L’emprise : Bertha et Rosette/Épilogue


Épilogue


C’est au Lac Bouchette que me fut raconté l’histoire de Bertha et Rosette.

J’avais visité la grotte et la voie douloureuse. Peu enclin à la dévotion, j’avais commencé cette visite surtout par curiosité ; puis à mesure que je montais le calvaire, je sentais l’émotion qui me gagnait.

J’étais redescendu un peu fatigué. Sous prétexte de repos, j’avais faussé compagnie à mes compagnons.

J’étais surtout avide de recueillement et de solitude. Depuis près d’un mois, j’avais laissé mon foyer, et dans ce décor féerique, je pensais aux miens. Je pensais aux efforts et à la ténacité de cet artiste modeste, dont on m’a dit le nom, mais que j’ai oublié, et qui à force de patience a reproduit le chemin de la croix.

Je pensais à la foi vive de nos populations canadiennes. Depuis deux semaines, j’avais visité une trentaine de paroisses. Et dans cette belle région du Lac Saint-Jean, j’avais trouvé l’une de nos populations les plus actives et les plus saines à tous les points de vue.

Pays admirable que celui-là où se rencontrent les beautés de la nature, la fertilité du sol, et la valeur physique et surtout morale des habitants.

Me suis-je endormi au milieu de mes pensées d’admiration et d’espérance pour mon pays et mon peuple ? Peut-être. Je fus tiré de ma rêverie par une exclamation :

— Tiens, les Boileau qui viennent faire leur pèlerinage.

Je constatai que je n’étais plus seul. Sur le banc où j’étais assis, non loin de la grotte, à l’ombre d’un cyprès, j’avais un compagnon. S’appelait-il Jean-Pierre ou Pierre-Jean, je ne lui ai pas demandé. Il était âgé, n’avait plus de cheveux ; ses pieds et ses jambes tordus lui donnaient une apparence de lutin.

Ceux dont il parlait, se dirigeaient vers la grotte ; ils étaient quatre : deux hommes, l’un grand, bien proportionné, l’autre court, trapu ; deux femmes admirablement jolies. Les quatre marchaient de front et dans leurs bras un enfant de quelques mois qu’ils portaient à tour de rôle.

Arrivés à la grotte, ils s’agenouillèrent, et l’une des femmes élevait son enfant vers la statue de la Vierge en un geste de prière et d’offrande.

Le vieux Jean-Pierre me montrant les deux couples en prière, me dit :

— C’est un miracle de la Vierge, qu’ils soient ici.

— Comment cela ?

— C’est toute une histoire.

— Eh ! bien, contez la moi ; j’aime les histoires.

Le vieux Jean-Pierre ou Pierre-Jean, je ne sais plus au juste, me raconta en résumé ce que je viens d’écrire.

Si vous rencontrez jamais le vieux, privé de cheveux, aux pieds tout croches, aux jambes tordues, le vieux qui ressemble à un lutin, que ce soit Jean-Pierre ou Pierre-Jean, sur le banc à l’ombre du cyprès, non loin de la grotte miraculeuse, il vous dira l’histoire des Boileau.

Il vous dira leur nom véritable, la paroisse, le rang même où ils ont vécu, où ils sont encore avec leurs enfants. Il vous dira : Bertha est une femme heureuse ; c’est une sainte femme, et Rosette est devenue un vrai démon.

Il vous dira encore que la Vierge du Lac Bouchette l’a guéri, lui, de ses infirmités, et que si Rosette lui demandait son salut, elle serait sauvée par la Vierge, comme les deux Boileau l’ont été.

Elle est si bonne, Elle est si puissante notre Vierge !


FIN


En préparation : Un deuxième épisode de l’Emprise, faisant suite à celui-ci, sous le titre de « Consciences de croyants. »