L’ancien et le futur Québec/Chapitre III

Typographie C. Darveau (p. 17-28).

III.


Québec avait été fondé depuis un peu plus d’un quart de siècle, mais ne contenait guère plus de cinquante à soixante habitants ; les colons, arrivant dans un pays barbare, pauvres, manquant de tout, inaccoutumés au climat, étaient souvent malades ; de même, les sauvages qui, devenus vieux et infirmes, n’étaient plus qu’un objet d’éloignement pour les leurs, avaient besoin d’un asile ; c’est alors que la duchesse d’Aiguillon, désireuse de propager la foi parmi les Indiens, de secourir les maux et de recueillir la faiblesse, donna une rente de 1500 livres sur un capital de 20,000, pour fonder un hôpital dédié au précieux sang du sauveur et pour le repos de son âme. Tel est le point de départ de l’Hôtel-Dieu. Trois Hospitalières partirent donc de Dieppe, le 4 Mai 1639, accompagnées de Mme de la Peltrie et de trois sœurs ursulines, pour venir fonder le premier hôpital du nouveau monde ; de ces trois Hospitalières, l’aînée, la supérieure, n’avait pas 29 ans, et la plus jeune seulement 22. À leur arrivée à Québec le 1er Août, ce fut une grande fête, une réjouissance, une manifestation comme on n’en vit pas pendant un siècle ; les magasins furent fermés, les troupes tenues sous les armes, tout travail suspendu et le canon tiré du fort. Les Hospitalières, en débarquant, embrassèrent la terre promise de leurs futurs labeurs, et, certes, de rudes labeurs les attendaient en effet, et surtout d’affreuses privations, une longue misère et des inquiétudes de tous les jours sur le sort du lendemain.

Elles eurent faim et elles avaient à peine pour tout vêtement que l’uniforme de leur ordre ; la colonie était si pauvre que non seulement elles ne trouvèrent pas les aliments nécessaires, mais qu’elles eurent à grand’peine pour se loger une petite maison qui n’avait pour tout ameublement qu’une table et deux bancs ; pendant quinze jours, après leur arrivée, elles couchèrent sur des branches d’arbres étendues à terre, et elles furent même obligées avant longtemps d’abandonner leur première installation, à cause des obstacles qu’offrait le roc et de la difficulté d’avoir de l’eau. Elles allèrent à Sillery où elles s’établirent près des jésuites ; mais, au bout de quatre ans, les Iroquois les ayant obligées à revenir, elles reprirent la construction de l’Hôtel-Dieu, le 16 mars 1646 ; on les vit alors aider elles-mêmes les ouvriers et travailler de leurs mains à la pose des pièces ; en 1649, elles pouvaient donner asile au reste des Hurons qui s’étaient réfugiés à Québec après leur dispersion par les Iroquois. Le premier Hôtel-Dieu était en bois et n’avait que quatorze pieds de largeur ; le 15 octobre 1654, elles en commencèrent un autre dont le gouverneur Lauzon posa la première pierre ; cet édifice fut fini en 1658. En 1660, les incursions continuelles des Iroquois les obligèrent à chercher refuge pendant trois semaines dans la maison des Jésuites ; le 5 mai, 1672, elles ajoutèrent à l’Hôtel-Dieu une aile et un nouveau corps de bâtisse, et Talon fit déposer dans la pierre une inscription commémorative de la duchesse d’Aiguillon. En 1696, de nouvelles augmentations vinrent compléter l’édifice qui revêtit alors à peu près sa forme actuelle et s’étendit sur une superficie d’environ douze arpents ; mais la rente qu’avait donnée la duchesse d’Aiguillon était devenue fort disproportionnée avec les dépenses toujours grossissantes de la maison, de sorte que ce n’est qu’à force d’économie, d’industrie, grâce à une subvention annuelle de l’état et aux dots apportées par les religieuses, que l’hôpital a pu se maintenir et arriver même à une situation relativement florissante, car aujourd’hui l’Hôtel-Dieu possède douze maisons dans la ville, une terre à St. Sauveur, des baux emphytéotiques dans le faubourg St. Jean, une ferme à la Canardière et une concession dans le faubourg St. Vallier. Quatre-vingts lits y sont occupés en moyenne, constamment, par les malades dont le traitement et l’entretien coûtent environ $5000 dollars par année, tandis que la subvention de l’établissement ne s’élève qu’à $640. Il n’y a que six domestiques dans tout l’établissement, les religieuses faisant elles-mêmes le ménage, l’ouvrage de la maison et soignant les malades ; elles prennent deux heures de récréation par jour et soignent les malades deux par deux, durant la nuit, à tour de rôle. Dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu, on trouve des peintures de maîtres, telles que la Nativité de Stella, la Vierge et l’Enfant de Coypel et un St. Bruno du grand LeSueur.

