Chapitre Premier

L’APPEL DU CHIBOUGAMAU


Trois grands lacs : les lacs Mistassini, Chibougamau et aux Dorés bordent la vaste région minière de Chibougamau, située sur la ligne de partage des eaux, à trois cents milles, à vol d’oiseau, au nord de Montréal. De ce trio de mers intérieures, la plus magnifique porte le nom de Chibougamau.

Immense miroir d’eau cristalline, s’étendant du sud-ouest au nord-est, sur une longueur de vingt milles et une largeur de six. Il baigne les berges d’une infinité d’îles, pénètre dans des baies profondément découpées, puis ayant déversé ses eaux dans celles du lac aux Dorés, il se joint, vers l’ouest, à la rivière Nottaway et s’oriente ensuite vers le nord, pour se perdre enfin dans cette mer arctique qu’on nomme la baie d’Hudson.

Il est sans souillure à l’heure j’écris ces lignes, ne connaissant des hommes que des Indiens nomades et des prospecteurs solitaires ; ses rives ignorent les maisons, sauf un ancien poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson, maintenant en ruines.

Tantôt serein, tantôt rieur, tantôt sombre, tantôt tempétueux, grondant, démonté, toujours changeant, le lac de Chibougamau présente de grands périls au navigateur sans méfiance.

Ses eaux profondes, ainsi que ses hauts-fonds, recèlent la truite de grande taille, ainsi que le brochet, le doré, le poisson blanc. Ses rives caillouteuses et propres, sont couvertes de sapins, de pins, de bouleaux, de peupliers. d’épinettes rouges ; et son ciel mouvementé gronde, rit ou soupire, au rythme du vent et du chant des oiseaux du nord.

Les missionnaires jésuites sont les premiers blancs à explorer cette terre lointaine et farouche. Ils arrivent au cours du XVIIe siècle, brandissant le flambeau de la Foi, en route pour les rives sauvages de la baie d’Hudson. Ils remontent le Saguenay[1] ce fiord canadien, aux gigantesques escarpements, traversent le lac Saint-Jean, empruntent des rivières serpentant sur des centaines de milles, le long de durs portages, tantôt pataugent dans les marécages, tantôt escaladent les montagnes, allant toujours de l’avant, poussant sans cesse plus loin vers le nord-ouest, dans les aubes et les crépuscules…

Ils voyagent en compagnie d’Indiens montagnais et vivent comme eux frugalement et durement. Le père Charles Albanel, qui hiverna en 1651 avec la tribu, écrit :

« … Les Montagnais ne possèdent point de domicile fixe ; ils errent par les bois, gravissent jusqu’au sommet des montagnes d’une hauteur prodigieuse, à la recherche d’orignaux, de caribous et autres bêtes sauvages. Durant ces épuisantes expéditions, on souffre beaucoup de la faim, de la soif, des froids excessifs, de la fatigue et de l’écœurement, ainsi que de la fumée qui nous aveugle et provoque des douleurs intenses, et tout ceci sans consolation, sans réconfort et sans aucune aide de la nature »…

De l’an 1700 au milieu du XIXe siècle, il n’est guère fait mention du Chibougamau.

En 1870, le directeur des Recherches géologiques pour le Canada envoie un géologue, James Richardson, dans cette région. Son rapport contient la première mention qu’on ait jamais faite des richesses minérales du Chibougamau.

D’autres géologues se livrent à des explorations d’importance secondaire, après Richardson ; mais ce n’est qu’après la visite du district par un français d’extraction polonaise, Joseph Obalski, alors Inspecteur des mines du Québec, qu’il devient sérieusement question de Chibougamau. Obalski avait examiné les échantillons de roc apportés par Peter McKenzie, un traitant de fourrures qui avait pénétré dans la région en 1903. Le savant en reste impressionné, au point qu’il se rend lui-même dans le territoire de Chibougamau l’année suivante. Le voyage en canot, à partir de Saint Félicien, prend tout près d’un mois : il faut transporter les provisions en canots et à dos d’homme. Les Indiens chargés des ballots et des embarcations, franchissent cinquante-trois portages.

Le rapport officiel d’Obalski, daté de 1904 et adressé au ministre des Mines, déclare : « Je ne peux trop attirer votre attention sur ce nouveau district (Chibougamau) et sur les importantes découvertes qu’on y a faites, car je considère que tout cela est destiné à jouer un grand rôle dans le développement industriel de notre province. »

D’autres géologues, de renommée mondiale, viennent après Obalski. L’Américain John E. Hardman, premier président de l’Institut minier du Canada et occasionnellement professeur en génie minier à l’Université McGill, prédit en 1905 que « le district de Chibougamau est destiné à fournir une production minérale considérable et profitable. » La même année, il se fait le champion du projet de construction d’un chemin de fer « afin qu’il serve aux besoins de la population minière qui viendra sûrement dans cette contrée. »

Le distingué Dr A. P. Low, nommé plus tard sous-ministre des Mines du Canada, visite Chibougamau la même année et décrit favorablement ses possibilités minières.

En 1910, à titre de géologue fédéral, J. B. Mawdsley, remarque que l’intérêt à l’endroit de Chibougamau est devenu si notable qu’il exerce une pression considérable sur le gouvernement du Québec pour la construction d’un chemin de fer dans la région qui permettrait d’en exploiter les richesses minérales. Sur la recommandation du Surintendant des Mines de la province, Théo. C. Denis, (décédé le 20 août 1955, à l’âge de 83 ans) la Commission minière de Chibougamau est instituée. Les Drs Alfred E. Barlow et E. R. Faribault, (des recherches géologiques) J. C. Gwillim, professeur en génie minier à l’Université Queen’s, ainsi que de A. M. Bateman, géologue de renommée mondiale en font partie.

D’autre part à l’aide d’un groupe considérable, dont M. A. O. Dufresne, alors jeune étudiant en géologie et qui devint plus tard sous-ministre des Mines du Québec, la Commission dresse une carte d’exploration couvrant 1 000 milles carrés de territoire, examine attentivement les gisements alors connus et, en 1910, publie le rapport complet de ses recherches. Tout en exprimant sa confiance que la région pourrait être plus tard susceptible de fournir au prospecteur et à l’ingénieur minier des gisements profitables de minerais « vils ou précieux », la Commission se range du côté de ceux qui ne considéraient pas qu’il fût dans l’intérêt public d’y bâtir un chemin de fer en ce moment. Le rapport affirme également que les dépôts d’amiante jusqu’ici découverts dans la contrée n’indiquent aucune valeur commerciale. Ce document par son autorité, fait perdre au public, pour plusieurs années, l’intérêt qui commençait à s’éveiller pour l’immense territoire.

Mais, au cours du renouveau d’activité qui caractérise la fin de la première guerre mondiale, une véritable petite armée de prospecteurs, d’ingénieurs miniers et de promoteurs envahit le Chibougamau à la recherche de l’or, de l’argent, du cuivre, du fer, du plomb et du zinc.

