Le Courrier fédéral (p. 51-54).


CHAPITRE XI

ÉLIANE EXPLORE LA CAVERNE


Éliane s’empara d’une bougie qu’elle alluma… Mais il y avait des précautions à prendre. Dans ces sortes de catacombes, il est facile de s’égarer. Elle prit donc un rouleau de fil, dont elle attacha le bout bien solidement à la poignée de sa valise ; en gardant le rouleau dans sa main, le fil se déroulerait et elle était sûre de retrouver son chemin. S’étant assurée que sa mère dormait paisiblement, Éliane commença l’exploration de la caverne.

La chambre où Mme Lecour dormait n’était qu’une sorte de corridor conduisant au bas d’un escalier monumental. Éliane s’arrêta tout à coup, elle pâlit et porta la main à son cœur… Couché sur la première marche de l’escalier était un énorme lion ; il semblait garder cette partie de la caverne et défendre à qui que ce fut d’en découvrir le mystère et la beauté… Mais ce lion était en pierre, ce qu’Éliane reconnut bientôt.

L’escalier semblait avoir été fait de main d’homme, tant il était parfait. Très large en bas et se rétrécissant en haut, il était pourvu d’une rampe faite de grosses pierres superposées.

En haut de l’escalier monumental, un petit passage s’ouvrait, à droite. Éliane s’y engagea et elle se trouva dans une grande pièce dont la voûte s’élevait à dix pieds à peu près Au fond de cette pièce elle vit un orgue majestueux. Autour de la pièce, dans un désordre artistique, elle vit des fauteuils et des divans de diverses formes et grandeur… Cet orgue… en pierre, ces fauteuils, ces divans… en pierre aussi, nécessairement… Éliane était émerveillée de ce qu’elle voyait.

Continuant son exploration, elle entra dans une autre pièce, parfaitement ronde, à la voûte très haute. La pierre, ici, sur chaque pan du mur, semblait former des petites cases… il ne manquait que des livres pour en faire une splendide bibliothèque.

Tournant à gauche, Éliane arriva en haut d’un petit escalier dérobé : « L’escalier de service, » pensa-t-elle. Au pied de cet escalier était une chambre de grande dimension : « La cuisine, » se dit la jeune fille, en souriant.

Éliane revint sur ses pas ; l’exploration avait assez duré, pour cette fois… Que de merveilles !… Elle s’arrêta dans la bibliothèque et se dit : « Quel palais on ferait de cette caverne !… Il me semble voir le plancher de cette bibliothèque, celui du salon et les marches du monumental escalier recouverts de tapis épais et moelleux, de riches portières, de magnifiques tapisseries disposées un peu partout, des meubles antiques, de splendides candélabres ; le tout éclairé et chauffé à l’électricité… Ce serait trop beau… Ça ne s’est jamais vu ; ça ne se verra jamais !…

« Que c’est beau ! Que c’est splendide ! Un vrai palais d’Aladin ! » s’écria tout haut Éliane.

Mille voix semblèrent répéter ces paroles et la jeune exploratrice fut prise de peur tout à coup… Elle pensa aussi à sa mère ; si elle allait s’éveiller et ne pas voir sa fille auprès d’elle !

Saisie d’une sorte de panique, Éliane se mit à descendre l’escalier, tout en roulant le fil autour du rouleau… Soudain, elle s’arrêta : des voix parvenaient jusqu’à elle, les voix de plusieurs personnes… La caverne était donc habitée ?… Elle écouta… Ces voix partaient de tout près, semblait-il, du côté gauche du monumental escalier…

Curieuse tout à coup, Éliane remonta l’escalier, puis elle se dirigea vers la gauche ; mais le chemin semblait fermé de ce côté… Il y avait bien une fissure dans le roc, mais l’espace était si restreint, qu’il eut été impossible de s’y glisser… Cependant… La jeune fille, en se faisant toute petite, parvint à passer par cette fissure, puis elle se trouva en face d’un mur presqu’à pic, de sept pieds de hauteur à peu près. Au-dessus de ce mur, le plafond s’élevait en dôme à une hauteur de huit pieds. C’est de l’autre côté de ce mur que les voix s’élevaient. Éliane n’aurait pu distinguer ce que ces voix disaient ; mais il y avait là, assurément, trois ou quatre personnes causant.

Éliane, déposant sur le sol sa bougie et son rouleau de fil, se mit à examiner le mur… Pourrait-elle y grimper ?… Une chute, ce serait la mort… Cependant, elle allait se risquer, car ce mur était comme haché, de distance en distance ; elle allait essayer de l’escalader…

Quand Éliane fut parvenue au sommet du mur, un cri faillit lui échapper et elle serait, assurément, tombée, si elle ne s’était cramponnée à des portières en peluche qui tombaient du dôme de la caverne, de l’autre côté du mur. Car, elle vit son rêve se réaliser, de l’autre côté de ce mur, d’où lui étaient parvenu les voix… Elle se vit dominant un vaste salon, éclairé et chauffé à l’électricité. Des divans, des fauteuils, un buffet chargé d’argenterie et de verre coupé. Un piano de concert, des statues en marbre blanc, des vases splendides, remplis de fleurs exotiques…

Près d’une table, trois hommes causaient, mais ils tournaient le dos à la jeune fille. À un moment donné cependant, l’un d’eux se retourna et aperçut Éliane… Éliane, vêtue de blanc, debout sur le rocher, vivement éclairée par les lumières de la salle, les portières en peluche vert formant comme un cadre autour d’elle…

Vite, Éliane, voyant qu’elle avait été aperçue, redescendit le mur, ramassa sa bougie et son rouleau de fil et, précipitamment, regagna l’endroit où elle avait laissé sa mère endormie.

Mme Lecour ne s’était pas éveillée et sa respiration régulière indiquait qu’elle dormait paisiblement. Éliane avait été vue, en effet. Des trois hommes causant ensemble, deux s’étaient lancés à sa poursuite… Inutilement… L’étroite fissure par laquelle la jeune fille s’était glissée n’aurait pu livrer passage à ces hommes ; ils ne s’imaginèrent pas, même, que quelqu’un eut pu passer par là. Ils revinrent donc au salon, bredouilles.

« Eh ! bien ? » leur demanda celui des trois hommes qui ne s’était pas lancé à la poursuite d’Eliane.

— « Je n’y comprends rien, » répondit l’un de ces hommes. « C’est une apparition, je crois bien, Castello ! »

— « Une apparition… » murmura Gastello. « Oui, une apparition… ou un ange ! »

À quelques soirs de là, ils virent, encore une fois, l’apparition … Ce soir-là, ils étaient réunis en assez grand nombre, quand Éliane, pour des raisons que nous expliquerons plus tard, escalada, encore une fois, le rocher. Cette fois, aussi, elle ne fit qu’apparaître.

« Qu’est-ce que cela ? » s’écrièrent plusieurs des hommes réunis dans le salon.

— « Cela, » répondit Castello… « Cela ?… C’est l’Ange de la caverne. »