L’art de la teinture du coton en rouge/Chapitre 3

Chapitre III

CHAPITRE III.

Du Choix des Matières employées à la Teinture du Coton en rouge.

Pour faire de belles couleurs, il faut que toutes les matières qui entrent dans les opérations, soient d’une qualité convenable : il y a donc un choix à faire dans le nombre des matières de même espèce qu’on emploie à la teinture du coton ; et ce choix, qui, jusqu’ici, n’a été éclairé que par le résultat de l’expérience, peut être soumis à des règles invariables, et déterminé d’après des signes certains et des caractères constans.


ARTICLE PREMIER.

Du Choix de la Garance pour la Teinture du Coton en rouge.


La garance, la plus généralement employée dans les ateliers de teinture en coton, est celle qu’on cultive dans le Midi de la France, sur-tout aux environs d’Avignon.

On expédie la garance dans des sacs de toile et en ballots du poids de 2 à 300 livres (10 à 15 myriagrammes).

Mais la garance n’est pas constamment de qualité égale : il en est qui ne présente que des racines minces et filamenteuses : outre que cette qualité donne peu de couleur, elle est sombre et rembrunie. Il en est encore qui se présente en grosses racines, dont le tissu a perdu beaucoup par la dessiccation, et qui n’offre que des tiges ridées et raccornies : celle-ci fournit une couleur pâle, où le jaune prédomine un peu trop sur le rouge.

On doit choisir, de préférence, les racines d’une grosseur médiocre, du diamètre d’un tuyau de plume, et dont la cassure offre une couleur vive, d’un jaune rougeâtre.

Les qualités de la garance proviennent, presqu’en entier, du terrein. Cette racine ne demande ni un terrein trop gras, ni un sol trop maigre : dans le premier cas, elle est trop abondante en principe extractif, elle se corrompt facilement, et se dessèche avec peine ; dans le second, elle ne donne que des brindilles on des radicules, dont le tissu, dépourvu de suc, ne fournit presque pas de principe colorant.

Souvent des vues d’un intérêt mal entendu déterminent le cultivateur à arracher la garance à la fin de sa seconde année. Mais, à cet âge, elle n’a pas acquis encore la grosseur convenable, et la couleur n’a ni l’éclat ni la solidité de celle qui a trois ans.

La garance ne se vend pas toujours en racine : on la distribue fort souvent en poudre et dans des tonneaux ; et c’est sous cette forme que l’achètent les teinturiers en laine, qui l’emploient en petite quantité : mais, dans les teintures en coton, où la consommation est énorme, on préfère de l’acheter en racine, parce qu’on juge plus facilement de sa qualité, et que, d’ailleurs, l’établissement d’une usine pour la broyer devient économique, par rapport à la quantité qu’on en consomme.

La garance de Chypre et celle de Barbarie, qu’on préfère dans quelques opérations des arts, ne m’ont pas paru présenter de grands avantages pour la teinture en coton. Celle de Barbarie, qui est en très-grosses racines, m’a fourni constamment des couleurs plus pâles que celle de Provence. Celle de Chypre, qui est plus grasse et presque pâteuse, donne des couleurs plus nourries et plus vives ; mais la différence de la couleur ne répond pas à la disproportion du prix. J’ai éprouvé que les garances étrangères ne produisoient aucune couleur que je ne pusse imiter parfaitement avec de la garance d’Avignon bien choisie et préparée avec soin.


ARTICLE II.

Du Choix des Huiles pour la Teinture du Coton.


L’huile est, après la garance, la matière dont la consommation est la plus forte dans une teinture de coton : sans l’huile, la couleur de la garance est maigre et peu solide.

La beauté et l’uni de la couleur dépendent essentiellement de la qualité de l’huile, et il est reconnu, parmi les teinturiers, que la matière qui influe le plus puissamment sur les couleurs de garance, c’est l’huile. Aussi emploie-t-on les plus grands soins pour approvisionner un atelier de teinture d’une huile d’olive très-propre à la teinture.

Les huiles douces, fines et légères, ne sont pas bonnes pour la teinture : elles forment, avec les soudes, une mixtion qui n’est pas durable, de manière que le coton qu’on passe dans ces lessives savonneuses, n’en est qu’imparfaitement et très-inégalement imprégné.

L’huile grasse, ou celle qu’on retire de l’olive par le secours de l’eau chaude et d’une forte pression, est la seule qu’on emploie dans les teintures. Celle-ci diffère essentiellement de l’huile vierge, en ce que, dans l’huile vierge, le principe huileux y est presque pur, tandis que, dans les huiles de fabrique, l’extractif se trouve mêlé avec l’élément huileux, ce qui forme une espèce d’émulsion naturelle.

