L’art de la teinture du coton en rouge/Chapitre 2

Chapitre II

CHAPITRE II

Des Moyens de disposer le Local pour le rendre propre aux opérations de la Teinture.

L’économie du temps et de la main-d’œuvre est une des premières causes de la prospérité d’une fabrique ; et c’est, surtout, par la disposition bien entendue du local et par une bonne distribution dans l’atelier, qu’on l’obtient.

L’arrangement des diverses parties d’un atelier doit être tel que toutes les opérations se servent et se correspondent ; que les transports y soient aisés ; que l’ouvrier trouve, sous sa main, les objets dont il a besoin ; que chaque opération s’exécute dans un lieu qui lui soit destiné. Ce n’est que par ce moyen, qu’on évitera la confusion dans les manœuvres, qu’on portera une surveillance aisée sur toutes les opérations, et qu’on maintiendra chaque ouvrier dans une activité convenable.

Celui qui calcule ce que doivent produire, à la fin de l’année, ces légères économies de temps et de main-d’œuvre, qui se répètent, à chaque instant, n’a pas de peine à se convaincre qu’il n’en faut pas davantage pour assurer la prospérité d’une fabrique. Ainsi, les dépenses qu’on fait pour rendre un établissement commode et d’un service aisé, peuvent être regardées comme des économies et comme des garans du succès.


ARTICLE PREMIER.

Des dispositions qu’on doit faire pour établir les Magasins.


Lorsqu’on veut approprier un local, pour y former un atelier de teinture, il faut s’occuper, en premier lieu, de donner aux magasins une assez grande étendue, pour qu’on puisse y placer commodément la garance, la noix de galle, le sumach, l’huile, le savon et la soude.

La garance doit être déposée et conservée dans un magasin très-bien aéré, et qui soit à portée de l’usine où doit s’en faire le broiement. Comme la garance présente un grand volume, et qu’on en consomme une grande quantité dans une teinture en coton, il est convenable de consacrer un magasin pour elle seule.

Le sumach et la noix de galle, servant aux mêmes usages, et, étant d’une nature très-analogue, peuvent être réunis dans le même magasin.

La soude exige un local particulier.

L’huile et le savon peuvent être renfermés dans le même lieu.

La garance, le sumach, la noix de galle et la soude ne s’emploient qu’en poudre, ce qui suppose une mécanique quelconque pour écraser et broyer ces matières.

On connoît deux moyens, dans les fabriques, pour broyer ou pulvériser ces substances : la meule et le bocard. La meule a l’inconvénient d’exiger un plus fort degré de siccité dans la garance : le bocard occasionne une plus grande volatilisation, et conséquemment une plus grande perte.

Ces deux mécanismes sont mis en jeu par l’eau ou par la force d’un cheval : le premier moteur est plus économique et plus égal ; le second a l’avantage de pouvoir être établi par-tout, et, par conséquent, de pouvoir être placé dans le lieu le plus convenable de l’atelier.

Les pilons du bocard sont armés de couteaux de fer qui, en tombant dans l’auge, y coupent la garance et rendent sa division extrêmement prompte.

Comme la garance est assez généralement recouverte d’une croûte terreuse dont il faut la débarrasser, et que sa première enveloppe ne fournit qu’une mauvaise couleur, on est dans l’usage de sécher la garance au soleil ou dans des étuves, pour en détacher plus facilement le principe terreux et cette pellicule : cette première opération s’exécute en frappant sur la garance avec un bâton très-souple et en l’agitant avec une fourche.

Ce mélange d’un peu de terre, de l’épiderme et de quelques brindilles ou radicules, n’a besoin que d’être criblé pour que la terre s’en sépare, et il en résulte une garance de mauvaise qualité, qu’on appelle, dans le commerce, garance de billon, et qu’on n’emploie dans la teinture que pour des couleurs obscures ou bleuâtres.

La garance, dépouillée de tout le principe terreux et de son épidémie, par ce procédé, portée ensuite sous la meule ou sous le bocard, donne un produit qui contient toute l’écorce et une partie du principe ligneux : c’est alors ce qu’on appelle garance mi-robée.

On sépare celle-ci à l’aide du crible ou du blutoir, et on reporte, sous la meule ou le bocard, la portion ligneuse qui est restée entière, pour obtenir une troisième qualité de garance, qu’on appelle garance robée.