J’ai mentionné plus haut que les Hospitalières étaient venues en Canada avec trois sœurs Ursulines sous la direction de Mme de la Peltrie. Ce fut en effet Mme de la Peltrie qui fonda le couvent où, depuis deux siècles, les jeunes Québecquoises reçoivent leur éducation. Quoique les Ursulines ne soient pas sur le parcours du boulevard projeté, j’ai cru néanmoins qu’il serait déplacé de passer sous silence cette vénérable institution, si chère à notre société, si intimement liée à la première histoire et à tous les développements de la colonie.

L’objet des Ursulines était d’instruire les filles des Indiens convertis aussi bien que les filles des Canadiens. Un fait qui vous donnera quelque idée de la pénurie de toutes choses où se trouvait alors la colonie, c’est, qu’à peine arrivée en Canada, Mme de la Peltrie fut obligée de se défaire de ses propres vêtements pour habiller les enfants pauvres ; on peut imaginer d’après cela quelle vie de privations les sœurs durent éprouver pendant la période qui suivit leur établissement. C’est en 1645 qu’elles complétèrent leur premier couvent. À cette époque, la rue St. Louis n’était qu’une trouée à travers la forêt, sans une seule maison, et s’appelait la Grande Allée. Parallèlement à la Grande Allée était une route étroite appelée le petit chemin, qui conduisait aussi dans la forêt et qui recevait une source coulant du cap jusque dans la rue des Jardins. En 1650, le couvent des Ursulines prit en feu, et les sœurs durent se réfugier chez Mme de la Peltrie, dont la maison était en face. Trente-six ans plus tard, en 1686, pendant la messe même de Ste. Ursule, un nouvel incendie détruisit tout l’édifice ; mais telle était l’utilité des Ursulines que tout le monde travailla à réparer le désastre ; c’est alors que les habitants de Trois Rivières, frappés d’un pareil témoignage, demandèrent à l’évêque de Québec, Mgr. de St. Valier, l’autorisation de fonder dans leur bourgade un autre couvent des Ursulines, ce qui fut fait en 1697. Il me semble inutile de m’étendre davantage sur les événements qui constituent l’histoire primitive des Ursulines, d’autant plus que le temps est précieux ; je dirai seulement un dernier mot sur la condition actuelle de cet établissement.

Les recettes provenant des élèves de la communauté ne s’élèvent jamais au niveau des dépenses, mais pour couvrir le déficit, les sœurs ont des propriétés considérables parmi lesquelles on peut mentionner ; le fief de Ste. Anne, dans la seigneurie Lauzon, le fief St. Joseph, dans la banlieue, et la seigneurie de Ste. Croix, enfin un terrain de 40 arpents en superficie sur les bords de la rivière St. Charles, dont leur avait fait cadeau le gouvernement français. C’est, dans le couvent des Ursulines qu’a été enterré Montcalm, et l’on peut y lire cette inscription qu’a déposée en 1832 le gouverneur-général Lord Aylmer : « Honneur à Montcalm ! le destin, en lui dérobant la victoire, l’a récompensé par une mort glorieuse. »

Vous connaissez tous la règle sévère de ce couvent qu’habitent seules les religieuses cloîtrées. Aucune personne du sexe masculin, ou du sexe laid, car il paraît que c’est la même chose, n’a pu dépasser le parloir de la communauté, lequel se trouve à l’entrée même. Cependant, il y a, dans l’espace de 265 ans, deux exceptions à cette règle ; l’une fut en faveur du Prince de Galles, lorsqu’il visita le Canada, il y a quinze ans ; son privilège royal le mettait au dessus de l’exclusion commune… l’autre, ah ! l’autre, c’est tout un poëme, je vais vous le raconter en prose.