Lorsque l’olive a subi une seconde pression, et qu’à l’aide de l’eau chaude on a facilité l’extraction de l’huile dont nous venons de parler, on peut, par une pression encore plus forte, exprimer une troisième sorte d’huile, qu’on appelle huile de force. Celle-ci, outre le principe extractif, contient encore un peu de principe ligneux ou fibreux, et ne fournit à la teinture qu’une couleur sale et poisseuse qu’il est impossible d’aviver.

L’huile propre à la teinture nous est envoyée de la rivière de Gênes, sous le nom d’huile de teinture ou d’huile de fabrique : elle est expédiée dans des futailles qui en contiennent 10 à 12 quintaux (50 à 60 myriagrammes).

On achète aussi, pour le même usage, l’huile de Languedoc et de Provence, qui présente les mêmes avantages lorsqu’elle est extraite par les mêmes procédés.

Mais, très-souvent, on vend, pour huile de teinture, des huiles qui ne sont pas propres à ses opérations : et il importe que le teinturier puisse, d’après des essais faciles, s’assurer de la bonne ou de la mauvaise qualité de celle qu’on lui propose.

Le moyen le plus simple et en même temps le plus sûr de constater la qualité d’une huile, est le suivant : on fait couler dans un verre quelques gouttes de l’huile dont on veut reconnoître la qualité ; on verse, par-dessus, de la lessive de soude d’Alicante, à un ou deux degrés du pèse-liqueur de Baumé : le mélange devient d’un blanc laiteux ; on transvase, plusieurs fois, cette liqueur savonneuse, d’un verre dans un autre, et on place le verre sur une table pour laisser reposer la liqueur : l’huile est déclarée bonne si, après un repos de quelques heures, la liqueur reste blanche et savonneuse : elle est réputée mauvaise lorsqu’elle monte à la surface du liquide sous forme de gouttelettes, ou lorsque le mélange laiteux s’éclaircit et devient un peu trouble et opaque, ou bien enfin lorsqu’il se forme, à la surface du liquide, une couche d’un savon mou, tandis que le reste de la liqueur prend la couleur du petit lait mal clarifié.

Cette simple expérience suffit pour reconnoitre si une huile dont on veut constater la qualité, se mêle bien avec la soude, et forme avec elle une combinaison durable, et c’est là ce qu’il importe de savoir, afin que les cotons qu’on doit passer dans cette lessive s’imprègnent également du principe huileux. Dans ce cas, on peut se promettre des couleurs bien nourries, bien unies et très-vives, tandis que, si l’huile se dissout mal dans la lessive et ne s’y conserve pas dans un bon état de combinaison, l’huile sera inégalement répartie sur le coton, et l’on n’obtiendra que des couleurs bigarrées.

La préparation d’une lessive qu’on forme pour essayer une huile, n’est pas indifférente au résultat : en général, on prend de la bonne soude d’Alicante grossièrement concassée, sur laquelle on verse de l’eau pure ; on laisse reposer pendant quelques heures, et, lorsque l’eau de soude marque un degré au pèse-liqueur de Baumé, on la mêle avec l’huile.

Les soudes de qualité inférieure ne peuvent pas servir à ces usages, ni les lessives dont la concentration surpasse deux à trois degrés du pèse-liqueur.


ARTICLE III.

Du Choix des Soudes pour la Teinture du Coton en rouge.


La soude est employée dans les premières opérations de la teinture en rouge et dans les dernières : dans celles-ci, elle sert à aviver les couleurs et à dépouiller les cotons de la portion du principe colorant qui n’y est pas adhérente, tandis que, dans les premières opérations, elle est employée d’abord pour décruer le coton, et ensuite pour dissoudre l’huile et en rendre l’application facile et égale sur toutes les parties.

La consommation de la soude est donc très-considérable et très-importante dans une teinture en rouge, et un teinturier ne sauroit trop s’appliquer à faire choix d’une bonne et excellente qualité.

Nous connoissons dans le commerce quatre à cinq sortes de soudes également employées dans les arts : mais chacune d’elles a ses usages marqués, et on ne peut pas les remplacer, sans inconvénient, l’une par l’autre.

La première qualité de soude du commerce, est celle qui porte le nom de soude d’Alicante : elle nous arrive en gros blocs, du poids de 8 à 900 livres (40 à 45 myriagrammes), enveloppés dans des nattes de joncs.

Cette soude est très-dure, grise à l’extérieur, plus noire à l’intérieur : elle casse net ; les fragmens présentent des arêtes très-vives et des angles très-tranchans.