On trouve ces trois qualités de garance dans le commerce : la plus estimée de toutes est la troisième : mais, dans les teintures en coton, après avoir séparé avec soin la terre et l’épiderme, on broie tout le corps de la racine pour ne former qu’une qualité.

On a proposé d’employer la garance fraîche, mais, outre que son emploi, dans cet état, ne seroit possible que dans les lieux où on la cultive, la garance fraîche n’a aucun avantage sur la sèche, sous le rapport de la couleur, puisque tout le principe colorant existe, sans altération, dans la garance sèche. La racine fraiche auroit un très-grand désavantage sur la racine sèche, en ce que l’énorme quantité qu’il faudroit employer de la première pour fournir la même dose de matière colorante, permettroit à peine de travailler le coton dans les chaudières.


ARTICLE II.

Des dispositions qu’on doit donner à l’Atelier pour y établir les Salles des mordans et des apprêts.


Pour disposer convenablement cette partie de l’atelier, dans laquelle s’exécutent les principales opérations de la teinture, il faut savoir que les cotons sont imprégnés, pendant plusieurs jours de suite, d’une liqueur savonneuse ; qu’après cela on les engalle et on les alune ; qu’ensuite on les garance et qu’on termine l’opération par l’avivage.

Chacune de ces opérations exige que le coton soit lavé et séché avant de passer à une autre ; et il suit déjà, de cette série d’opérations, que les salles, dans lesquelles se donnent les apprêts et les mordans, doivent être rapprochées et contiguës, et qu’elles doivent être à portée du lavoir, afin de diminuer les transports et de simplifier la main-d’œuvre.

Les dispositions intérieures qui m’ont paru les plus avantageuses sont les suivantes :

La salle, dans laquelle on passe le coton aux huiles, doit présenter la forme d’un carré oblong : les portes doivent s’ouvrir dans l’étendage pour faciliter le transport des cotons ; elles doivent être larges, pour que le passage soit facile, et que, dans les divers transports, le coton ne s’y accroche pas.

Les jarres, chaudières et terrines doivent être disposées contre les murs et enchâssées dans de la maçonnerie, qui sera élevée à 2 pieds 6 pouces (0,762 mètre) au-dessus du sol, avec une largeur pareille.

On place deux terrines entre deux jarres, de manière que chaque jarre ait deux terrines à droite et deux à gauche.

On doit observer que les terrines soient placées à un pied (0,325 mètre) de distance l’une de l’autre : les jarres peuvent être un peu plus rapprochées des terrines.

En supposant que chaque partie de coton pèse 200 livres (100 kilogrammes), la jarre doit avoir assez de capacité pour contenir 250 livres (125 kilogrammes) d’eau.

La forme des terrines doit être conique : l’intérieur sera vernissé et le fond se terminera en œuf. Cette forme paroît être la plus avantageuse, pour fouler le coton et rendre la pression bien égale. Voyez fig. 1, pl 1.

L’orifice des jarres doit être très-évasé : sans cela, l’ouvrier qui agite souvent la liqueur qui y est contenue, et qui y puise, pour verser dans la terrine, seroit gêné dans sa manœuvre. Voyez fig 2, pl 1.

À un pied (0,325 mètre) au-dessus du massif de maçonnerie dans lequel sont engagées les jarres et les terrines, on fixe contre le mur, et parallèlement au sol, un liteau de bois, large de 6 pouces (0,162 mètre) et épais de 2 (0,054 mètre), on le fait régner sur tous les côtés où les jarres sont établies.

À 8 pouces (0,217 mètre), au-dessus du premier liteau, toujours parallèlement au sol de l’atelier, on place un second liteau ; et l’on assujétit, sur ces deux liteaux, au-dessus de chaque terrine, des morceaux de bois portant des chevilles, de la longueur de 6 pouces (0,162 mètre), polies avec soin sur tout le contour, pour qu’elles n’accrochent pas le coton, et assez fortes pour résister à l’effort que fait l’ouvrier lorsqu’il y tord son coton. On doit placer ces chevilles à une hauteur, qui soit telle que l’homme qui travaille puisse se courber sur la terrine, sans donner de la tête contre la cheville. Voyez fig. 3 et 4, pl. 1.

On place dans la salle, deux ou trois tables, de deux pieds (0,650 mètre) de haut, sur 3 (un mètre) de large. Ces tables servent à recevoir les cotons, à mesure qu’on les travaille.