On fonde des compagnies minières. On procède à l’élection de directeurs, fêtés dans force banquets, alors qu’une multitude de naïfs, partout sur le continent, s’arrache à coup de dollars les titres, enluminés aux couleurs les plus brillantes, de ces entreprises. On dynamite alors d’énormes quartiers de roc : des foreuses, de la lourde machinerie minière sont tirées par des attelages de dix chevaux, le long de la route d’hiver, de 150 milles, commençant à Saint-Félicien. Le Chibougamau devient sur le point de se transformer en un nouveau Yukon lorsque soudainement, en 1929, « Wall Street » (ainsi que « Variety » l’exprima en grosse manchette) « pondit un œuf » ! C’est la grande panique le « crash », la baisse vertigineuse. Les actions boursières s’effondrent toujours, tandis que monte la liste des ci-devant millionnaires qui se suicident. Le Chibougamau se vide en quelques jours. 11 n’y reste que dix blancs, et les Indiens sourient en se touchant le front du doigt… Et le temps passe, c’est l’oubli. Comme pour un parent pauvre. On ignore complètement le Chibougamau jusqu’en 1934.

Cette année-là, l’intérêt renaît soudainement pour le district. On commence par creuser deux puits. Géologues, ingénieurs miniers, prospecteurs et foreurs reviennent en hâte, par canot et par avion. Il en arrive des nouveaux. La population blanche grimpe derechef à mille personnes et les yeux du monde se fixent encore une fois sur le Chibougamau, mot indien signifiant : « Lieu de rendez-vous », c’est-à-dire, endroit où se rencontrent les tribus.[2]

En 1936, on installe un bureau de poste et un service de téléphone « intercamp » car plus de vingt grosses perforatrices à diamant fouillent le sous-sol, pour y découvrir les gisements de minerai afin d’en déterminer le rendement. L’argent des spéculateurs se remet à couler. « Cette fois, ça y est ! » s’exclament les courtiers. Une ville champignon commence à pousser sur la propriété Blake, dans l’agglomération nouvelle, les « bootleggers » et leur séquelle de personnages douteux commencent de récolter d’appréciables profits, les jours de paye surtout. Un homme est tué à coups de revolver. Le cadavre d’un autre, en pleine décomposition, s’échoue au printemps, dans la glace du lac. On supposa qu’il avait été assassiné.

Le soir le lac Aux Dorés revêt un aspect de carnaval, alors que les lumières des tentes se réverbèrent dans ses eaux. Ainsi naquit, presque du jour au lendemain, une rude bourgade minière. (Environ dix ans plus tard, lorsque cette « Barbary Coast », qui avait reproduit en miniature sa célèbre aînée de San-Francisco fut devenue une ville fantôme, le ministère des Terres et Forêts du Québec y envoya des hommes qui mirent la torche partout ; les baraques de bois, infestées de puces et autres parasites nuisibles, disparurent en flammes.)

En 1938, le spectre de la guerre se montre à l’horizon. L’argent des spéculateurs est rare. Les entreprises minières interrompent leur travail. Le public se désintéresse des nouveaux « prospects » et la population du Chibougamau se réduit à une poignée de rêveurs. Lorsque Hitler chausse ses bottes de sept lieues, le Chibougamau tombe dans un sommeil cataleptique.

Encore une fois, l’homme blanc est parti, emportant ses foreuses et sa sale graisse à machines, sa dynamite et ses blasphèmes, sa corruption et son infamie ; il est parti outre-mer, pour tuer ses frères de sang. Les vallées déchirées se recouvrent de verdure, le soleil brille dans la solitude et une grande tranquillité descend sur la région. Le Chibougamau est redevenu normal.

En 1945, le gouvernement du Québec commence la construction d’une route permanente de 150 milles, entre le village de Saint-Félicien et le Chibougamau. Cette amélioration importante, basée sur la croyance, toujours vivace que de grandes richesses minérales existent dans ce vaste territoire, ramène les mineurs et, dès 1949, la route à peu près terminée, les compagnies d’antan se reforment. On jalonne de nouveau les « daims » prometteurs et c’est alors que l’auteur se montre dans le tableau : c’est ici que commence mon aventure.

Un soir en lisant (dans mon appartement confortable de Montréal) le rapport d’Obalski, daté de 1907, je tombe sur le paragraphe suivant :

« M. F. G. Pauli, qui visita Chibougamau en 1906, a publié une jolie brochure, avec photographies et cartes, dans laquelle il donne une description intéressante de son voyage. Il mentionne une importante source d’eau minérale, dont il vante les propriétés médicinales. Elle est située vers le nord-est de la péninsule séparant le lac Aux Dorés du lac Chibougamau, près des chutes formées par la décharge de ce dernier. »

Une source importante d’eau minérale ! Une source dont on vante la valeur médicinale ! Ces deux phrases enflamment mon imagination. Je formai dans la nuit le projet de visiter le Chibougamau, de retrouver la source merveilleuse, d’exploiter ses eaux salutaires ! Voilà qui vraiment valait la peine. Pas le développement d’une mine laide et malpropre, mais la création d’une industrie similaire à celle de Spa, de Vichy, d’Évian, D’Aix-les-bains, de Bath ou de Baden-Baden en Europe, où des milliers de personnes souffrant des reins ou du foie vont séjourner tous les ans, pour boire les eaux curatives. Peut-être, me disais-je en rêvant, la source de Chibougamau dont les plus vieux indiens vantaient les vertus bienfaisantes attirerait-elle malades, riches et pauvres, de toutes les parties du monde. Et puis, une source minérale se trouve naturellement que sur le terrain où il y a des minéraux : Un terrain minier, quoi ?

Je me procure donc, dès le lendemain, au prix de dix dollars versés à la succursale du ministère des Mines, rue de la Montagne, à Montréal, un certificat de mineur. Me voilà désormais dans la catégorie des prospecteurs, et nanti du privilège de jalonner un « claim» ou concession de 200 âcres, n’importe où dans la province de Québec… La semaine suivante j’arrive à Québec dans mon auto, chargé d’un havresac, sac de couchage, tente, fusil, hache, couteau de chasse, vivres et autres articles nécessaires à un long séjour en forêt. En effet, quelques années auparavant, j’avais voyagé dans le Grand nord canadien en compagnie de trappeurs et je connaissais les ennuis que peut rencontrer « le coureur des bois » dans la forêt lorsqu’il part pour l’aventure pauvrement équipé.

Au bureau principal du ministère des Mines du Québec, je rencontrai Harry Ledden, archiviste en chef des documents miniers.

— Qui était Pauli ? lui demandai-je.

— Je n’ai jamais entendu parler de lui, me répond Ledden.

Je lui montre le passage mentionnant Pauli, dans le rapport de 1907.

— Je suis au ministère des Mines depuis plus de quarante ans, déclara l’archiviste, et je vous assure que je n’ai jamais entendu parler de cet homme.

— Et que dois-je faire, m’informai-je si je trouve la source minérale ?

— Faire ? Que voulez-vous dire ?

— Supposons que je parvienne à localiser cette source d’eau minérale et que vos chimistes lui reconnaissent une grande valeur pour l’humanité : pourrai-je développer l’entreprise ?

Ledden s’inclina en arrière dans sa chaise, regarda le plafond et prononça :

— « L’exploitation d’eaux minérales sur une propriété du gouvernement est tellement compliquée que je ne puis répondre à votre question aussi facilement que cela semble. Nous avons un cas de ce genre dans nos classeurs, et la correspondance entre notre département et le propriétaire de cette source dure depuis plusieurs années. Commencez d’abord par trouver la vôtre, puis revenez ici. Nous ferons alors tout en notre possible pour vous aider. Voyez « Bill » Lafontaine à Chibougamau : si une telle source existe, il saura où elle est située.