C’était pendant la nuit du 18 octobre 1838. Deux prisonniers, qui resteront longtemps célèbres parmi les souvenirs de cette époque, Dodge et Theller, s’étaient enfuis de la citadelle avec une hardiesse et un bonheur incroyables ; on ne découvrît leur fuite que le lendemain matin, comme cela arrive généralement, lorsque les gardiens sont ivres-morts. Grand émoi dans la citadelle, tocsin retentissant par toute la ville, patrouilles aussitôt mises sur pied. Il était certain que les deux évadés n’avaient pu sortir de la ville, vu qu’à cette époque de trouble, les portes étaient fermées de bonne heure le soir, et toutes les issues sévèrement gardées. Mais où étaient-ils ? comment diriger les recherches ? On savait que dans la rue Ste. Ursule demeuraient quelques hommes qui, s’ils n’étaient pas tout-à-fait compromis dans la rébellion, ne se signalaient pas par un loyalisme entêté ; on crut qu’il était adroit de chercher de ce côté, et, comme le jardin des Ursulines donnait sur l’arrière de la rue Ste. Ursule, l’idée vint que Dodge et Theller s’y étaient probablement réfugiés. En conséquence, un corps de soldats se présenta aux portes du jardin que les religieuses durent ouvrir. Parmi eux s’était glissé un tout jeune homme que personne n’avait remarqué, (comme qui dirait une jeunesse), et qui, une fois dans le jardin, s’était caché parmi les broussailles en attendant que les soldats repartissent, ce qu’ils ne tardèrent pas à faire, bredouille. Pourquoi était-il venu là ? on ne l’a jamais su ; lui non plus ; les badauds ne manquent jamais de suivre les soldats sur la marche ; en outre, le tintamarre qui se faisait dans la ville, l’alarme répandue partout, les troupes battant les rues, tout cela était plus que suffisant pour intriguer notre gars outre mesure. Toutefois, quand il se vit seul dans le jardin et les portes closes, il se demanda ce qu’il pourrait bien faire. Il n’y a pas grand’mouches à attraper le 16 octobre en plein air, il n’y a pas grand’fleurs à dévaster, et puis, quand on est tout seul, aucune de ces choses délicieuses qui réjouissent tant le jeune âge et qui consistent à tout démolir, ne nous tentent guère. Ennuyé de se voir pris, lui qui était venu en voir prendre d’autres, ne sachant comment se tirer d’affaire, il se risqua à pousser jusque dans le couvent. Les longs et calmes corridors s’étendaient devant lui ; pas un mouvement ne s’y faisait, pas une ombre, pas même un souffle n’y glissait. C’était muet comme la tombe, et cependant cela était vivant ; ces passages éclatants de propreté, ces murs blancs, ce parfum prude qui se dégage des habitudes douces et paisibles, semblable à la fraîcheur chaude qui sort des fleurs après l’orage, les portes entr’ouvertes, le jour tendrement ménagé, tout cela sentait la vie, mais où étaient les vivants ? Ne sachant plus bien ce qu’il faisait, inquiet presque, dans tous les cas voulant se tirer d’affaire à tout prix, l’audacieux intrus poussa une des portes qui donnaient sur le corridor. Il y avait là trois religieuses en train de tricoter. À la vue de ce monstre, ensemble elles poussèrent un cri, et s’enfuirent épouvantées, croyant que le diable lui-même était à leurs trousses. C’est notre faute, Messieurs ; dans toutes les gravures, nous donnons invariablement au diable les formes de l’homme, sauf un appendice caudal qui est de luxe, et certains détails… de physionomie qui le sont encore plus.

Du reste, c’est à force de nous voir que les dames ne nous prennent pas pour des monstres ; les religieuses, qui n’ont pas cette habitude, s’y méprennent aisément ; épouvantables pour celles-ci, quelquefois dangereux pour celles-là, vous voyez que notre sort est encore susceptible de réforme.