La figure 5, pl. 1, donnera une idée de la disposition de l’intérieur d’une salle aux apprêts.

Dans le Midi de la France, les lessives se préparent encore dans de grandes jarres, qu’on ensevelit dans la terre, et partie dans la maçonnerie, presque jusqu’au bord de leur orifice ; mais ce moyen de lessiver les soudes est très-imparfait, et je préfère celui qui est usité dans le Nord.

Comme les opérations de l’engallage et de l’alunage succèdent à celles dont nous venons de nous occuper, il convient de placer l’atelier, dans lequel s’exécutent ces opérations, à côté du dernier.

Dans l’atelier de l’alunage et de l’engallage, il doit y avoir, au moins, deux chaudières, l’une pour l’engallage, l’autre pour l’alunage ; et, sur les côtés de ces chaudières, on dispose des terrines et des chevilles, comme on le fait dans l’atelier où le coton est passé aux lessives.

Ces chaudières doivent être rondes, et établies de manière que le feu soit servi en dehors de l’atelier, pour que la fumée ou la flamme n’incommode point les ouvriers : elles peuvent avoir les dimensions suivantes : 2 pieds 6 pouces (0,812 mètre) de largeur, sur 2 pieds 8 pouces (0,867 mètre) de profondeur, en supposant qu’on opère sur 200 livres (100 kilogrammes) de coton ; mais, comme on passe souvent à l’engallage et à l’alunage, deux parties de coton, à-la-fois, on peut donner aux chaudières 3 pieds 4 pouces (1,083 mètre) de diamètre, sur 2 pieds 8 pouces (0,867 mètre) de profondeur.

Dans la teinture en coton, on emploie généralement le sumach pour diminuer la dose de la noix de galle : il faut donc disposer deux cuviers dans le même atelier pour lessiver le sumach et fournir une infusion qu’on verse dans la chaudière d’engallage.


ARTICLE III.


Disposition de l’Atelier pour le Garançage et l’Avivage.


Lorsque les cotons sont séchés après leur alunage, on les lave avec beaucoup de soin ; et, dès qu’ils sont secs, on procède à leur garançage.

L’atelier du garançage doit être disposé de manière que l’eau puisse couler, par sa pente naturelle, dans toutes les chaudières, et y arriver, en assez grande quantité, pour que la chaudière soit remplie en très-peu de temps.

Cet atelier doit être très-aéré, pour éviter le séjour des vapeurs incommodes, qui s’élèvent de la chaudière, incommodent les ouvriers et ne permettent pas de juger de l’état du coton.

Le sol doit en être pavé ; et on y ménagera des pentes pour que l’eau s’écoule facilement, et qu’on puisse y entretenir une propreté convenable.

Lorsqu’on peut établir une large communication entre le lavoir et l’atelier du garançage, on se donne par-là une grande facilité pour le transport du coton, l’issue des vapeurs et la surveillance des travaux.

L’étendue de cet atelier, et le nombre des chaudières qu’on doit y établir, dépendent de la quantité de coton qu’on se propose d’avoir à-la-fois en teinture. On pourra déterminer aisément les dimensions de l’atelier et le nombre des chaudières, lorsqu’on saura qu’on peut garancer 70 livres de coton (35 kilogrammes) dans une chaudière de 7 pieds 6 pouces ( 2,274 mètres) de longueur, sur 3 pieds 9 pouces (1,118 mètre) de largeur, et un pied 6 pouces (0,487 mètre) de profondeur ; et qu’on peut faire cinq à six garançages, par jour, dans la même chaudière.

Lorsque le coton est garancé, on le soumet à l’opération de l’avivage, pour le dépouiller de toute la partie du principe colorant qui y adhère peu, et pour lui donner l’éclat et le brillant qui appartiennent au rouge d’Andrinople.

Les chaudières d’avivage doivent donc être établies à côté des chaudières de garançage ; et il en faut deux pour chacune de ces dernières, si l’on veut qu’il n’y ait jamais d’interruption dans les travaux.

Au-dehors de la salle, sous un hangar, on place des cuviers pour lessiver les soudes, et former les lessives nécessaires aux apprêts.

