L’arriviste/La fourmi chez les cigales

Imprimerie "Le Soleil" (p. 37-57).

III

À L’UNIVERSITÉ

La fourmi chez les cigales


Deux ans plus tard, Guignard et Larive ont terminé leurs études classiques ; nous les retrouvons tous deux à la faculté de droit. Durant leurs classes de philosophie, celui-ci a décidément jeté sa gourme d’écolier turbulent, et son amitié pour son condisciple a noué des liens de plus en plus resserrés. De son côté, le campagnard a pris plus d’assurance ; l’admiration de son ami pour ses talents et ses succès, qui a même rallié en sa faveur la sympathie des autres, lui inspire plus de confiance en ses moyens, en son avenir. On les tenait maintenant pour deux inséparables qu’on aurait pu croire sérieusement liés à la vie à la mort, non pas dans une petite scène de mélodrame, pour la fête du directeur, comme l’avait dit plaisamment l’un d’eux, mais à la sortie du collège, pour la grande chevauchée de la vie réelle.

Le stage universitaire est bien déjà la vie réelle. C’est là que s’élabore prochainement l’état de vie définitif ; c’est là que se produisent les premiers mécomptes et les premières désillusions ; là que se rencontrent, comme dans un premier heurt, les générosités juvéniles avec les égoïsmes déjà classés, le sentiment ingénu avec l’orgueil, la délicieuse et parfois naïve romance du cœur inasservi avec le calcul d’une foi mentie ou d’affections troquées.

Au collège, l’uniformité de l’accoutrement comme celle des menus à table, car nous voulons parler plus spécialement des internes, entretiennent chez ces garçons, encore insoucieux du passé et de l’avenir, — saurions-nous en dire autant des jeunes demoiselles aux études, — une heureuse confraternité égalitaire qui efface momentanément les inégalités sociales. Les démarcations qui s’y établissent et s’y entretiennent, comme naturellement, sont celles qui résulteraient plutôt de la valeur personnelle d’un chacun. De là, chez ces éphèbes à l’esprit encore généreux et désintéressé, deux castes, deux catégories, deux aristocraties ; ceux qui brillent à la culture intellectuelle, et ceux qui priment à la culture physique ; les forts en thème et les forts aux jeux ; les premiers de classes et les champions sportiques.

Or, vivons-nous à une époque où il soit facile de mépriser l’une ou l’autre de ces célébrités ?

Quant aux inégalités de fortunes familiales, les deux personnages qui ont lieu et quelque raison de s’en occuper, au collège, sont le procureur et le directeur, spécialement nantis du soin, celui-ci, de sauvegarder les mœurs et l’avenir, celui-là, d’administrer le budget des intéressants sujets qu’ils ont entrepris d’éduquer.

Mais à l’université, on est plus qu’à moitié déjà émancipé. On tire à vue sur l’opulence paternelle, ou l’on commence à tirer la queue du diable, si l’on est fils de famille ou étudiant besogneux.

Déjà aussi la société vous réclame avec toute l’âpreté de ses exigences et de ses mondanités, ce qui tend forcément à accentuer les inégalités du niveau social chez des confrères d’une même promotion. S’il y en a dont l’auréole professionnelle projette des lueurs qui leur ménagent d’avance une intrusion ascensionnelle ; s’il s’en trouve qui, par snobisme ou par audace, réussissent parfois à forcer les retranchements, saluez-les alors comme des arrivistes.

Mais, Eugène Guignard n’avait pas attendu de vivre dans les cercles universitaires pour commencer à comprendre que la démarcation des castes sociales était beaucoup moins accentuée dans une salle de collège que dans le monde. Félix lui même, son alter ego, n’avait guère tardé, non plus, à faire son édification là-dessus, à lui donner une occasion assez cruelle de le constater et qu’il n’oublierait plus.