Elle se dissout avec quelque peine sur la langue, et se pénètre d’eau très-lentement : des morceaux gros comme des noix, mis dans une jarre qu’on remplit d’eau et qu’on vide, à plusieurs reprises, dans l’espace d’un mois, en sont retirés, sans qu’ils aient encore fourni tout leur alkali, et quelquefois même sans que le liquide ait pénétré jusqu’au centre, pourvu toutefois que la dissolution se fasse tranquillement et sans une forte agitation de la liqueur et de la soude.

La soude d’Alicante est la seule qu’on emploie dans la teinture en coton ; mais il faut la conserver dans un lieu sec, pour qu’elle n’effleurisse pas ; car, dans ce dernier état, on ne peut pas s’en servir en teinture.

Pour que la soude d’Alicante réunisse les propriétés qu’on doit désirer, il faut d’abord que la plante qui la fournit ne soit brûlée et coupée que lorsqu’elle est parvenue à une maturité parfaite ; c’est-à-dire, vers la fin de l’été. Il paroît, en effet, que la soude n’est formée que lorsque la végétation de la plante a cessé : jusques-là, la soude qui provient de la combustion, quoiqu’ayant toutes les apparences extérieures de la bonne soude, n’en produit pas les effets.

Ces divers états des sels dans la même plante, à différentes époques de la végétation, n’ont pas été suffisamment observés par les chimistes ; c’est cependant l’étude la plus directe pour connoître la formation et la transformation des matières salines ; j’eusse moi-même poursuivi ces recherches, si je ne m’étois pas éloigné des lieux où, par la proximité de la mer, elles me devenoient plus faciles. Je me bornerai à consigner ici deux faits qui sont parvenus à ma connoissance.

Pendant la guerre de la révolution, l’impossibilité de pourvoir nos ateliers de soude d’Alicante, et la difficulté de l’y remplacer par une autre espèce qui présentât les mêmes avantages, nous avoit forcés, dans le Midi, à ralentir nos travaux de teinture. Lorsque la paix rouvrit nos communications avec l’Espagne, le fabricant de soude qui connoissoit nos besoins, en hâta la récolte sur plusieurs points, de manière que les plantes furent coupées et brûlées avant leur maturité. J’achetai moi-même le premier chargement de soude qui parut dans nos ports ; mais je ne pus jamais l’employer aux opérations de ma teinture, et fus obligé de la vendre, à bas prix, pour servir aux verreries en verre vert.

Il paroît que ce travail des sels par la végétation et leur différence de nature dans les diverses saisons de l’année, s’observent dans d’autres plantes que celles qui donnent la soude : on sait que presque tout le sulfate de soude employé dans le Midi, provient de la lessive des cendres du tamarisc ; mais on ignore généralement que le tamarisc ne fournit pas ce sel dans toutes les saisons. Si on le brûle en pleine sève ou dans le fort de sa végétation, la lessive des cendres laisse exhaler, pendant l’évaporation, une odeur très-forte de gaz hydrogène sulfuré, et on n’obtient presque pas de sulfate ; mais, lorsqu’on coupe la plante à la fin de l’été, alors presque toute la cendre se convertit en sulfate. Il paroît donc que l’acide sulfurique se forme par l’acte même de la végétation. Mais d’où provient le soufre ? Je laisse la solution de cette question à l’observateur zélé, qui, étudiant les opérations de la nature dans toutes ses métamorphoses, pourra la prendre sur le fait.

On cultive, sur les bords de la Méditerranée, un salicor qui fournit une assez bonne soude, connue sous le nom de soude de Narbonne : néanmoins elle est très-inférieure à celle d’Alicante. On pourroit en remplacer la culture par la plante qui fournit la soude d’Alicante. Les expériences que j’ai faites, à ce sujet, ne laissent aucun doute, et l’on peut en voir les détails à l’article Soude de ma Chimie appliquée aux Arts.

Presque par-tout, sur les bords de la mer, on brûle les plantes salées qui y croissent, pour en former de la soude.

Dans le Midi, la soude qui provient de la combustion de presque toutes les plantes qui croissent sur les bords de la Méditerranée, entre le port de Cette et Aigues-Mortes, est connue sous le nom de blanquette.

Dans le Nord, on brûle des fucus, des warecs, pour former la soude qu’on appelle soude de warec.

Ces dernières qualités sont médiocres, et ne peuvent servir que pour des opérations peu délicates.

On connoît encore dans le commerce le natron et les cendres de Sicile, qui tiennent le milieu entre les soudes d’Espagne et les indigènes.