Comme nous avons déjà supposé que chaque partie de coton étoit de 200 livres, une chaudière d’avivage, dont la forme ordinaire, dans le Midi de la France et dans les Échelles du Levant, est celle d’un œuf dont les deux bouts sont aplatis, doit avoir 3 pieds 6 pouces (1,162 mètre) de diamètre dans le fond, 4 pieds (1,325 mètre) vers le milieu, et 5 pieds (1,624 mètre) de hauteur. Voyez fig. 6, planche 1.

J’ai vu, dans plusieurs fabriques du Nord, des chaudières d’avivage qui ne diffèrent des chaudières rondes que par le couvercle, dont on se sert pour les recouvrir et pour empêcher que le coton ne soit poussé au-dehors par les efforts de l’ébullition.

Je crois la forme des chaudières ovales préférable, parce que le coton y est mieux baigné dans le liquide ; parce que la chaleur y est plus concentrée, et parce qu’elle présente une plus grande résistance à l’effort des vapeurs.

Non loin des chaudières d’avivage doivent être placés les cuviers nécessaires pour préparer les lessives de soude employées à cette opération.

Je crois nécessaire d’entrer dans quelques détails sur la construction des fourneaux, tant pour les chaudières de garançage que pour celles d’avivage. Non-seulement un fourneau bien construit économise beaucoup de combustible, et est d’un service facile, mais il influe encore puissamment sur la bonté d’une opération, en ce qu’il chauffe également toutes les parties du bain, et qu’on peut en maîtriser l’action à volonté.

Avant que la construction des fourneaux eût reçu les perfectionnemens qu’on lui a donnés de nos jours, on se bornoit à établir une chaudière sur quatre murs, de manière que le foyer en occupât toute la largeur et longueur, à l’exception d’environ 3 à 4 pouces (un décimètre) de chaque côté, par lesquels la chaudière reposoit sur les murs : une porte pratiquée au milieu d’un des murs des extrémités, facilitoit le service du combustible et donnoit entrée à l’air ; la cheminée étoit construite vis-à-vis et à l’autre extrémité.

On sent aisément, d’après l’idée que nous donnons de la construction vicieuse de nos anciens fourneaux, que le courant d’air qui s’établissoit entre la chaudière et le sol du foyer, entraînoit la chaleur et la précipitoit presque en entier dans la cheminée ; de sorte qu’il falloit un temps très-long et une énorme quantité de combustible pour produire une évaporation.

Le progrès des lumières, et le besoin d’économiser le temps et le combustible, ont du apporter des changemens dans la construction des fourneaux dont nous allons nous occuper.

Une construction de fourneau ne peut être réputée bonne, qu’autant que la chaleur s’applique également sur tous les points de la surface du vase évaporatoire, et que toute celle qui se développe par la combustion est mise à profit.

On peut donc déclarer qu’il existe des imperfections :

1°. Toutes les fois qu’on ne chauffe qu’une des surfaces, parce qu’alors la masse générale du liquide ne s’échauffe qu’autant que la portion du fourneau et celle du liquide qui reçoivent directement la chaleur la lui transmettent ; de manière que l’opération est plus longue.

2°. Toutes les fois qu’on voit fumer la cheminée : car cette fumée, toute composée de corps combustibles entrainés par le courant, annonce qu’ils ont échappé à la combustion.

3°. Toutes les fois qu’on sent l’impression d’une chaleur vive dans le courant d’air qui sort par la cheminée.

En apportant quelques changemens dans chacune des parties qui composent un fourneau d’évaporation, on est parvenu à approcher de bien près de la perfection.

Lorsqu’on emploie le charbon, et que, par conséquent, il faut pratiquer un cendrier, on a soin de le rendre profond, tant pour éviter que le menu charbon qui tombe embrasé ne dilate l’air qui aborde, que pour le mettre à l’abri des courans d’air extérieurs qui, variant sans cesse de force et de direction, rendent la combustion inégale.

Le foyer et la cheminée demandent sur-tout une grande attention. La grille doit occuper les deux tiers de la longueur, et un tiers de la largeur d’une chaudière oblongue ; elle doit être placée à environ 3 pouces (un décimètre) plus bas que le niveau de la pierre sur laquelle repose la porte, de manière qu’il y ait une pente dans l’épaisseur du mur contre lequel la grille vient s’appuyer. La grille doit être formée de barres de fer posées librement et sans liens sur des soutiens de même métal placés en travers et à environ un pied de distance l’un de l’autre (en fixant ou assujétissant les barres de fer, on les expose à se tourmenter et à se déjeter par le changement de dimensions qu’elles éprouvent lorsqu’elles passent successivement du froid au chaud et du chaud au froid). La chaudière doit être placée à 12 ou 15 pouces (3 à 5 décimètres) au-dessus de la grille ; la nature du combustible détermine sur-tout la hauteur, et on la gradue selon qu’il donne plus ou moins de flamme, ou qu’il brûle avec plus ou moins d’activité.