Elle est sérieuse, bien sérieuse l’heure où le jeune homme, à la fin de ses études, cherche l’orientation de sa destinée. Les éducateurs, moralistes, pasteurs d’âmes du collège nous apprennent ce qu’est la vocation, cette voix mystérieuse d’en-haut, à laquelle il faut savoir obéir sous peine de fausser tout son avenir, pour la vie, même pour l’éternité. Qui ne se rappelle ces heures de méditation profonde où il a fallu pour chacun résoudre le problème de l’homme dont les données s’embrouillent dans les goûts et les rires de l’enfant ? Quand viennent encore s’y ajouter les idées préconçues, les désirs mal réservés, les reproches à demi-dissimulés des parents, cette heure n’est plus seulement sérieuse, elle devient l’une des plus tristes, quand elle ne se fait pas l’une des plus fatales de la vie.

L’étudiant d’Armagh connut toute l’acuité de cette misère. Ses parents, ignares et pauvres, en recherchant l’onéreux honneur de le tenir aux études classiques, s’étaient plu presque inconsciemment à entretenir l’espérance de le voir choisir l’état ecclésiastique. Et ce fut un désenchantement pour eux en même temps qu’un crève-cœur pour lui, quand il fallut admettre de part et d’autre le mécompte. Non, sans doute, il n’y eut pas de reproches ni ouverts ni amers ; mais des sousentendus, un regret trop ostensible des sommes d’argent inutilement dépensées quand on est pauvre ; ce qui voulait dire l’épuisement du crédit sur lequel il n’y avait plus à compter pour toute étude ultérieure.

Associé, durant le jour, aux travailleurs des champs, abandonné le soir à ses pénibles cogitations, ce fut avec cette amertume au cœur que le pauvre bachelier frais émoulu passa les premières semaines de ses vacances de finissant. Que de fois le souvenir de son ami ne vint-il pas s’agiter en son esprit ? Combien ne fut-il pas tenté de porter envie à ce fils de négociant, qu’il avait cru tête légère, mais qui allait maintenant partir devant lui sans hésitation, s’engager joyeusement dans sa voie grande ouverte, et le laisser là, lui, dans l’incertitude et l’inconnu ?

Que ne peut-il, comme en ces dernières années, à la récréation du soir sous les grands arbres, l’entretenir de ses ennuis, prendre de lui conseil après l’avoir tant de fois morigéné. Mais, non ; Félix est loin, encore plus loin peut-être moralement que physiquement.

Comme elle était donc bien légitime et bien cruelle la peine de la séparation qui vous mordait au cœur durant la soirée d’adieux des finissants !

Fallait-il écrire à Félix ; lui faire part de ces premières épreuves de la vie pratique, le relancer pour cela dans les plaisirs, les courses champêtres, la villégiature et les bains-de-mer à la mode ?

Le philosophe d’hier eut le stoïcisme, et l’on pourrait dire beaucoup mieux et tout simplement, le bon esprit de n’en rien faire.

Enfin, il a pris son parti. Il ne restera pas à mi-chemin entre la classe ouvrière et la classe professionnelle ; mais tentera de se rendre jusqu’au but. Un voyage à la ville lui a permis de revoir ses directeurs, de sonder de tous côtés l’impasse dans laquelle il se voit acculé, de trouver une issue pour en sortir. Le diplôme de bachelier lui ouvre l’entrée de l’étude professionnelle. C’est au barreau qu’il se destine, comme son ami Félix qui devra être beaucoup moins surpris de cette décision, que ne l’ont été les parents là-bas, à Bellechasse. Car ce sont les projets tant de fois rêvés des deux potaches qui vont maintenant se réaliser, puisqu’enfin, à l’aide de quelques leçons de langues mortes et de mathématiques données à des étudiants en retard, Eugène Guignard a trouvé la ressource pécuniaire qui lui faisait défaut pour commencer son stage.

Il s’en revenait de la ville avec ce rayon de soleil dans l’âme, heureux d’apprendre à ses parents cette solution qui devait à la fois les soulager et le consoler, lorsque, sur le bateau qui portait César et son avenir, il fut en butte à une très vive émotion. Une voix aux accents bien connus s’est élevée dans la cohue des voyageurs. Il a tressailli au plaisir de rencontrer son ami Larive, qui est là, qu’il va s’empresser de rallier pour le mettre au courant de l’état de choses nouveau. Mais non pas ; halte-là ! Larive n’est pas seul. Il accompagne deux dames d’un âge bien différent ; d’un âge tellement différent que l’on reconnaît en elles la mère et la fille, quand bien même il faudrait un grand effort de mémoire pour retrouver, sous tous ses dehors de petit-maître, le disciple de naguère qui, hélas ! ne sembla pas du tout avoir jamais étudié, sous aucun portique, avec le Socrate de son collège ni avec l’humble paysan d’Armagh.