Notre individu, effrayé à son tour, se mit à courir aussi, mais en sens inverse, ou plutôt dans tous les sens, tellement qu’il ne tarda pas à se perdre dans le dédale des passages. Enfin, après avoir erré de ci de là, cherchant partout une issue, il se trouva presque nez-à-nez avec une sœur qui, plus courageuse que les autres, s’était aventurée à la poursuite du monstre, et qui l’amena devant la Supérieure. Celle-ci, après avoir pris connaissance du cas et le jugeant digne d’indulgence, se contenta de renvoyer le coupable, avec force recommandations de ne pas recommencer. Depuis lors, la leçon a servi à tout le monde. Trop heureux seraient les hommes s’il leur suffisait toujours d’un seul exemple pour savoir se conduire ! mais dans les choses ordinaires de la vie, il n’y a que sa propre expérience qui serve ; celle de tous les autres hommes réunis est un fruit inutilement arrosé, trop amer pour que personne le cueille.

Après avoir dépassé le mur de l’Hôtel-Dieu, nous passons devant la maison de Montcalm, sise en face du rempart, dont les fondations sont massives et dont le mur de front était autrefois fort épais, sans doute pour servir de fortification, en cas de besoin ; puis, après avoir contourné le bout de la rue St. George, nous arrivons à la grande batterie qui domine le Sault-au-Matelot ; c’est ici que Champlain commença son premier établissement en 1608. Sept ans plus tard, en 1615, il amenait avec lui de France quatre Récollets, dont la première habitation fut à l’endroit où s’élève aujourd’hui l’Hôpital-Général. Lorsque Champlain fut obligé de rendre Québec en 1629 à la flotte anglaise commandée par Kertk, les Récollets retournèrent en France avec lui ; ils en revinrent en 1670, reprirent leur ancienne habitation, et y demeurèrent jusqu’en 1690, alors que Mgr. de St. Vallier, voulant fonder un hôpital-général, asile des pauvres et des infirmes, obtint d’eux qu’ils lui cédassent leur propriété pour laquelle ils obtinrent en échange l’emplacement de la Place d’Armes où se trouvent aujourd’hui la cathédrale anglaise et le palais de justice. C’est là qu’ils élevèrent leur église et leur couvent qui furent tous deux complètement détruits par le feu en 1796, trente-sept ans après la prise de Québec, en même temps que l’ordre des Récollets était aboli. C’est dans l’église des Récollets qu’était suspendu le pavillon du vaisseau amiral de Phipps, que des canadiens avaient été enlever sous le feu de l’ennemi en plein fleuve ; ce pavillon disparut en même temps que l’église était détruite par les canons de l’armée de Wolfe, quelques jours avant l’assaut des plaines d’Abraham. Des arbres superbes, dont ceux qui entourent aujourd’hui la cathédrale anglaise ne sont qu’une faible image, ombrageaient au dernier siècle le couvent et l’église des Récollets ; ces arbres étaient les derniers débris de la forêt antique ; au pied de l’un d’eux, Champlain avait dressé sa tente en arrivant à Québec, et l’on put voir jusqu’en 1857 le seul survivant de ces géants des bois dresser encore sa tête ravagée par l’âge et les orages. ; il fallut pour l’abattre les éléments déchaînés, et il ne céda qu’à la violence d’une tempête furieuse qui faillit emporter la moitié des toits de la ville.

En même temps que Champlain amenait les Récollets à Québec, un autre ordre religieux, qui devait jouer un grand rôle dans la colonie, y envoyait sous le patronage du duc de Ventadour, vice-roi de la Nouvelle-France, trois de ses membres ; c’étaient les pères Lallemand, Brébœuf et Massé qui venaient fonder la mission des jésuites en 1624. Ces révérends pères restèrent d’abord chez les Récollets, en attendant qu’ils fûssent en moyen de s’établir eux-mêmes. Deux ans plus tard, Champlain en amenait de France trois autres avec vingt ouvriers, apport inestimable dans une colonie qui ne comptait que 55 âmes ; mais ce ne fut qu’en 1635 grâce à un don de 20000 livres fait par le comte de Gamache, que les jésuites purent poser les fondations de leur collège et de leur chapelle ; cinq ans plus tard, ces deux édifices brûlaient, malheur commun à toutes les maisons religieuses de la colonie à cette époque ; il faudrait être singulièrement porté à la plaisanterie pour y chercher le doigt de Dieu.