La chaleur qui s’élève d’un foyer exerce son maximum d’action à une hauteur qu’il faut connoître, mais qui varie d’après les causes que nous venons d’indiquer. En général, le combustible qui développe beaucoup de flamme, exige une hauteur plus élevée ; le charbon de terre épuré et le charbon de bois en demandent une plus basse. Mais c’est toujours entre ces deux extrêmes qu’il faut prendre l’élévation convenable.

Lorsqu’on a à placer une chaudière ronde sur un fourneau, il faut encore apporter quelques modifications à la construction de ce dernier, sur-tout dans ce qui regarde l’emplacement de la grille. Dans presque tous les ateliers, on pose la chaudière, de manière que le milieu du fond réponde au milieu de la grille ; cette disposition seroit la meilleure, si la chaleur du foyer s’élevoit perpendiculairement pour frapper la chaudière ; mais le courant d’air qui entraine la flamme, et qui tend à gagner la cheminée lui donne une direction oblique ; de sorte que le courant de chaleur ne frappe que la partie de la chaudière la plus proche de la cheminée. Pour obvier à cet inconvénient, il suffit de porter la grille en avant, de manière que le bord de la grille, du côté de la cheminée, réponde au milieu de la chaudière, et que le côté de la porte du foyer soit perpendiculaire au bord antérieur. Dans cette position, la flamme qui s’élève du foyer fouette fortement contre toute la surface du fond de la chaudière avant d’aller se perdre dans la cheminée.

Mais c’est sur-tout dans la direction des cheminées qu’on a opéré, de nos jours, les plus heureux changemens : au lieu de s’élever perpendiculairement en partant du foyer, on les oblige à ceindre le flanc des chaudières et à tourner autour avant d’arriver à la cheminée perpendiculaire, qui va se perdre dans les airs ; de manière que le reste de la chaleur qui s’échappe du foyer est appliqué sur les surfaces des parois latérales des chaudières, et s’y dépose.

Quelquefois, au fond du foyer, vis-à-vis la porte, sont pratiquées deux ouvertures qui forment la naissance des cheminées tournantes, et qui viennent se réunir au-dessus de la porte du foyer en un seul tuyau, par lequel le courant d’air qui a servi à alimenter le feu, s’échappe dans l’atmosphère. Dans ce cas, la cheminée perpendiculaire est au-dessus de la porte du foyer.

Mais plus souvent le courant ne sort du foyer que par une ouverture ; alors la cheminée tournante se termine dans la cheminée perpendiculaire, à l’extrémité opposée à celle du foyer et du cendrier.

Lorsque les chaudières sont très-grandes, et qu’il est difficile, sans employer une énorme quantité de combustible, d’en échauffer la base, on y pratique encore des cheminées tournantes, qui vont s’ouvrir dans celles qui règnent tout autour.

Cette dernière construction a l’avantage de soutenir les chaudières et d’empêcher qu’elles ne se bombent, ce qui arrive surtout aux chaudières de plomb et de cuivre, et en occasionne une prompte destruction.

Les murs qui séparent les courans de la cheminée au-dessous de la chaudière, doivent être peu épais ; leur largeur sera à-peu-près celle d’une brique.

Au moment de placer la chaudière, on doit recouvrir la surface supérieure de ces cloisons d’une couche de lut, fait avec le crottin de cheval et l’argile pétris ensemble, pour que la chaudière touche par tous les points et que la flamme ou le courant d’air qui sort du foyer, soit forcé de parcourir toute l’étendue de la cheminée.

Le fourneau dont nous parlons en ce moment, présente sur-tout un très-grand avantage lorsqu’on se sert du bois pour combustible, parce que la flamme qu’il produit parcourt les sinuosités de la cheminée dans presque toute leur étendue ; et que la chaleur est appliquée sur toutes les surfaces de la chaudière.


ARTICLE IV.

Des Dispositions qu’il faut donner au Lavoir.