Eugène dut passer outre comme un bolide qui se perd dans la nuit. Et voilà comment il n’avait pas été à la peine d’attendre l’expérience de la vie universitaire, pour apprendre que la ligne de démarcation entre les classes sociales est beaucoup moins profonde au collège que dans le grand monde !

Toutefois, si les liens de cette amitié collégiale subirent alors une secousse à se rompre pour jamais, si l’étudiant campagnard cuva dans la peine la plus cuisante le vin amer de cet affront, il s’efforça néanmoins de transiger avec les réclamations de son cœur blessé et celles beaucoup plus impérieuses de son amour-propre humilié.

Que Félix eut un instant, sinon tout à fait rougi de lui du moins cédé à la gêne ou l’embarras de le reconnaître dans la circonstance que nous savons, l’incartade pour tout autre n’aurait peut-être prêté qu’à une explication vive entre deux jeunes gens du même niveau social. Mais notre villageois devait en être plus profondément blessé. Il y voyait trop bien la réalisation de toutes ces craintes, ces méfiances qu’il avait pendant si longtemps entretenues au collège, comme inséparables à la fois de sa pauvreté et de son éducation. Il s’était habitué longtemps d’avance à comprendre que l’humilité de sa condition sociale et de celle de ses parents l’exposerait à rude épreuve, parmi ceux chez qui sa culture intellectuelle et ses talents lui permettraient d’ailleurs de fréquenter.

Aussi pour un rien, dans sa timidité native et son abnégation raisonnée, allait-il se convaincre qu’après tout ce n’était que juste et bien fait pour lui ; sa bonne nature cherchant à l’emporter sur sa rancœur. Puis à cet âge, où les caractères sont encore en formation, pour ainsi dire malléables, les déplaisirs et les ressentiments sont parfois peu durables, les humiliations moins profondes, comme des empreintes dans un sable mouvant que le moindre vent soufflant du bon côté fera tôt disparaître.

Voilà pourquoi nous les retrouverons ensemble encore à l’université, ces deux copains. Sans doute, il y aura d’un côté un sentiment prévenu et un peu désabusé, mais le plaisir des raccordailles l’emportera sur les susceptibilités.

À la veille des examens surtout, comme en face d’un péril commun, l’amitié d’Eugène Guignard et de Félix Larive reprend, sait-on pourquoi, de son ancienne ardeur. Non plus sous les grands arbres du séminaire, mais dans la petite chambre d’étudiant qu’il paie misérablement de son premier gain, Eugène reçoit alors presque tous les soirs, durant une quinzaine, son ami dont il se fait le répétiteur de droit. On cause aussi comme autrefois, ou comme deux vieux déjà, de la prime jeunesse. Quand Félix s’en va, il laisse, dans cette pauvre chambre d’étudiant, la bonne odeur du tabac dispendieux qu’il y a brûlé, et dans l’âme de son ami, le rayon de soleil d’un printemps pourtant déjà passé.

Toutefois dans l’entretemps des examens, Guignard aurait tout le loisir de réfléchir sur la complexité et la vanité des occupations, des engagements, — comme l’on dit dans la société, — qui éloignent de lui son ami, s’il n’était pas lui-même très pris pour gagner les quelques piastres qu’il lui faut payer, chaque terme ou chaque mois finissant, à l’université, à la pension, au propriétaire de sa chambrette.

Durant la deuxième année de ses études professionnelles, il trouva un expédient plus commode pour gagner sa vie d’étudiant tout en suivant les séances des tribunaux. Un confrère lui prêta avant les vacances un traité élémentaire de sténographie, et à l’automne, il était prêt à « prendre des enquêtes », ce que pouvaient faire alors tous les étudiants de bonne volonté, de cœur et d’intelligence.

Il n’essaya qu’une fois d’un autre expédient dont il devait encore conserver un triste souvenir.