— « Bill » Lafontaine ? demandai-je : qui est-il ?

— L’agent du ministère des Mines à Chibougamau. Vous ne pouvez pas le manquer. Bonne chance !

Afin de tirer tout le parti possible de mon passage au ministère des Mines, j’examine tous les documents qui mentionnent le nom de Chibougamau. Nulle trace cependant du dénommé Pauli. Qui était-il ? Un prospecteur ? Un chimiste ? Un ingénieur minier ? Un trappeur ou un ermite ? Quelques quarante-cinq ans passés l’insaisissable Pauli avait fait une découverte importante et les deux s’étaient enfoncés dans l’oubli. Jusqu’au jour où, plusieurs mois plus tard, je devais cependant découvrir par hasard son identité et le site de la fameuse source.

Dans ma chambre d’hôtel de Québec, un garçon d’étage remarque une carte de Chibougamau déployée sur le lit.

— On raconte une drôle d’histoire, me confie-t-il, sur un prospecteur du Chibougamau qui demeura dans cet hôtel, voilà plusieurs années. Il arrive avec deux chiens esquimaux, se réserve une chambre et commande une caisse de whisky. Lorsqu’il fut passablement saoul, il se souvient tout à coup d’un ami qui habite à quelques milles de Québec et décide d’aller lui rendre visite. Il laisse les chiens libres dans la chambre et saute en taxi. Arrivé à la maison de son ami, notre prospecteur descend dans un état quasi comateux, l’alcool ayant fait son effet. L’ami aidé du chauffeur, le transporte sur un lit. Ce n’est qu’au bout de trente six heures que les lourdes fumées de l’ivresse alcoolique s’évaporent et que le prospecteur revient à lui-même.

Mais pendant ce temps-là, les chiens, dont la faim et la soif vont augmentant se mettent à hurler si fort et si lugubrement que tous les gens de l’hôtel en deviennent terrifiés. Le gérant n’ose pas ouvrir la porte, croyant que les bêtes sont devenues enragées : personne ne songe à leur lancer quelque nourriture par le vasistas. Un véritable enfer jusqu’au retour du prospecteur. Il sacre contre le gérant parce qu’il n’avait pas nourri ses chiens : le gérant sacre contre lui et les chiens ; les chiens reçoivent chacun un gros bifteck et l’on flanque le trio à la porte de l’hôtel. Vous pouvez vous imaginer l’état de la pièce quand on entra pour y faire le ménage.

Le prospecteur encore tout nerveux des suites de sa cuite menace de traduire le gérant devant les tribunaux : le gérant menace de poursuivre le prospecteur, les chiens menacent des dents et tous les gens de l’hôtel menacent à leur tour de lyncher le prospecteur et ses chiens.

Le lendemain matin, je reprends la route, direction nord, vers le Chibougamau. Après avoir franchi les hauteurs de Beauport, le chemin, partant de Québec, traverse le magnifique Parc national des Laurentides jusqu’à Chicoutimi, jeune ville vigoureuse située à la tête du Saguenay. Chicoutimi, qui enjambe plusieurs collines plutôt raides de pente et dont la banlieue s’étale ensuite sur diverses ondulations, pourrait être surnommé le « petit » San-Francisco car il ressemble en miniature par son aspect physique, à la fameuse cité californienne, qu’habitèrent jadis Jack London, Bret Harte, Mark Twain, George Sterling et autres écrivains illustres, qui brillent parmi les génies de la littérature américaine.

Peu de touristes visitent Chicoutimi,[3] relativement peu connu, car les bateaux d’excursion de Montréal et de Québec remontent le Saguenay jusqu’à Bagotville, distant de 12 milles et rares sont les passagers qui débarquent pour visiter le district du lac Saint-Jean où habitent cependant plus de deux cent mille citoyens, chiffre qui étonne toujours le visiteur.

Quelle sorte de gens sont ces habitants ? comment vivent-ils ? Un exploiteur de la forêt m’apporte là-dessus quelques lumières.

— Vous constaterez, me dit-il, que les Saguenayens et les résidents du lac Saint-Jean sont fiers, indépendants et qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Nos pères vécurent dans cette contrée, à peu près sans communications avec l’extérieur, durant plus d’un siècle. Ceci explique notre « insularité ». La nouvelle route qui part de Québec est en train de tout changer cela, puisque les touristes vont affluer. Évidemment, ils apporteront de l’argent, mais, en même temps, de mauvaises manières et leur philosophie de kiosques à « chiens chauds ». Ce qui entraînera la disparition de cette courtoisie, ce charme que le passé nous avait légué, qualités qui disparaissent hélas du reste du Canada français.

« L’industrie fondamentale de la région du lac Saint-Jean est la pulpe de bois et son produit direct, le papier à journal. Nos vastes forêts fournissent les arbres que nous coupons et transportons jusqu’aux cours d’eau pour les faire ensuite flotter jusqu’aux usines ou moulins à papier. Plus de cent wagons, chargés de rouleaux de papier et valant un quart de million de dollars, roulent quotidiennement vers New-York, Pittsburg, Chicago et autres grands centres. Quelle autre région du Canada pourrait se vanter d’exporter chaque jour pour deux cent cinquante mille dollars de produits ?

« Nous vivons surtout en exploitant nos fermes, en coupant du bois, en fabriquant de l’aluminium et en exportant des bleuets (myrtilles) sauvages ; cette dernière industrie étant la plus grosse de son genre au monde. S’il vous arrive de manger une tarte aux bleuets à Moronville, Pennsylvanie, ou à Piebald, Texas, il est probable qu’elle a été préparée avec les fruits du lac Saint-Jean.

« Nous avons peu de détails à fournir sur notre passé, sauf la croissance phénoménale de notre population et de nos industries. C’est sans doute pourquoi nous sommes heureux, n’ayant pas d’histoire. Il est vrai que nous sommes peu versés dans les arts, mais cela viendra, maintenant que le monde extérieur nous est devenu d’aspect facile. »

— Une ville, répondis-je qui nomme sa rue principale « Racine », en mémoire du grand poète français, ne saurait être tellement arriérée que cela dans les arts.

Le marchand de bois se mit à rire : « Cette rue, dit-il, fut appelée ainsi en l’honneur de monseigneur Racine, un évêque catholique qui vécut et mourut ici. »

L’endroit de Chicoutimi qui m’intéresse le plus, est la Société historique du Saguenay, logée dans le sous-sol du séminaire catholique. C’est là que j’ajoutai à mes vagues connaissances du « Royaume du Saguenay » (ainsi que les Indiens nommaient la région dans les siècles passés) : son directeur, le père Tremblay, m’ouvrit généreusement ses archives et je me plongeai, durant plusieurs jours, dans les temps révolus en lisant de vieux volumes, en examinant les reliques du passé qu’il avait accumulées et classifiées et en étudiant les photostats des anciennes cartes géographiques dessinées par les « voyageurs » qui, les premiers, ont parcouru la Nouvelle-France.

C’étaient des hommes remarquables, doués d’une imagination puissante, ces cartographes du XVIIe siècle qui, ne possédant que des informations orales des Indiens et des rudes coureurs des bois, parvenaient à dresser des cartes cohérentes de ce qui est maintenant l’intérieur de la province de Québec.