Nous avons beaucoup parlé du lavoir, sans en déterminer la position : mais l’on a déjà senti que le lavage du coton terminant chaque opération, le lavoir doit être, pour ainsi dire, au centre de l’atelier et à côté de l’étendage.

L’eau du lavoir doit être courante sans être trop rapide ; et le volume doit en être tel, que plusieurs ouvriers puissent s’y placer, à-la-fois, sans être gênés dans leurs mouvemens.

L’eau ne doit pas avoir moins de 6 pouces (0,162 mètre) de profondeur, et il importe, pour la beauté des teintures, qu’au-dessus du lavoir, il n’y ait pas d’autres fabriques qui puissent troubler l’eau ou y mêler des matières nuisibles.

Pour approprier un lavoir à ses usages, il faut commencer par en paver le sol ; par ce moyen, on y maintient plus de propreté, attendu que le coton ne se mêle pas au limon ou à la terre qui en recouvre le fond, et que d’ailleurs il ne s’accroche plus aux objets raboteux qui pourroient s’y trouver.

On élève, sur chaque côté et à un pied (0,325 mètre) au-dessus du niveau de l’eau, un petit mur de 3 pieds (0,975 mètre) de largeur. La surface doit en être bien polie. On peut employer, à cet usage, de belles dalles ou de larges plateaux de bois qui remplacent les murs de maçonnerie.

Sur le milieu de la largeur de ces petits murs, on fixe des chevilles de bois, de forme conique et de la hauteur d’un pied (0,325 mètre), on les place à une distance de 5 pieds (1,627 mètre) l’une de l’autre, et de manière que les chevilles d’un côté correspondent vers le milieu de l’intervalle qui règne entre les chevilles du côté opposé. Chaque cheville a environ 3 pouces (environ un décimètre) de diamètre à sa base. Voyez fig. 1, pl. 2.

Il est prudent, sur-tout lorsque le lavoir est établi sur un courant d’eau rapide, de placer un grillage à l’extrémité, afin d’arrêter le coton qui peut être entraîné.

J’ai vu des fabriques où le lavoir étoit établi sur des eaux stagnantes : mais, dans ce cas, le coton se nettoie mal, et la couleur n’a jamais l’éclat desirable.

Comme les diverses opérations de teinture exigent des précautions bien différentes, et qu’il en est, dans le nombre, qui demandent une eau pure et tranquille, telles que celles qui ont pour but le tirage de l’huile, je crois qu’il est très-avantageux à une fabrique d’établir un second lavoir, qu’on réserve pour ces opérations délicates. Ce petit lavoir peut être alimenté par l’eau d’un bassin : la largeur peut se réduire à 2 pieds 10 pouces (0,921 mètre). Ce lavoir offre encore une grande ressource, lorsque les eaux de la rivière sont troubles, trop basses ou trop fortes.


ARTICLE V.

Des Dispositions à donner à l’Étendage.


La position, l’étendue et l’exposition de l’étendage influent singulièrement sur le sort d’un établissement de teinture : car, comme dans chacune des nombreuses opérations qu’on fait subir au coton, on est obligé de le sécher après chaque opération avant de passer à une autre, il faut que l’étendage soit à portée de l’atelier, et que sa disposition, sous le rapport de l’étendue et de l’exposition, présente tous les avantages convenables pour sécher promptement, et d’une manière égale, la quantité de coton qu’on mène de front dans l’atelier.

Dans les pays du Nord, où la température, froide et constamment humide pendant six à huit mois de l’année, ne permet pas de sécher les cotons en plein air, on a recours à des étuves qu’on pratique dans l’atelier. Ces ressources de l’art sont inutiles dans le Midi, où il est rare que, même pendant l’hiver, on ne puisse pas sécher en un jour une partie de coton, sur-tout lorsque le coton est convenablement manipulé à l’étendage. Et c’est encore un nouvel avantage pour les teintures du Midi sur celles du Nord.

Nous devons donc nous occuper essentiellement des dispositions qu’il convient de donner à un étendage en plein air. On pourra facilement en déduire des conséquences pour les dispositions d’un étendage couvert, en observant, toutefois, que, dans ce dernier, les cotons ne peuvent être que beaucoup plus serrés, par rapport à la cherté des constructions et à la dépense du combustible.