Au collège, il ne s’était pas contenté, quant à la musique, d’écrire le discours qui devait consacrer la réputation littéraire de Félix Larive. Pour charmer ses ennuis et sérieusement aggraver celui de ses confrères, il avait pendant plus de deux années étudié les effets plus ou moins compliqués et harmonieux d’un archet docile trainé à angle droit sur les quatre cordes décidément grincheuses d’un deuxième violon, en tenant scrupuleusement les yeux sur les pages d’une méthode nullement infaillible pour conduire à la virtuosité. Il en avait cependant retenu deux choses : la valeur des temps et des contre-temps, puis la différence des tons.

Et c’est encore cette précieuse notion-là qui va lui être brutalement rappelée.

Dans un orchestre retenu pour le grand bal du maire de la ville, à la dernière heure un artiste fait défaut. Le chef lui offre de prendre sa place ; ce qu’un dernier exercice d’ensemble lui rend assez facilement possible, et il sourit à l’idée de gagner dans une seule soirée autant que, l’année précédente, un de ses élèves privés ne lui payait qu’au bout d’un mois. Il est vrai que ce maire est aussi l’un de ses professeurs de droit ; mais, dans la foule, il n’ira pas remarquer son élève au deuxième rang, et au deuxième violon de l’orchestre.

Sous les feux éblouissants du luminaire, sous l’éclat rutilant des parures, la grande salle du bal s’anime. Les musiciens ne sont pas encore à leurs pupitres quand trois ou quatre élèves de la faculté de droit entourent Guignard, qu’ils félicitent, qu’ils acclament.

— « Enfin », lui dit l’un d’eux, pendant que Félix l’observe d’un air plutôt embarrassé, « te voilà lancé dans le monde, Eugène, presque malgré toi. Il n’en fallait pas moins pour te décider. Notre professeur a eu une heureuse idée d’inviter à son bal les dix premiers élèves de notre promotion, et comme tu es notre primus inter primos, tu ne pouvais pas décemment te dérober à son invitation ; d’autant plus qu’une abstention comme celle-là aurait pu l’indisposer contre nous tous.

Bravo ! mon vieux.»

Il y en a deux dans ce groupe qui ne participent pas à cette joie : Eugène qui commence à comprendre, et Félix qui a compris depuis quinze jours que son ami n’avait pas été invité.

— « À votre place, M. Guignard, dit le chef d’orchestre. On nous demande de commencer. »

Dans le cours de la soirée, deux ou trois fois, quelque chose comme un frémissement nerveux, un spasme, un haut-le-cœur peut-être faillit jeter le désarroi dans les coups d’archet et les staccati du deuxième violon.

— « Je vous aurais cru meilleur mesuriste, M. Guignard, lui dit, après la soirée, le chef d’orchestre, et votre oreille n’est pas toujours assez scrupuleuse. L’oreille, l’oreille ! mon cher, pour les instruments à corde ! Après tout, ce n’est pas votre métier, vous n’étiez qu’un suppléant ; on peut vous pardonner d’avoir été nerveux pour une première dans le monde.

— Je l’avoue, monsieur le chef, plus d’une fois, j’ai moi-même remarqué que je n’étais guère dans le ton ou que j’accélérais pour en finir au plus tôt. C’est ce qui ne m’arrivera plus, je l’espère. »

Et le jeune homme, fatigué, déprimé, profondément humilié, cette fois, regagna sa chambrette où les quelques heures de repos qu’il lui restait avant le cours devaient être encore traversées de cette pénible impression.

— « J’ai bu pour la première fois, se disait-il, à la coupe des avanies. Demain, mes confrères me regarderont, les uns, avec ironie ; d’autres, avec commisération, ce qui est peut-être encore plus fatigant pour l’esprit orgueilleux. Mais je l’accepterai pourtant, mon Dieu ! »

Heureusement pour lui, cet enfant avait encore du sentiment religieux. Sa formation collégiale était restée intacte. S’il ne put se dire avec orgueil : « Non dolet », il comprit qu’il pouvait grandir et s’élever à ses propres yeux, en buvant sans récriminer pour la première fois à l’eau du torrent.