Sur la carte de Champlain, publiée en 1632, les trois grandes masses d’eau : les lacs Chibougamau, Aux Dorés et Mistassini[4] sont à leur latitude quasi exacte. Fait remarquable, si l’on songe qu’à cette époque, très peu d’hommes blancs les avaient contemplées.

Mais déjà les grands vents de septembre m’avertissent que mon temps se trouve bien limité s’il faut repérer ma source d’eau minérale avant les premières chutes de neige. Je lance donc mon auto le long de la rive sud du lac Saint-Jean jusqu’à Saint-Félicien, village situé sur la rivière Ashuapmouchuan et dernière agglomération avant d’atteindre le « tremplin » final le Chibougamau.

Depuis près de cinquante ans, géologues, ingénieurs-miniers et prospecteurs se sont donné rendez-vous à Saint-Félicien pour comparer leurs plans, engager des guides, réunir des provisions et de l’équipement. Après quoi ils sont montés vers le Chibougamau, par canot ou accompagnés de chiens portant leurs ballots. C’était, nous l’avons dit, un mois de voyage. De nos jours, la randonnée entre Saint-Félicien et le Chibougamau ne prend que trois ou quatre heures en auto, sur une des plus agréables et intéressantes routes de gravier de la province.

Pour la première fois, j’entre en contact avec des spécialistes des mines du Chibougamau à l’hôtel Bellevue de Saint-Félicien, auberge confortable de campagne, où se retirent surtout des messieurs de la brousse. Quelques prospecteurs manifestent bruyamment leur joie de vivre. Ils me reçoivent bien, mais tout ce que l’on m’apprend ce sont des chansons paillardes. Ils préfèrent se détendre avant de retourner à leurs sacs humides de couchage et leurs tentes ruisselantes. Pour eux, ce n’est vraiment pas le moment de renseigner un étranger.

Complètement équipé pour un séjour prolongé en forêt, je quitte Saint-Félicien, ma studebaker roulant gaiement par delà le dernier village du district, Notre-Dame-de-la-Dore. (Traduisant le mot « dore » dans le sens de poisson « doré », les mineurs facétieux appellent le village : Notre-Dame-de-la-Fish.) C’est là que se trouve la dernière exploitation agricole de la Province. Là ruminent les dernières vaches, grognent les derniers cochons, picorent les dernières poules. Si le fermier veut rendre visite à son premier voisin en passant par le nord, il sera obligé de passer par le pôle pour descendre ensuite en Sibérie. — Va sans dire que les rapports de voisinage sont rares ! —

De cet endroit, la route à travers quelques collines, vers le premier contrefort, à proximité de l’entrée de la Réserve de chasse et de pêche du Chibougamau, où un permis de circuler devient absolument obligatoire pour tous les voyageurs, sans exception. Le Ministère de la Chasse et de la Pêche du Québec publie la déclaration suivante au sujet de ce permis : « Ce permis est attribué gratuitement… et servira surtout à contrôler vos allées et venues, ainsi qu’à nous aider à vous retrouver, si vous vous perdez en forêt. Il vous rappellera aussi les précautions à prendre quand vous faites un feu en forêt pour vous chauffer ou cuire des aliments. En cas d’urgence (par exemple un incendie dans les bois) il sera interdit de faire du feu en dehors de votre camp. Si l’on vous demande de quitter la forêt, veuillez avoir l’indulgence de vous soumettre à ces instructions ». —

Quelle politesse, provenant sûrement de la plume d’un canadien-français bien éduqué. Un Canadien d’expression anglaise aurait peut-être rédigé cela de la manière suivante : … « Si l’on vous ordonne de sortir de la forêt — fichez le camp ! »

Me voici devant la barrière baissée et cadenassée. Je freine, la voiture sonne de la corne. D’une cabane, près de la route, surgit un gardien mince, alerte, aimable et souriant. Il paraît enchanté de me voir.

— « Vous allez… ? » questionne-t-il.

— Au Chibougamau.

— Par affaire ?

— Affaires de mines.

— Croyez-vous qu’il sortira quelque chose des terrains miniers du Chibougamau ? poursuit-il.

— Je ne crois pas que le gouvernement du Québec soit assez bête pour dépenser quatre millions de dollars sur une voie publique d’une longueur de 150 milles, si les indices certains de grandes richesses minières n’existaient pas là-bas.

Le gardien se gratte la tête d’un air songeur :

— Vous avez peut-être raison dit-il enfin : mais ça fait quarante ans que nous entendons la même chanson et il n’en est jamais rien sorti, je veux dire rien de vraiment bien important.

— Y a-t-il des voyageurs ? dis-je enfin.

— Aucun. La route est à vous. Je ne crois pas que vous rencontriez âme qui vive, à moins que ce ne soient des ouvriers travaillant sur la route. — Tandis qu’il remplit la formule du permis de circuler, sa femme rondelette et sympathique, apparaît, portant dans ses bras une fillette joufflue. Je tends à l’enfant une tablette de chocolat, qu’elle grignote sans tarder, tout en me remerciant d’un sourire rayonnant. Chaque fois que par la suite, je me présentai à cette barrière, je tenais toute prête quelque friandise, car l’enfant accourait toujours, la main tendue. (Quelques mois plus tard, sa mère me dit que la fillette lançait des injures enfantines à chaque automobiliste qui passait sans lui donner de sucrerie.) — Comme quoi il arrive que le Mal sort parfois du Bien !

Le gardien m’ouvre la barrière, et je file sur la longue route solitaire. Quelques milles plus loin, je franchis une autre barrière — celle-là ouverte — et j’apprends par une affiche, que je viens de pénétrer dans la réserve de gibier du Chibougamau. Territoire protégé par la loi, mesurant 90 milles de long sur 20 de large, et que traverse en entier le chemin que je poursuis. La maison du gardien paraît déserte et une tranquillité un peu triste environne l’endroit. Je ne m’y arrête point et appuie sur l’accélérateur : Direction nord-ouest… les milles s’ajoutent aux milles et, comme aucun poteau indicateur n’existe à cette époque, je mesure la distance parcourue au moyen du compteur de la voiture. Route de gravier en état parfait, jusqu’au Lac Chigobiche où en y parvenant j’aurai accompli plus de la moitié de mon trajet.

Ce lac Chigobiche impressionne avec ses quinze milles de longueur. On connaît l’abondance de son poisson. L’un des meilleurs endroits de pêche du district. La compagnie O’Connell, qui a construit la route, avait fait ériger ses baraques sur les rives du lac. Elles y sont demeurées. Ces rudes mais solides constructions sont demeurées debout et rendent encore des services.

La route, serpente, monte et descend sur des collines et dans des vallées. Elle franchit les cours d’eau grâce à des ponts grossiers en dos d’âne quelque peu vermoulus. Et c’est encore et toujours à travers le silence ininterrompu de la forêt, une vaste mer de verdure dont on découvre parfois les houles interminables du haut d’un sommet éclairci par la hache des bûcherons. Continuons, il faut franchir la rivière Chamouchuan, voie aquatique que les prospecteurs et les trappeurs, partant de Saint-Félicien, utilisaient pour atteindre le Chibougamau. Voici le lac Aigremont, où l’on découvre aujourd’hui un relais fort bien tenu par les soins du gouvernement de Québec, la rivière Nicobeau et le lac du même nom.

Au lac La Blanche, trois hommes apparaissent tout près du pont. Je m’informe de la distance jusqu’au lac Chibougamau.

