ay rien adiousté d’artifice, ne diminué, non plus qu’on y
a trouvé : a fin de les vous presenter mais non sans vous en faire
demonstration : car i’ay aussi escript toute l’histoire qui appartient
a la nature du Daulphin, ou i’ay pareillement adiousté plusieurs
autres figures des animauls qui sont de son espece : a fin que vous
aiãt specifié chasque chose par le menu, i’aye lieu de pouvoir mieuls
prouver que ie ne me suis pas trompé par erreur, en prenãt l’un pour
l’autre. Laquelle histoire il m’a semblé bon mettre en nostre langue,
desirant que soubs vostre authorité, a laquelle ie l’ay dedié, plus de
personnes en eussent plaisir. Vous suppliant Monseigneur, la recevoir
de mesme visage, qu’il vous a pleu recevoir l’autheur d’icelle,
quand il s’est presenté a vous.
Preface.
OMBIEN que entre les autheurs
Grecs, Aristote, Porphyre, & Elian
aient escript plusieurs livres de la nature
des animauls : Oppian, des poissons :
Nicander, des serpents : & que
Pline entre les Latins, les ait indifferemment
quasi touts recueillis ça, & la, tant des dessus
dicts, que de plusieurs autres autheurs, qui les
avoient observez par lõg usage : Toutes fois ie n’ay
laissé d’en elire le seul Daulphin entre touts ceuls
dont i’ay eu la cognoissance, en les cherchant
sur les lieux de leur naissance, duquel i’ay mis la
description & peincture a part : & y ay adiousté ce
qu’il m’a semblé necessaire a l’explication de toute
l’histoire de sa nature : veu mesmement qu’il n’y a
iamais eu loy, tant fust rigoureuse, qui deffendist qu’õ
ne peust biẽ adiouster une chose raisõnable, a ce qui
auroit este desia inventé. Et cognoissant qu’il n’est
animal plus vulgaire, ne plus commun en la
memoire des hommes, qu’est le Daulphin : & que
toutesfois il ne s’est trouvé homme qui le cognoisse : i’ay
entrepris d’en bailler les vives images, & de faire
qu’il soit cogneu de touts. Laquelle chose ie pretẽs
faire par les vrais portraicts, & par les observations
que i’en ay faictes : non pas seulement de luy, mais
aussi de plusieurs especes de son genre, touts lesquels
i’ay amplement descripts en deus livres, dont ie propose que le premier monstrera toutes les parties
tant de sa peincture exterieure, que de toutes les autres
de son genre. En apres le second fera veoir toutes
autres choses, qui concernent les parties interieures,
par leurs anatomies, & peĩctures d'icelles. Oultre
plus a fin que aiant confuté les monstres qu'on
avoit autre fois imaginé pour les peinctures
des Daulphins, en noz monnoies, ie
puisse mõstrer que les portraicts
qui en ont este faicts, soiẽt
totalement fauls: & aiant lieu
de pouvoir prouver que
i'ay mis la vraye peincture
des Daulphĩs a la clarté
des hõmes, un chaschun
se persuade de
les avoir a la verité.