Le Courrier fédéral (p. 54-59).


CHAPITRE XII

RÉVÉLATIONS


Mme  Lecour allait mieux ; du moins, son pied ne la faisait pas autant souffrir. Cependant, du côté du cœur, ça allait mal et, une nuit, Mme  Lecour eut une crise d’étouffements dont Éliane fut grandement effrayée. Prise de panique, la jeune fille était partie, à la course, dans la direction du salon afin de demander secours. C’est alors qu’elle fut aperçue, sur le rocher, pour la deuxième fois… Mais, voyant que le salon était rempli d’étrangers Éliane, prise de timidité, s’était enfuie.

Mme  Lecour, sentant que ses forces diminuaient chaque jour davantage, appela Éliane auprès d’elle et lui dit : « Ma chérie, il nous faut faire face à l’inévitable : ma course en ce monde est près de finir ! »

— « Non, non, mère ! » s’écria Éliane. « Ne parlez pas ainsi, je vous prie ! »

— « Hélas ! pauvre enfant, ce que je regrette c’est de te laisser seule au monde… Quant à moi, j’aspire à l’éternel repos… Je suis si fatiguée de vivre et de traîner ma peine avec moi !… Éliane, » demanda-t-elle tout à coup, « te souviens-tu de ton père ?… »

— « Indistinctement, mère, » répondit Éliane… « Je me souviens d’un homme qui me tenait dans ses bras et qui avait l’air de beaucoup m’aimer… »

— « C’était ton père, mon enfant… Tu le sais, Éliane, ce nom de Lecour, sous lequel nous sommes connues, n’est pas le nôtre ? »

— « Oui, je sais, mère ; notre véritable nom, c’est Courcel. »

— « Courcel est notre nom, en effet ; mais ce nom, je l’ai abandonné, car c’est celui d’un forçat. »

— « Un forçat ! »

— « Hélas ! oui, un forçat !  !… Ton père, ma chérie, s’il n’est pas mort aujourd’hui, est à Cayenne… expiant le double crime de vol et d’assassinat. »

— « Mon Dieu ! Mon Dieu ! » s’écria Éliane, en fondant en pleurs. « Je suis la fille d’un forçat, d’un forçat !  ! »

— « C’est après la condamnation de ton père que nous avons quitté la France… Femme et fille de forçat ; nous aurions été montrées du doigt et… »

— « Mais… dites-moi, mère… »

— « Ton père, mon enfant, a été convaincu du meurtre de son meilleur ami Sylvio Desroches… On a trouvé, cachés dans le coffre-fort de ton père, 250, 000 francs appartenant à M. Desroches… et, quelque temps après, le corps de M. Desroches dans la Seine… Or, ton père, Eliane…”

— « Mais, quelles preuves avait-on que c’était mon père le meurtrier ? »

— « Ton père, mon mari, est le dernier qui ait été vu en la compagnie de Sylvio Desroches… Nous étions pauvres et… Je n’aime pas à parler de ces choses, Éliane… Le paquet de journaux qui est dans le fond de la petite valise, te renseignera mieux que je pourrais le faire… Je n’ai pu douter, un instant, même, de la culpabilité de mon mari… et… j’en meurs… »

— « Ah ! ” s’écria soudain Éliane, « je me souviens ! Je me souviens !… Mon père… C’est dans une prison que je l’ai vu pour la dernière fois… Il m’avait dit… Oui, oui !… Il m’avait dit qu’il n’était pas coupable… qu’il était victime d’une erreur judiciaire… Je me souviens mère, je me souviens ! »

— « C’est vrai, mon enfant. »

— « Mère, » demanda la jeune fille, « parmi mes souvenirs d’enfance, je revois souvent un garçonnet que je devais aimer beaucoup. Qui était ce garçonnet ? Était-ce mon frère ? »

— « Ton frère ?… Non, chérie, je n’ai jamais eu d’autre enfant que toi… Ce garçonnet, c’était Tanguay… le fils de Sylvio Desroches. »

— « Ah ! » dit Éliane, songeuse. “Qu’est-il devenu, mère ? »

— « Je ne saurais te le dire, ma fille… Il a hérité d’une belle fortune de son père, sans doute… je ne sais… Je ne puis parler plus longtemps ; mais je veux te demander de continuer à porter le nom de Lecour… Me le promets-tu ? »

— « Je vous le promets, mère ! »

— « C’est bien, mon enfant, » murmura Mme Lecours. « Je vais dormir maintenant. Dors bien, toi aussi, Éliane ; voilà deux nuits que tu passes à mon chevet, sans fermer l’œil un instant… Bonne nuit, ma chérie ! »

Bientôt, Mme Lecour — nous continuerons à lui donner ce nom — dormait, mais d’un sommeil agité. Il pouvait être deux heures du matin quand elle s’éveilla tout à coup, prise d’une nouvelle crise d’étouffements. Elle posa sa main sur l’épaule d’Éliane, qui s’était couchée, toute habillée, près de sa mère. Éliane s’éveilla immédiatement.

« Êtes-vous malade, mère ? » demanda-t-elle.

— « J’étouffe ! » parvint à articuler Mme Lecour. « Mon cœur ! Mon cœur ! »

Éliane prit un journal et l’agita doucement au-dessus de la malade, afin de lui procurer un peu d’air et bientôt, Mme Lecour se sentit apaisée ; mais elle fut prise d’un grand frisson. La jeune fille jeta sur sa mère toutes les couvertures et tous les manteaux qu’elle put trouver afin d’essayer de la réchauffer un peu… Inutilement ; Mme Lecour continuait à être secouée de frissons.