— Vingt milles, dit l’un d’eux.

— La route est bonne ?

— Aussi bonne que celle que vous venez de parcourir.

— Ça me va parfaitement, dis-je et les trois hommes arborent un large sourire. Ce sont des travailleurs affectés au service des routes. Ils sont fiers du beau chemin qui mène à Chibougamau. Je les félicite, nous allumons des cigares et je repars à regret ; il s’agit d’atteindre le camp O’Connell avant la nuit.

Au « Mille 118 », j’éprouve l’impression de rouler en descendant. Chose possible car j’avais atteint la ligne de partage des eaux — Une arête qui coupe la province de Québec de l’est à l’ouest ; toutes les rivières au nord de la ligne de partage se jettent dans l’Arctique ; toutes celles au sud sont, directement ou non, tributaires du fleuve Saint-Laurent.

On m’avait parlé d’un ruisseau dont l’eau était particulièrement rafraîchissante au « Mille 125 », je m’y arrête, et puis, religieusement, si j’ose dire, je recueille trois doigts d’une eau douce et fraîche à la limpidité de cristal, et lève ma timbale en portant un toast au succès de ma future entreprise. — Toast solitaire s’il en fût. —

Au « Mille 132 », on tombe devant la porte ouverte d’une barrière, à droite, un atelier de soudage, un grand hangar où l’on répare les machines, un entrepôt ; puis, au haut d’une petite côte, voici le bureau de chantier de la compagnie H. J. O’Connell, dont la fonction est de construire des routes.

Un type de haute taille me demande courtoisement le but de ma visite,

M. Herbert O’Connell, l’entrepreneur en construction routière, est-il ici ? » dis-je

— Non, mais vous pouvez voir son frère George », répond le gérant du bureau, m’indiquant une maison sur une des rives sud du lac Chibougamau.

J’avais connu les deux frères dans ma jeunesse, car nos familles avaient habité le village de Coteau-du-Lac, un endroit d’une grande beauté sur les rives du fleuve Saint-Laurent, à une quarantaine de milles de Montréal. Je savais que je serais bien reçu et je le fus.

George O’Connell me présente à plusieurs membres de son personnel, me verse un coquetel moelleux et qui arrive à point. Il demande s’il peut me rendre quelques services.

— Je suis ici pour affaires minières, dis-je évasivement, et désirerais rencontrer M. « Bill » Lafontaine, l’agent du Ministère des mines du Québec à Chibougamau.

— « Minute ! » crie quelqu’un en s’élançant dehors.

— « Bill » Lafontaine doit être à cent pieds d’ici, me dit George, si son avion n’est pas parti.

— Par une fenêtre j’aperçois un hydravion à l’ancre dans la baie ; sur la jetée se tient un homme court et solide qui tient une valise.

Quelques instants plus tard, je serrais la main de Lafontaine et lui confiais le vrai but de mon affaire.

M. Harry Ledden, chef archiviste des mines à Québec m’a dit de vous en parler, dis-je.

— « Vous êtes intéressé aux minéraux ? » demande « Bill ».

— À l’eau minérale, répondis-je en dépliant une carte.

— C’est la première fois que je vois çà, déclare « Bill » qui me regarde avec curiosité. Il songe déjà, sans doute, à me cataloguer comme un rêveur ou comme un pauvre type échappé de la camisole de force.

— Je reprends donc, vite et net :

— Dans le rapport d’Obalski, en 1907, j’ai lu un paragraphe relatif à une précieuse source d’eau minérale découverte sur la péninsule Gouin et je veux la retrouver. Elle doit être ici », ajoutai-je, pointant un endroit sur la carte.

« Bill » rejeta sa tête en arrière en éclatant de rire.

— Quelle blague ! s’exclama-t-il ; mais n’importe quoi peut arriver dans le monde minier et mon devoir est d’aider tout le monde dans ce district, qu’il s’agisse d’or, de zinc ou d’eau minérale.

Pourquoi ne pas passer quelques jours chez moi ? Il faut que j’aille, en avion, inspecter quelques « claims » à propos desquels on se dispute, mais je vous recevrai avec plaisir la semaine prochaine. Fixez le jour et l’heure, et un canot vous prendra à la rivière Chibougamau. Tandis que vous y êtes, munissez-vous des récentes cartes de concessions. Celle que vous avez est plus vieille que le plus vieux whisky qu’on ait jamais distillé. »

Nous fixâmes une date. Il me salue de la main, monte à bord de l’oiseau mécanique et disparaît dans le ciel.

J’écris à Québec pour obtenir des cartes récentes — la poste arrive chaque jour de Saint-Félicien grâce aux camions d’O’Connell. Entre temps je coule plusieurs jours heureux à chasser la perdrix — merveilleusement abondante — et à augmenter mon bagage de connaissances sur la région, en écoutant parler les prospecteurs, les chasseurs, dynamiteurs et ingénieurs routiers.

Deux chemins par eau mènent vers la péninsule Gouin, distante de quinze milles (où ma source d’eau minérale doit gazouiller gaiement en attendant son nouveau maître). L’un passe par le lac Chibougamau, l’autre par le lac Aux Dorés. Aucune communication navigable n’existe entre les deux lacs. Je choisis donc l’un des deux. Je ne peux découvrir personne s’étant jamais risqué jusqu’au bout du lac Chibougamau. Quelques employés d’O’Connell avaient pagayé ou ramé sur une longueur d’un mille ou deux le long de la rive sud-est, mais aucun, parmi ceux que je rencontre, n’avait exploré cette méditerranée en miniature qui s’ouvre sur le pas de leur porte.

Un ingénieur des routes, depuis longtemps dans la région, me dit : « Le lac Chibougamau couvre une surface de 120 milles carrés, qui sont farcis d’îles, de rochers, de hauts-fonds. Il n’est navigable qu’en canot. Les grains y sont fréquents et d’une grande violence, et creusent des lames aussi grosses que celles de la mer. Seuls, les Indiens et les gardes-feu utilisent le lac Chibougamau, mais pour la seule raison qu’il fournit le chemin le plus court jusqu’au lac Mistassini.

Les indiens, qui sont la prudence incarnée et ont toujours du temps devant eux, attendent patiemment le beau temps avant d’en risquer la traversée. Les prospecteurs se rendant aux terrains miniers partent du pont de la rivière Chibougamau et remontent le lac aux Dorés, une vilaine pièce d’eau elle aussi, quand le temps se met en colère, mais pas autant de même que le lac Chibougamau. »

Le raisonnement de ces messieurs ne me paraissait pas tout à fait au point. Plus j’étudiais la carte géologique, brillamment coloriée, du lac Chibougamau, plus je devenais convaincu qu’un chenal profond devait exister dans cette immensité liquide. La carte dont je parle indiquait au moyen de teintes variées, les formations minérales et les structures géologiques, mais ne marquait ni les battures ni les récifs, ni les contours, ni les sondages.

Cependant la carte montrait toutes les îles et péninsules ; et comme l’orientation générale de celles-ci pointait vers l’est-nord-est, j’en conclus que les hauts-fonds (îles submergées) devaient se situer dans la même direction et que, par conséquent, je trouverais un chenal entre ces îles et leurs prolongements de hauts-fonds d’un côté et la terre ferme de l’autre. (Le printemps suivant, je reconnus ce chenal et fis au moins cinquante voyages, d’un bout à l’autre du lac, sans toucher fond une seule fois).