La grandeur d’un étendage doit être proportionnée à la quantité de coton qu’on se propose de mener de front dans le même atelier ; et on peut la déterminer, par approximation, en supposant que le tiers du coton qui est en teinture, reçoit les opérations qui n’exigent pas de dessiccation : l’étendage doit donc être capable de contenir les deux tiers du coton qui est entre les mains des ouvriers. Pour calculer cette étendue, il suffit de savoir qu’il faut une surface d’environ 30,000 pieds carrés (10,000 mètres carrés) pour développer et sécher commodément 5,000 livres (250 myriagrammes) de coton à-la-fois.

Le sol qu’on destine à former un étendage, ne doit être ni humide, ni entouré de bois : dans l’un et l’autre cas, la dessiccation y seroit longue et pénible.

Mais, sans nous arrêter à tous ces petits détails, et pour bien apprécier tous les avantages et tous les inconvéniens d’un local qu’on a le projet de convertir en étendage, il suffit de savoir qu’il doit être bien exposé à l’air ; que toutes les parties de la surface doivent recevoir le soleil pendant le même temps ; qu’il doit être à portée de toutes les parties de l’atelier où l’on opère sur les cotons, etc.

Lorsqu’on a fait choix du local, on le dispose de la manière suivante : on commence d’abord par en aplanir le terrein, et arracher toutes les herbes, les arbres et arbustes. On foule le sol de manière à s’assurer que la végétation ne puisse pas s’y rétablir. On trace ensuite des lignes parallèles entr’elles et à la distance de 10 pieds 6 pouces (3 mètres ) l’une de l’autre. On les dirige du sud à l’est. Après avoir tracé les lignes, on plante des piquets sur toute leur longueur, à la distance de 6 pieds (2 mètres) l’un de l’autre. Ces piquets doivent être très-droits, d’une surface bien unie, d’une grosseur d’environ 4 pouces (0,108 mètre) de diamètre : ils doivent s’élever au-dessus du sol de 3 pieds 8 pouces (1,192 mètre), et le pied doit être assujéti dans une bonne maçonnerie, ou scellé dans un dé de pierre.

Le choix des bois n’est pas indifférent pour former les piquets d’un étendage : on rejettera les bois qui sont faciles à se corrompre, de même que ceux qui se gercent, qui s’ouvrent et s’écaillent par l’action successive de la chaleur et de l’humidité : ces derniers occasionneroient un déchet incalculable, en accrochant et déchirant le coton qui flotte continuellement par l’agitation de l’air ou par la manipulation de l’ouvrier.

On fixe des soliveaux parallèles au sol sur le sommet de ces piquets ; ces soliveaux, dont l’épaisseur est d’environ 4 pouces en carré (environ un décimètre), règnent dans toute la longueur de l’étendage, et sont destinés à supporter des barres mobiles dans lesquelles on passe les mateaux de coton qu’on destine à sécher.

Après avoir ainsi disposé ces soliveaux, on implante, dans la partie supérieure et à une distance de 2 pieds (0,650 mètre) l’un de l’autre, des clous de fer sans tête. Ces pointes de fer doivent être saillantes d’environ 3 pouces (0,081 mètre): elles sont destinées à recevoir et à fixer les barres qui supportent le coton, et qui, à cet effet, sont percées d’un trou à l’une de leurs extrémités.

Les barres dont nous venons de parler, doivent être d’un bois très-léger ; elles doivent avoir des surfaces très-lisses, et environ 12 pieds (environ 4 mètres) de longueur.

Chacune de ces barres peut recevoir 4 livres de coton (2 kilogrammes) ; de sorte que, pour opérer à-la-fois, dans l’atelier, sur 5,000 livres (250 myriagrammes), il en faut 1,200.

Il est nécessaire de pratiquer deux ou trois allées dans l’étendage, pour pouvoir communiquer dans les rangs, et se porter sur tous les points, sans être forcé d’entrer par l’une ou l’autre des extrémités.

Il est encore avantageux de former, au nord de l’étendage, un hangard d’environ 30 pieds (environ 10 mètres) de longueur, sur 20 (environ 7 mètres) de largeur, pour y déposer les cotons, et les mettre promptement à l’abri dans des temps d’orage, ou lorsqu’ils ne sont pas complètement séchés dans le jour. Voyez fig. 2, pl. 2.

Nous avons essayé de présenter, dans la fig. 1, pl. 3, une disposition d’atelier de teinture que nous croyons réunir les principaux avantages dont nous avons parlé.