Alors Éliane eut peur, peur de voir sa mère mourir sous ses yeux, sans prêtre, sans médecin, loin de tout secours… Elle eut soudain la vision du grand salon de la caverne, bien chauffé, bien éclairé… Oh ! pour voir sa mère bien-aimée transportée en un tel lieu !  !

Résolue, tout à coup, Éliane partit dans la direction du salon… Oui, elle irait implorer du secours, demander hospitalité pour sa mère malade, mourante peut-être… Refusé n’est pas battu ; elle pouvait toujours essayer…

Éliane partit d’un trait dans la direction du salon. Arrivée au pied du mur séparant les deux parties de la caverne, celle qui était habitée et celle qui ne l’était pas, elle escalada ce mur et arriva, pour la troisième fois… telle une apparition — ou un ange — au faite du rocher. Il n’y avait qu’un seul homme dans le salon ; celui que ses compagnons avaient nommé Castello. Il n’eut pas connaissance de l’arrivée d’Éliane, car il écrivait et tournait le dos au mur.

« Monsieur ! » dit Éliane.

Castello se retourna, surpris, et aperçut la jeune fille.

« L’Ange de la caverne ! » murmura-t-il.

— « Monsieur, » dit Éliane « de grâce, secourez-nous !… Ma mère… Elle est là, dans cette autre partie de la caverne… Elle se meurt, je crois ! »

— « Qui êtes-vous ? » demanda Castello en tendant la main à Éliane afin de lui aider à descendre de sur le rocher.

— « Je me nomme Éliane Lecour… Oh ! de grâce, monsieur, venez à notre aide !  ! »

— « C’est vous, n’est-ce pas qui nous êtes apparue, deux fois déjà, au sommet de ce rocher ?… C’est vous l’Ange de la caverne » ajouta-t-il, en souriant. « Je suis prêt à vous venir en aide… Mais, il existe donc une autre ouverture à cette caverne ? … Je croyais qu’il n’en existait qu’une et que nous étions seuls à la connaître. »

La jeune fille raconta alors brièvement comment elle et sa mère avaient découvert l’autre entrée de la caverne.

« C’est bien, » dit Castello, « nous allons immédiatement transporter votre mère Mme Lecour ici. »

Il frappa sur un timbre et deux hommes de haute stature entrèrent dans le salon. S’ils furent grandement surpris en apercevant la jeune étrangère, ils n’en firent rien voir.

« Goliath et Samson, » dit Castello à ces deux hommes, « vous allez transporter un matelas à l’entrée de la caverne, puis vous suivrez cette jeune fille ; je vous accompagnerai, d’ailleurs. Mademoiselle va vous conduire auprès d’une dame qui est malade, et que nous allons transporter ici. »

— « À vos ordres, monsieur, » répondirent Goliath et Samson.

« Veuillez me suivre maintenant, Mlle Lecour, » dit Castello.

Éliane, suivant Castello, traversa plusieurs pièces, toutes meublées avec grande richesse. Ils arrivèrent ainsi jusqu’au pied d’un mur qui semblait fixé au reste de la structure de la caverne ; mais, Castello posa son doigt sur un petit point noir, presqu’imperceptible, et le mur glissa comme s’il eut été posé sur des rainures ; peut-être l’était-il.

Les deux hommes attendaient dehors ; ils portaient un matelas entre eux. Éliane les précédant, tous arrivèrent jusqu’à la crevasse par laquelle elle et sa mère étaient parvenues dans la caverne. Les hommes attendirent dehors, tandis que la jeune fille et Castello pénétraient auprès de Mme Lecour. Mme Lecour était encore secouée de frissons et ses dents claquaient. Éliane sentit le cœur lui manquer en regardant sa mère ; allait-elle mourir ?…

“Éliane, ” murmura Mme Lecour “d’où viens-tu ?… J’étais inquiète… Que j’ai froid !… Est-ce le froid de la mort, penses-tu, Éliane ? ”

— « Non, non, mère ! » s’écria Éliane. « Il fait froid ici, si froid !… Nous allons vous transporter dans une autre partie de la caverne, mère chérie, où vous trouverez le confort et une bienfaisante chaleur… Nous… »

— « Nous ?… De qui parles-tu, mon enfant ?… Ah ! » s’écria-t-elle, apercevant Castello qui s’était approché. « Quel est ce monsieur, Éliane ? »

— « Monsieur Castello, mère. Il nous offre l’hospitalité chez lui ; n’est-ce pas très-gentil de sa part ? »

— « Vraiment, M. Castello ! » dit Mme  Lecour. « Mais… Je ne sais si nous devons… »

— « Madame, » répondit Castello, en s’inclinant, « deux hommes attendent, à l’entrée de cette caverne, pour vous transporter chez moi. N’hésitez pas, je vous prie !… Nous allons vous coucher sur un matelas et bientôt vous serez installée confortablement dans ma demeure, je vous le promets. »

— « Que j’ai froid ! » répéta Mme  Lecour.

Castello frappa dans ses mains. Goliath et Samson entrèrent dans la caverne. Avec d’infinies précautions, Mme Lecour fut enveloppée dans de chaudes couvertures et, quelques instants après, couchée sur le matelas. On se dirigea vers la demeure de Castello.

On pénétra dans le salon et la malade fut déposée sur un canapé. Les poêles électriques répandaient une douce chaleur dans la pièce ; on approcha l’un de ces poêles du canapé et presqu’aussitôt, Mme Lecour cessa de frissonner.

Le lendemain, Mme  Lecour fut transportée dans une spacieuse chambre à coucher et une femme, du nom de Lucia, lui prodigua des soins. On entourait la malade de soins et de confort ; mais, hélas ces soins, ce confort arrivaient trop tard…

Mme  Lecour était condamnée ; elle allait bientôt mourir.