Pour reprendre mon récit, au jour fixé, au pont de la rivière Chibougamau, attendant qu’on me transportât au lac aux Dorés, où se trouvait le (campe)[5] de « Bill » Lafontaine (celui qui a nommé cette rivière-là « Chibougamau » avait dû boire un petit coup de trop, car elle prend naissance dans le lac aux Dorés et ne communique pas avec le lac Chibougamau. Les eaux de la rivière Chibougamau s’écoulent tumultueusement vers l’ouest, se déchargent dans la rivière Nottaway et finissent par former des icebergs l’hiver, dans la baie d’Hudson).

Un canot surgit avec moteur hors-bord, pétaradant, double une pointe et zigzague à toute vitesse à travers un labyrinthe de battures submergées. Ce navigateur-là connaissait sûrement son affaire ; car il frôlait les rocs sous-marins, sans en toucher aucun. Je retiens mon souffle jusqu’à ce que la proue de l’embarcation ait touché le rivage.

L’étonnant timonier se nomme Jacques Drouin, radiotélégraphiste à la station météorologique de la baie des Cèdres, à douze milles de l’endroit habité par « Bill » Lafontaine. Je demande :

— Comment est le chenal jusqu’à la baie aux Cèdres ?

— Des tas de roches et de battures, répondit-il ; mais ce sont de vieilles connaissances. Nous passerons « okay ». « Bill » Lafontaine vous attend. » Durant les deux heures suivantes, je reste assis à l’avant, regardant la côte brumeuse où les flots et les montagnes se fondent dans la pénombre. Jacques connaissant le chenal par cœur, fait virer et pirouetter à toute vitesse la frêle embarcation, au milieu de ces flots sournois.

Une lumière clignote subitement à gauche, vers l’avant. Jacques s’écrie : « La baie des Cèdres ! Nous sommes chez nous ! »

D’autres lueurs apparaissent sur la côte. Je saute bientôt à terre, serrant la main du représentant au Chibougamau du Ministère des mines du Québec, et l’un des meilleurs spécialistes de la question dans tout l’est du Canada. Je pénètre avec « Bill » dans son campe, une vieille cabane de bois rond, rude à l’intérieur, plus primitive encore à l’extérieur.

Un homme aux dimensions stupéfiantes est assis sur l’un des trois lits de camp.

— Je vous présente Fred Holland, me dit « Bill » pilote de brousse pour la Compagnie d’aviation du Mont-Laurier ; il a volé sous tous les cieux nordiques, des Rocheuses jusqu’au Labrador.

— « Bienvenu », articule Fred Holland.

— « Vous êtes chez vous », affirme « Bill ».

La cabane (40 pieds par 40) n’avait aucune cloison intérieure, son unique pièce servait, pour « Bill » et ses invités, de chambre à coucher, cuisine, salle à manger, bureau, chambre de bain et de blanchissage, remise à combustible, magasin etc. Trois petites fenêtres éclairaient (à peine) la pièce. Une lampe à essence répandait, en sifflant sa clarté, au dessus d’un poêle à bois de forme cylindrique ; un peu plus loin, sur une étagère, je voyais un poêle à essence à deux brûleurs. Il y avait aussi un évier, des armoires et une trappe dans le plancher, s’ouvrant sur une cave peu profonde. La table « à dîner » (c’était d’ailleurs la seule) était recouverte de toile cirée. En fait de siège, on avait des bancs grossièrement équarris et des escabeaux à trois pattes ; tous ces meubles sont fabriqués avec du bouleau des environs.

Avant même que j’aie déroulé mon sac de couchage, « Bill » annonce le souper.

— « Vous aimez la truite ? » s’informe-t-il sur un ton plutôt affirmatif, en plaçant sur la table une truite de lac de cinq livres et cuite à la perfection. Je lui accorde alors le suprême compliment gastronomique, en m’abstenant de lui répondre avant d’avoir fini de dévorer une énorme portion de ce prince des poissons.

La science de cordon-bleu de mon hôte est du reste célèbre dans tout le nord : car il peut tout aussi bien apprêter de merveilleuses tartes, cuire du bon pain et préparer des plats de gibier de la plus exquise façon.

« Bill » offrirait un modèle idéal à un artiste qui voudrait peindre un portrait-type du prospecteur canadien. De taille un peu courte, râblé, large d’épaules et, proportion gardée, aussi musculeux qu’un orignal. (Pour gagner un pari, il a déjà transporté seul, sur une distance de plus de cent pieds, une coque de fer pesant 450 livres. Quatre hommes forts soulevèrent le lourd bateau et le placèrent sur les épaules de « Bill » qui marcha ainsi jusqu’au but, sans aide. « J’aurais pu parcourir un autre cent pieds, dit-il négligemment, mais j’avais la grippe ce jour-là et ne me sentais pas trop bien. » Dame nature a donné à notre agent minier une physionomie fraîche et ouverte, mais l’on sent que sous une mine avenante il peut être ferme. Il porte ses cheveux grisonnants « en brosse » : « J’ai les cheveux comme du fil de fer, m’a-t-il déclaré, et je ne parviens pas à les aplatir. C’est parce que j’ai bu beaucoup de lait dans mon jeune âge. »

Il est né sur une ferme du côté de Valleyfield, Québec. Dans son adolescence, il a travaillé comme moissonneur dans les prairies de l’Ouest. Plus tard, il gagne le Nord, pioche sous terre dans les mines, se fait prospecteur et trappeur, tout en accumulant un vaste trésor de connaissances pratiques sur l’art de vivre dans la grande forêt. À titre de représentant officiel du ministère des Mines du Québec, « Bill » Lafontaine émet des certificats de piquetage, enregistre les concessions, accorde des formules de transfert et remplit mille et une formalités relatives aux activités minières. Comme aucune succursale du ministère n’existe alors au Chimougamau, les prospecteurs auraient été forcés de parcourir 400 milles par la route pour faire enregistrer leurs concessions, sans la présence efficace et loyale de « Bill ».

L’une des missions les plus importantes de Lafontaine, c’est d’aller faire enquête sur les querelles inévitables que suscite la rivalité dans le domaine des mines. Un cas fréquent, c’est celui du prospecteur qui enfonce ses piquets dans le sol de ses « claims » pour aller ensuite les enregistrer au bureau de « Bill », cependant qu’un autre, désirant précisément ces mêmes « claims » arrive sur la propriété et si, à son estime, il juge que les « stakes » ou jalons n’ont pas été placés selon la loi… c’est-à-dire si les jalons n’ont pas été plantés selon les règles du ministère des Mines, — il rapplique à son tour jusque chez Lafontaine. L’agent se met alors en route, examine les piquets, les étiquettes, les tracés entre les piquets et autres détails et rédige ensuite son rapport au bureau-chef de Québec, où la décision finale appartient au sous-ministre.

Vérifier la production statutaire, exigée annuellement sur toutes les concessions constitue une autre des dures besognes obligeant Lafontaine à parcourir en canot ou en raquettes des centaines de milles, à travers un territoire sauvage et complètement isolé. Tâche parfois redoutable, qui requiert une grande endurance physique et une expérience complète de la brousse et de la forêt. Et Lafontaine possède toutes ces qualités.