Chacune de ces diverses soudes a ses usages : on pourroit sans doute, par des opérations chimiques, dégager la soude proprement dite de toutes les matières étrangères qui lui sont unies ; mais, dans les arts, ces travaux dispendieux ne peuvent s’appliquer qu’aux seuls cas où il faut des matières de première qualité ; c’est pour cela qu’on ne purifie les soudes que pour les employer à la fabrique des glaces, et à un petit nombre d’opérations extrêmement délicates. Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que dans quelques arts, tels que ceux de la verrerie, la soude agit, non-seulement par son principe alkalin, mais encore par ses principes terreux qui entrent dans la composition du verre.

On pratique déjà, avec le plus grand succès, l’extraction de la soude par la décomposition du sulfate ou du muriate de soude, et l’on emploie par-tout, pour intermède, la craie ou le fer : mais, dans ce cas, la soude qui provient de ces opérations demande à être purifiée avec le plus grand scrupule avant d’être employée dans les teintures, car il est à craindre qu’il n’y reste quelques atomes de chaux ou de fer, et l’on sait que ces deux matières sont deux ennemis perfides de la teinture en rouge.

Au reste, lorsqu’on a de la bonne huile dans une teinture, on peut éprouver les soudes, en formant à froid une lessive qui marque un ou deux degrés, et en la mêlant avec l’huile : la soude est bonne si le mélange fournit une liqueur savonneuse très-blanche, bien opaque, et si elle conserve cette consistance pendant plusieurs jours sans altération dans la couleur. La soude est mauvaise, au contraire, si, peu de temps après le mélange, la liqueur s’éclaircit et présente une couche savonneuse à la surface.


ARTICLE IV.

Du Choix de l’Alun pour la Teinture du Coton en rouge.


On connoît plusieurs espèces d’alun dans le commerce : l’emploi de l’une ou de l’autre est presque indifférent dans les opérations de plusieurs arts, comme, par exemple, dans la teinture en laine, d’après les expériences faites aux Gobelins par MM. Thenard et Roard. Mais, dans la teinture en coton, l’observation a prouvé qu’on ne pouvoit pas se servir indistinctement de tous les aluns du commerce, sur-tout lorsqu’il s’agit d’obtenir des couleurs rouges qui aient beaucoup d’éclat. Le plus léger atome de fer nuance cette couleur et la fait tourner au violet.

On a beaucoup écrit sur les causes de la variété qu’on observe dans les aluns : les uns l’ont attribuée au degré de pureté dont ils jouissent, d’autres l’ont rapportée aux proportions qu’ils ont cru devoir être très-variables dans les principes constituans.

Sans doute, le mélange des matières étrangères doit modifier l’effet de l’alun : ainsi quelques atomes de fer dissous dans ce sel doivent nécessairement altérer toutes les couleurs où l’alunage succède à l’opération de l’engallage : d’un autre côté, le sulfate de chaux qui peut se trouver mêlé en petite quantité avec le sulfate d’alumine, ternit et avine le rouge d’une manière frappante.

En précipitant l’alumine d’une dissolution d’alun par l’ammoniaque (alkali volatil), on reconnoît aisément la pureté des aluns. Car l’alumine précipitée de celui de Rome reste blanche, tandis que celle de l’alun de Liège devient grisâtre. Aussi MM. Thenard et Roard ont-ils démontré, par l’analyse comparée de six aluns du commerce, que leur principale différence provenoit des proportions dans lesquelles le fer y est contenu. Celui de Rome leur a paru le plus pur ; mais ils ont prouvé que tous pouvoient être ramenés au même degré de pureté par une simple dissolution et une nouvelle cristallisation.

L’alun de Rome est, à peu de chose près, naturellement exempt de fer, parce que la pierre qui le fournit a déjà subi une calcination dans les entrailles de la terre, et qu’on lui en applique une seconde pour en faciliter la lixiviation, ce qui a l’avantage de décomposer les sulfates de fer.

M. Gay-Lussac, qui a suivi sur les lieux l’opération de la calcination, s’est convaincu qu’il se dégageoit de l’acide sulfureux et de l’oxigène, ce qui annonce la décomposition d’une portion de l’acide sulfurique. Dans les autres fabriques d’alun, on se borne à calciner une seule fois le minerai, et on le lessive pour en retirer l’alun qui s’est formé ; de sorte que tous les sulfates produits par cette première calcination, se trouvent dans les lessives, et se mêlent à l’alun lorsqu’on le fait cristalliser.

