Le Courrier fédéral (p. 102-104).

CHAPITRE XXII

UNE MENACE DE CASTELLO


« Vous m’aviez enfermée ici, Lucia ! » s’écria Éliane, très en colère, « Vous avez osé… »

Elle se tut subitement, car, au lieu de Lucia, elle aperçut Castello qui entrait dans la bibliothèque.

« Mlle Lecour, croyez-le, je regrette… » commença Castello.

— « Cette femme a osé m’enfermer ici ! La misérable ! » continua Éliane. « Mais… qu’est-ce que cette caverne, en fin de compte ?… Ne dirait-on pas un repaire de bandits ?… Ces murs qui se referment sur vous, à un moment donné… Je veux sortir d’ici ! Rendez-moi ma liberté ! je vous l’ordonne, entendez-vous ! »

Un sourire méchant crispa les lèvres de Castello.

« Ainsi, vous avez découvert que vous êtes prisonnière ici, Mlle Lecour ?… Eh ! bien, je suis prêt à brûler mes vaisseaux et à tout avouer… Oui, vous êtes prisonnière dans cette caverne et… »

— « Prisonnière ! »

— « Je vous ai vue souvent jeter les yeux sur le mur séparant les deux parties de la caverne ; je veux parler du piédestal de l’Ange de la Caverne, Mlle Éliane, » dit Castello, toujours souriant ; « mais, je vous en avertis, inutile de chercher à vous évader par là… Je ne suis pas assez naïf pour avoir laissé libre l’autre entrée de la caverne, vous le pensez bien : Goliath et Samson ensemble, ou bien l’un ou l’autre veillent… et… je plaindrais celui… ou celle qui tomberait entre leurs mains ! »

« Vous êtes… » commença Éliane.

Mais Castello l’interrompit :

« Voyez-vous, Mlle Lecour, un certain jeune médecin avait pris l’habitude de se promener autour de la caverne ; ! c’est pourquoi j’ai jugé à propos de prendre des précautions. »

Éliane sentit son sang se glacer dans ses veines. C’était elle, elle qui avait exposé le Docteur Stone au péril, en sollicitant son aide… Oh ! si elle pouvait l’avertir !… Il vaudrait mieux, mille fois mieux qu’elle restât captive dans la caverne toute sa vie, plutôt que…

« Croyez-moi, Mlle Lecour, » reprit Castello, « votre ami le médecin ferait mieux de choisir un autre endroit pour se promener… S’il tombait entre les mains de Goliath et de Samson !… Ils l’assassineraient le jeune docteur, probablement… ou bien, ils le tiendraient prisonnier dans cette autre partie de la caverne et… vous savez ce que cela voudrait dire. »

— « Lâche ! Oh ! lâche ! » s’écria Éliane. « Si jamais je recouvre ma liberté, je vous livrerai à la justice, vous et vos complices ! »

— « Prenez garde, Mlle Éliane ! Prenez garde ! » menaça Castello. « Ce jeune médecin qui vous intéresse tant, qui sait s’il n’erre pas, égaré, mourant de faim et de soif, dans la partie inexplorée de la caverne, en ce moment !… Vous feriez mieux d’essayer de comprendre que vous êtes en mon pouvoir et que le Docteur Stone, s’il s’approche trop près de cette caverne… »

— « Lâche ! Lâche ! » répéta Éliane.

— « Cependant, je suis prêt à vous rendre votre liberté, à une condition… Si vous le voulez bien, Mlle Lecour, nous causerons ensemble après notre retour de Bowling Green… Voulez-vous être patiente jusque là ? Voulez-vous, aussi, pardonner à Lucia de vous avoir enfermée dans la bibliothèque, tout à l’heure ? »

— « Il le faut bien, » répondit Éliane, avec un sourire méprisant qui n’échappa pas à Castello.

— « Permettez-moi que je vous conduise à la salle à manger, alors, Mlle Éliane, » dit Castello, « et tâchez de ne pas nous tenir rancune. »

Éliane ne prit pas la peine de répondre. Combien elle méprisait ces moonshirters avec lesquels elle était obligée de vivre… Mais, aussi, combien ils lui faisaient peur !… Pauvre Éliane !  !

La jeune fille ne put reprendre sa conversation avec le captif ; mais, le matin de l’excursion à Bowling Green, elle parvint à lui dire quelques mots :

« Nous partons en excursion à Bowling Green, » dit-elle au captif. « Demain, je serai de retour… Je ne vous oublie pas et, encore une fois, si je parviens jamais à quitter cette caverne, je m’occuperai de vous. » — « Merci ! Merci ! » dit la voix du captif. « Merci, Mlle Éliane !… Ah ! vous êtes un ange de bonté !… L’Ange de la caverne ! »

— « Je vous raconterai notre excursion à Bowling Green, si je le puis… À bientôt ! »

— « À bientôt, Mlle Éliane ! Dieu vous garde ! »

« L’auto est à la porte, Mlle Lecour, » dit, en ce moment, la voix de Castello. « Si vous êtes prête, partons ! »

— « Je suis prête, » répondit Éliane.

La porte d’entrée de la caverne glissa sur ses rainures avec ce bruit doux qui faisait toujours pâlir Éliane, et l’on prit place dans une magnifique limousine, dont Goliath était le chauffeur.

Éliane fut placée à côté de Lucia, Castello lui faisait face… et l’on partit pour Bowling Green… sans se douter des événements qui allaient se dérouler en cet endroit.