À la baie des Cèdres, je m’attendais à constater une renaissance de l’activité minière, mais l’endroit était aussi silencieux qu’une salle d’opération dans un hôpital. « Mais où sont les mines d’antan ? » m’informai-je. Le vieux puits et le front de taille de la « Consolidated Smelting Company  » étaient toujours là, mais en ruines et recouvert de rouille. (En 1934, plusieurs centaines de mineurs étaient employés ici, alors que l’on vota près d’un million de dollars pour creuser un puits, des tranchées à faire des coupes verticales. On avait ainsi mis à jour une minéralisation à haute teneur d’or. (La deuxième guerre mondiale avait mis brusquement fin aux opérations).

Quelques milles plus bas sur le lac aux Dorés, la mine Obalski sommeille doucement, n’ayant qu’un gardien pour tout personnel. Les fameux terrains Blake, sur l’île Merrill, à propos desquels il s’était tellement fait de réclame durant plusieurs années et dont on annonçait le succès comme « certain », n’étaient plus fréquentés que par des ours faméliques.

Une fiévreuse activité minière était censée régner au Chibougamau, mais où donc étaient les mines et ceux qui payaient les mineurs ?

— Ne vous excitez pas, me conseilla un prospecteur ; toutes les entreprises seront réorganisées dès l’an prochain ; et alors, nous aurons un autre « Boom ». Cette fois, ce sera le vrai pactole, car on dépensera des millions pour les travaux de développement. Le métal y est sans aucun doute, ainsi que les valeurs que nous en obtiendrons ; et vous serez témoin d’une prospérité stupéfiante.

Le lendemain matin, je visite le bureau de « Bill » Lafontaine, dans une cabane de troncs d’arbres non écorcés, face au lac aux Dorés. À l’intérieur, tout est aussi propre et rangé que dans un bureau de « Wall Street ». Des piles de cartes, de plans, de formules imprimées et de rapports apparaissaient sur des étagères, soigneusement placés. La plupart des bureaux que j’avais visités dans la brousse avaient l’aspect d’une fabrique de macaroni bombardée, mais celui-ci offrait une agréable exception.

Deux prospecteurs se présentent pour obtenir des certificats de mineurs. Tandis qu’ils causent avec « Bill », j’examine les points saillants d’une grande carte de la péninsule Gouin, appendue au mur. Je parlais probablement tout seul, lorsque je murmure… « Oui, cette source d’eau minérale… »

« Bill » se tourne de mon côté et dit brusquement : « Je verrai à votre affaire quand j’en aurai fini avec ces messieurs. Veuillez ne pas m’interrompre. »

Je me sentis mal à l’aise jusqu’à ce que les prospecteurs fussent partis et que « Bill » eut fermé la porte.

— Je tiens à vous prévenir, dit-il ; ne parlez jamais de vos affaires devant qui que ce soit. Si vous avez quelque chose à me dire à titre d’agent officiel des mines, cela doit être dit privément et d’une manière confidentielle ; autrement, vous le regretterez. Vous êtes nouveau dans ce genre d’entreprises, mais vous apprendrez tôt la prudence et à vous taire en présence d’étrangers. Si quelqu’un savait que vous êtes ici pour borner une concession qui en vaut la peine, il s’en emparerait avant que vous en ayez la chance. »

Je le remerciai et me dis (tout bas, cette fois) que j’avais agi comme un nigaud.

C’est cet après-midi-là, que je rencontrai un prospecteur ontarien très connu, Austin Dumond. C’était un « vieux de la vieille », expérimenté, ayant mené une existence pittoresque. Il me déclara qu’il croyait dur comme fer en l’avenir formidable du Chibougamau. Nous discutions la valeur de la science technique en matière de mines, lorsqu’il se rapprocha les deux mains jusqu’à une distance de six pouces l’une de l’autre : « La science technique rétrécit les possibilités de succès », dit-il. Geste assez convaincant…

Plus tard, je fis connaissance avec « Bill » de Villiers, prospecteur âgé de soixante-dix ans, aussi vert qu’un jeune sapin. Il avait prospecté durant quarante années dans les terres nordiques réalisant de belles sommes en jalonnant des concessions et en vendant des blocs de « claims » d’une grande valeur. Et voilà que, derechef, il était reparti à la chasse au trésor. Je le rencontrai par la suite très souvent au Chibougamau, à Saint-Félicien ou Montréal. Signe caractéristique : quantité d’échantillons de minéraux gonflaient toujours ses poches.

Un jour, l’an dernier, « Bill » de Villiers, par le plus grand des hasards, n’était lesté d’aucun échantillon, et c’est ce qui lui sauva la vie. Il se tenait debout sur la berge du lac Bourbeau, surveillant les foreurs de « Belle Chibougamau Mines Co. » fouiller des terrains de recouvrement au flanc de la montagne, au moyen de jets hydrauliques. Soudain, le sol glisse précipitant « Bill » à l’eau. Il s’enfonce de vingt pieds, réapparaît à la surface, le crâne chauve et luisant parmi des tonnes de débris flottants. Son corps tout meurtri est couvert d’ecchymoses ; cependant au surlendemain, on peut le rencontrer dans les mêmes parages, remplissant toujours ses poches d’échantillons.

« Bill » me confia qu’il s’attendait à découvrir encore plusieurs mines importantes avant de mourir : « Après tout, me confie-t-il, on m’a dit que j’avais la vie de sept chats… et la première n’est pas finie… »

On comptait une douzaine de cabanes à la baie des Cèdres et dans l’une habitait Ed. Litalien, un ci-devant Montréalais établi depuis une quinzaine d’années dans la région. « Ed » comme tous l’appelaient familièrement tenait un « magasin général », vendant vivres, vêtements et cent autres articles aux prospecteurs et aux trappeurs. Il se livrait aussi à la traite des fourrures avec les Indiens. Quelques semaines après mon arrivée, j’ai habité avec lui dans sa cabane. Au moment de lui donner mon chèque pour les repas que j’y avais pris, je lui demande si je dois écrire son nom : « L’Italien » ou « Litalien ».

— C’est un petit détail, m’avise-t-il, l’important c’est que le chèque ne me revienne pas avec la mention N. S. F. (faute de fonds suffisants) !

Au jour suivant le temps s’annonçant beau et clair, « Bill » qui avait affaire à l’extrémité de la péninsule Gouin, soit environ quatre milles de parcours, me dit que si je voulais l’accompagner, il me désignerait l’endroit que je cherchais. Il ajoute : « C’est à vous de faire la découverte ; et si vous trouvez-là de l’eau minérale, je vous décerne une médaille. » « Bill » accrocha donc le moteur à sa poupe de chaloupe et nous glissons sur les eaux bleues du lac aux Dorés, serrant de près la berge accidentée, sise au nord, afin de nous éloigner des récifs qui parsèment le milieu du lac.

Bientôt la baie « Bateman » s’ouvre à droite et nous y pénétrons passant entre deux îlots et longeant la rive sud de la péninsule Gouin. Puis voici, droit devant dans le lointain, les eaux du lac Chibougamau se bousculant pour pénétrer dans le lac aux Dorés.