La chimie est parvenue aujourd’hui à fabriquer l’alun de toutes pièces, par la combinaison directe de l’acide, de l’alumine et de la potasse. J’ai été un des premiers à former des établissemens de ce genre, et la simplicité de mes procédés m’a constamment permis de concourir avec les entrepreneurs de l’exploitation des mines d’alun. Je ne doute pas que, dans quelques années, l’alun de fabrique ne suffise à tous nos usages. On peut consulter ce que j’ai dit sur l’art de fabriquer l’alun, dans ma Chimie appliquée aux Arts.

D’après les essais nombreux que j’ai faits des aluns, celui de Rome et ceux de fabrique bien préparés m’ont paru d’un égal mérite. L’alun du Levant vient après ces premiers : celui qu’on extrait chez nous et ailleurs, par la décomposition des schistes pyriteux et alumineux, tient le dernier rang ; mais il suffit de le dissoudre et de le faire cristalliser une seconde fois pour qu’il acquière les propriétés du meilleur alun.


ARTICLE V.

Du Choix de la Noix de galle pour la Teinture du Coton en rouge.


Le commerce connoît quatre principales qualités de noix de galle : 1°. les galles noires ; 2°. les galles en sorte ; 3°. la galle d’Istrie ; 4°. les galles blanches et légères.

Les galles noires sont préférables à toutes les autres : elles sont de la grosseur de noisettes, de couleur d’un gris noirâtre, très-pesantes et très-difficiles à concasser. Elles donnent plus de fond et plus de solidité aux couleurs ; mais elles sont plus chères et en même temps plus rares, sur-tout sans être mélangées.

On emploie généralement la galle en sorte dans les teintures de coton ; et on connoît, sous ce nom, un mélange de galle noire avec une galle blanche également dure et pesante. La galle en sorte est d’autant plus estimée, qu’elle présente plus de galle noire dans son mélange.

La galle d’Istrie est épineuse sur toute sa surface ; elle est plus légère que les précédentes, et ne fournit ni le même fond de couleur, ni le même éclat.

La quatrième espèce de galle est celle du pays : elle vient abondamment en Provence, en Languedoc, sur-tout en Espagne. La surface est lisse ; elle est plus grosse et plus légère qu’aucune des précédentes, l’enveloppe en est très-mince.

On ne peut employer ces deux dernières qualités, qu’en les mêlant avec les premières.

Dans presque toutes les teintures en coton, on est aujourd’hui dans l’usage de mêler le sumach à la galle, tant pour diminuer la dose de cette dernière, que pour roser un peu la couleur rouge. On l’achète en feuilles dans le Midi, et on ne prend que les jeunes pousses de l’année. On en trouve aussi, à Marseille et ailleurs, en poudre et dans des sacs : mais ce dernier provient quelquefois de la mouture des grosses tiges qui n’ont pas, à beaucoup près, la vertu des feuilles et des rejetons de l’année.


ARTICLE VI.

Du Choix du Sang pour la Teinture du Coton en rouge.


Le sang a le double avantage de donner à la couleur de la garance un fond plus riche et plus vif, et d’en augmenter la solidité. Tout le monde sait que le fil ou le coton trempé dans le sang, et séché, contracte une couleur qu’on a de la peine à enlever par l’eau ; et aucun teinturier n’ignore que les cotons teints sans l’emploi du sang dans le garançage, prennent une couleur pâle, terne, sèche, qui n’est nullement comparable à celle que présentent les mêmes cotons lorsqu’on mêle du sang au garançage.

On emploie, de préférence, le sang de bœuf ; mais cette préférence n’est due qu’à ce qu’il est plus commun et moins recherché comme aliment que celui de quelques autres animaux.

Le sang se corrompt aisément et il se décolore. Pendant l’été, on éprouve beaucoup de peine à le préserver de l’altération, quoiqu’on le conserve dans de grandes jarres enfouies dans la terre : je me suis bien trouvé d’y mêler, dans cette saison seulement, un peu de dissolution d’alun. Par ce moyen, on peut le préserver de toute dégénération pendant long-temps, sans lui rien ôter de ses vertus.

J’ai essayé de remplacer le sang par des dissolutions de colle-forte et par d’autres extraits de substances animales ; mais il s’en faut que j’aie obtenu les mêmes résultats : cependant l’usage de ces matières animales ne peut pas être regardé comme indifférent ; l’effet qu’elles produisent, quoique inférieur à celui du sang, mérite qu’on en fasse usage dans tous les cas où l’on ne peut pas se procurer cette liqueur animale.

J’ai vu encore employer une légère infusion de noix de galle pour tenir lieu du sang : mais cette ressource ne peut pas être comparée à celle que présentent les colles et les autres extraits animaux.