Félix Larive lui avait paru superbe d’atours et de belle mine pendant toute cette soirée. Qu’il eut été le lion du jour chez les jeunes, comme il fut jadis l’orateur acclamé du collège, Eugène serait le dernier à le lui envier, tant il s’était habitué depuis longtemps à reconnaître cette supériorité à laquelle il lui plaisait de se soumettre, même d’y contribuer généreusement. Disons aussi à l’honneur des autres étudiants, dont la noblesse de sentiments n’est pas toujours victime de leur légèreté, que pour bon nombre d’entre eux Guignard n’en fut pas autrement amoindri dans leur estime. On lui concéda une force de caractère, une énergie de volonté, une bravoure du cœur, au milieu des difficultés de la vie, qui en imposaient à leur esprit de dépendance, à leur insouciance du lendemain, sous l’influence secourable du régime paternel.

Eugène Guignard toutefois renonça à l’art musical pour consacrer tous ses loisirs à l’exercice autrement plus lucratif de la sténographie. Les procéduriers, les conseils aux enquêtes, prévenus de sa dextérité comme de ses besoins, recherchèrent à l’envi ses services. Il n’eut plus à passer de nuits au bal, mais à transcrire ses notes, tâche de mercenaire qui, du moins, jusqu’à la fin de ses études universitaires, lui valut un Pactole. À cette phase de la vie, comme au théâtre, s’opèrent souvent des changements à vue. Ne soyons donc pas surpris si, durant la dernière année de son stage, la condition économique de l’étudiant pauvre s’est notablement améliorée. Il a fait des épargnes, les confrères l’ont appris maintenant ; ils lui en savent meilleur gré que de ses succès à la faculté. Tantôt à leurs yeux il sera déjà quelqu’un grâce au prestige de l’argent. Par contre, Félix commence à connaître ce que peut comporter d’inquiétude et de malaise la gêne pécuniaire ; non pas qu’il ait à pourvoir aux nécessités de sa subsistance, mais aux engagements de sa prodigalité.

Un soir, c’était encore durant la préparation des examens, les derniers de leurs études professionnelles, il fit part à Eugène de ses embarras. Une échéance allait prochainement se présenter qui le mettrait en grand danger d’encourir la rigueur des foudres paternelles. Une voiture brisée, un cheval blessé durant une promenade d’étudiant, tel était l’imprévu, qui avait de fond en comble compromis l’équilibre de son budget, momentanément maintenu par un crédit sur billet, qu’il faudrait bien présenter à la caisse domestique, s’il devait jamais être quelque part honoré.

— « Non pas ! » lui dit son ami Guignard. « Tu n’irais pas froisser ton père en lui dévoilant du même coup ta sotte escapade et ta cachotterie plus sotte encore, tout à la fin de tes études légales, au moment où il te croit devenu homme sérieux, où il te faudra plutôt recourir à lui pour le devenir effectivement. Paie-moi cela, ce billet-là. Ne lui en parle pas, je fournis l’argent.

— Eugène, tu fais plus que me jeter dans la confusion. Je ne trouve pas d’expression juste pour te remercier comme je le voudrais. Mais sois sûr, oui, bien sûr que toute ma vie…

— Oh ! je t’en prie, grâce du reste ! Tu ne te fais pas l’idée de ce que je la connais celle-là ! Serait-ce encore à la vie, à la mort, comme dans la petite scène, tu sais, « pour la fête du directeur » ? Parce qu’il a plu au fils à papa de faire le fou et qu’il lui déplairait aujourd’hui de s’en accuser en tendant la main, vas-tu me la faire au mélo, ta petite lippe d’enfant maussade ? Va payer ton homme ; songe à passer tes examens ; ne recommence plus et laisse-moi tranquille ! »

L’automne suivant, sur la devanture d’un plain-pied moderne divisé en bureaux d’affaires de toutes sortes, s’énonce et s’annonce, en belles lettres d’or toutes neuves, ainsi que dans les colonnes des grands journaux, la raison légale :


GUIGNARD & LARIVE
Avocats — Procureurs.
Eugène Guignard, Félix Larive,
B.A. ; LL. L.
B.L. LL.B.