L’embarcation glisse comme une flèche dans le courant turbulent au pied des rapides et vire dans une baie tranquille. Après avoir amarré à un arbre surplombant le bord et avoir pataugé jusqu’à terre, nous suivîmes à pied la ligne des rapides. Je trouvai, citadin ramolli que j’étais, la randonnée plutôt pénible, et je me frayais prudemment un chemin en enjambant des troncs sur le sol, contournant les couches, évitant les trous traîtreusement recouverts de mousse. « Bill » athlète énergique, marchait tout droit comme un soldat à la parade, sans se soucier des obstacles. Je me sentais passablement ridicule dans son sillage. Mais, en cet endroit, le lac aux Dorés n’est séparé de celui de Chibougamau que par quelques centaines de pieds. J’aperçus bientôt la petite mer intérieure dont j’avais tellement entendu parler. Elle s’étendait devant moi, vaste, farouche en même temps qu’accueillante. Je décidai dès ce moment de l’explorer, pas immédiatement, car l’hiver approchait, mais l’an prochain, me disai-je, l’an prochain !…

— Jetez donc un petit coup d’œil aux alentours, histoire de trouver vos eaux minérales, dit « Bill » ; je reviendrai tantôt. » Et il disparut dans les broussailles.

Je marchai, rampai et plongeai dans la forêt enchevêtrée, à la recherche de « ma source », mais je me sentis bientôt épuisé et revins sur la berge des rapides. Au cours de mes voyages, nombreux et lointains, j’avais contemplé beaucoup de beaux paysages, mais rarement d’aussi magnifiques que celui-ci.

Je me rappelai la phrase d’un poète chinois : « Seulement aux errants se renouvelle sans cesse le brusque choc de la beauté… »

Les eaux du lac Chibougamau se chevauchaient, écumantes. échevelées, encaissées dans un passage recourbé qui les menait jusqu’au lac aux Dorés, l’embrun dansait, multicolore, au dessous des écueils formant obstacle à la ruée du courant.

Une petite baie tranquille, en marge du torrent, invitait à la pêche à la truite…

J’étais assis sur une racine recouverte de mousse lorsque « Bill » réapparut.

— Avez-vous trouvé quelque chose ? me demanda-t-il.

— Non.

— Ça ne se trouve pas comme cela, observa-t-il.

— À qui appartiennent ces concessions ?

— Sais pas, répondit « Bill », mais nous pouvons le savoir en un rien de temps. Télégraphiez au ministère des Mines, à Québec.

— Si ces concessions n’ont pas encore été accordées, dis-je, j’aimerais à les jalonner. C’est un merveilleux endroit pour construire un camp d’été.

— Poser les piquets ne vous donnerait pas ce qu’on appelle « les droits de surface » m’expliqua « Bill » ; mais cela vous permettrait d’ériger des constructions pour vous et vos employés, si vous travaillez vos « claims » ; et vous pourrez y demeurer aussi longtemps que vous aurez rempli les conditions requises, c’est-à-dire exécuter annuellement la production statutaire sur votre propriété et payer vos taxes. C’est que, voyez-vous, le gouvernement ne s’intéresse pas ici au tourisme d’été ; il veut que les mines se développent.

Nous sommes assis en ce moment sur un bon sol à minéraux, continua l’agent. Qui sait ce qui gît sous nos pieds ? d’après les géologues, nous sommes à proximité de la faille principale dans la stratification, et peut-être sur l’emplacement de la plus grande mine du monde. Peut-être, ai-je dit… Je souligne peut-être. Personne ne le sait. Mais stratification ou non, pêchons quelques poissons pour souper. »

Avec sa motogodille tournant le plus lentement possible, notre canot sillonnait l’eau agitée, au pied des rapides. Brusquement, un coup brutal : un gros brochet s’était ferré. Il ne fallut pas trop de temps pour le déposer, fouettant de la queue et bâillant des ouïes, au fond du canot. Puis un autre, un autre, puis un autre ! Et plus que jamais je désirai posséder ce domaine, source minérale ou non, richesse minière ou non.

De retour à baie des Cèdres, je m’empresse d’expédier un message au ministère des Mines, m’informant du statut légal de la concession que je venais de visiter. La réponse me parvient dès le lendemain matin : « Les claims seraient ouverts dans dix jours. » Dame fortune souriait.

À moins de quelque contretemps, je deviendrais bientôt maître de cette concession.

Alors que je flânais à travers le camp de la baie des Cèdres, j’entendis le ronron d’un moteur et remarquai deux hommes affairés autour d’une foreuse à diamant, sur un îlot à quelques centaines de pieds de la terre ferme. J’empruntai un canot, atteignis l’îlot à la pagaie et me présentai à Lucien Demers et à Arthur Forest, qui habitaient le Chibougamau depuis longtemps.

Demers et Forest étaient associés. Ensemble ils avaient prospecté, acheté des « claims » vendu des « claims », développé des « claims ». Ils foraient en ce moment dans l’espoir d’intercepter une veine prometteuse.

Forest, le plus âgé des deux, était un type tranquille, courtois, conservateur dans ses habitudes et ses propos ; Demers était tout feu tout flamme et d’une santé de fer, quoique d’une stature étonnamment petite (il pesait cent livres à peine, mais on l’avait déjà vu flanquer une raclée à un mineur deux fois plus lourd que lui). Il avait possédé à Chibougamau un hôtel (complet, avec tous les détails comprenant même un fauteuil compliqué de coiffeur) à l’époque de la ruée de 1935, et l’on dit que les clients s’empressaient de régler leurs factures rubis sur l’ongle.

Naturellement, ils s’informèrent de ce que j’étais venu faire au Chibougamau. Je répondis, tout aussi naturellement, que j’étais en excursion de pêche. « Allez dire ça à d’autres ! » firent-ils en riant.

Après que j’eusse reçu ma réponse du ministère des Mines de Québec, je m’aperçus tout de suite d’une atmosphère de curiosité indiscrète, dans toutes les cabanes de la baie des Cèdres, l’attitude de chacun signifiait : « Qu’êtes-vous venu chercher ? ». Pour cette raison, je ne tardai pas à quitter le district, tout en avisant « Bill » que je serais revenu, et prêt à jalonner, à la date stipulée par le ministère des Mines.

Je parcourus en canot les douze longs milles, sur le lac aux Dorés, jusqu’à la route passant sur le pont de Chibougamau. De là, je me rendis en auto à Saint-Félicien, ne m’arrêtant qu’une fois, pour contempler une mère orignal et son petit broutant des herbes aquatiques dans un lac à proximité du chemin. Ils n’interrompirent point leur repas en m’apercevant, sans doute avaient-ils l’instinct d’être dans la réserve de Chibougamau où la faune du Nord-est est protégée contre les balles par le zèle strict et vigilant des gardes-chasse et pêche.


  1. « Saguenay » est un mot indien qu’on a interprété par « Eau » qui s’écoule, « inondation », ou « glace percée de trous » ; mais toutes ces significations sont controversées.
  2. Cependant comme pour un grand nombre de noms d’origine indienne, on a donné d’autres interprétations à « Chibougamau », par exemple que ce nom signifie « L’eau s’arrête » à cause de la décharge étroite de ses eaux.
  3. Chicoutimi vient d’un mot sauvage qui signifie « Jusqu’où c’est profond ». C’est en effet, le terme des eaux navigables de la rivière Saguenay.
  4. Le nom de ce lac est dérivé d’un grand rocher, qui se dresse, isolé, à l’une de ses extrémités, lequel, en langue indienne, se dit « Mista-assinni », ou « grande roche ».
  5. On prononce un peu partout dans le nord du Québec le mot camp en y ajoutant un — e —, et l’on dit aussi le ou la campe.