De longues, longues années plus tard, les jésuites construisirent leur collège dans sa forme actuelle, grand édifice de 224 pieds sur 200, d’une charpente solide, comme le témoigne l’impossibilité de le démolir, qui a survécu aux abolitions successives de ses fondateurs, et qui, aujourd’hui, défie deux gouvernements de porter la main sur lui. Il a servi depuis cent ans à toute espèce d’objets ; on y a vu les quartiers des soldats, on y a vu des tribunaux ; maintenant on peut contempler dans la vaste cour qu’il renferme un rond à patiner, dans cette même cour où se dressaient encore en 1825 de magnifiques rejetons de la forêt primitive, arbres séculaires que les soldats anglais, installés dans le collège, crurent devoir abattre pour ne pas être gênés dans leurs right about turn. Après l’abolition de l’ordre des jésuites en 1764, ceux-ci devinrent de simples particuliers, et à la mort du dernier d’entre eux, le père Casot, arrivée en 1800, leur propriété vint s’ajouter au domaine de la couronne. Il paraît que les jésuites de nos jours contestent la légalité de cette possession ; une admirable brochure, que l’on dit inspirée par eux, a même paru à ce sujet l’année dernière, dans laquelle il est dit que le premier ministre qui osera faire donner un coup de pioche à l’antique édifice, est tout simplement Belzébuth en personne. C’est le cas ou jamais de dire que les comparaisons sont toujours odieuses.

Nous en étions arrivés de notre promenade autour des remparts à la Grande Batterie. C’est ici que les monuments se succèdent et se rassemblent. Parlons d’abord du plus ancien, du Séminaire de Québec fondé en 1663 par Mgr. de Laval. Pendant un siècle, le séminaire n’eut d’autre objet que de fournir des ecclésiastiques ; mais dès que les Jésuites durent cesser d’enseigner en 1764, le séminaire les remplaça dans cette mission et reçut toute la jeunesse indistinctement. En 1701, le séminaire brûla à son tour, et l’évêque, qui s’y était retiré, eut à peine le temps de se sauver avec les prêtres à demi vêtus. La cour de France fit un don annuel de 4000 livres pour aider à la reconstruction de l’édifice, mais un autre incendie le consuma encore en 1705. Le siège de 1759 le détruisit presque complètement, et il passa de nouveau au feu en 1772. Vous voyez que les démolitions ne manquent pas de ce côté là. Comme l’histoire de la cathédrale, aujourd’hui basilique, de l’évêché et de l’Université Laval sont inséparables de celle du séminaire, je vais en dire quelques mots en passant. C’est le 18 juillet 1666 qu’eut lieu la consécration de la cathédrale de Québec à l’Immaculée Conception ; jusqu’alors la chapelle des jésuites avait servi de paroisse. Quatre ans plus tard, Québec était érigé en un évêché auquel le roi donnait les revenus de deux abbayes pour en soutenir l’entretien. Pendant le siège de 1759, la cathédrale fut, aussi elle, presque détruite par les bombes tirées de Lévis. Quant au palais épiscopal, il a été construit là où Champlain fit son premier défrichement, lequel s’étendait depuis la rue St. George jusqu’à la place d’Armes ; il bâtit son premier fort sur l’emplacement du palais actuel.

Le jardin du palais s’étendait jadis jusqu’au bord du cap et joignait le mur qui descendait la côte de la basse-ville. L’édifice fut dès l’origine relativement superbe, construit en pierre de taille. Les premiers prélats toutefois n’y demeurèrent point, Mgr. Laval ne voulant pas rester ailleurs qu’au séminaire, et Mgr. de St. Vallier préférant l’Hôpital-Général ; mais les curés des paroisses se retiraient à l’évêché, lorsqu’ils venaient à la ville et l’évêque les y recevait à dîner. Quand les institutions représentatives furent données au Canada, le palais épiscopal devint celui du parlement, et l’évêque reçut en revanche une annuité du gouvernement impérial. La chapelle de l’évêché fut assignée à la chambre basse et le réfectoire du palais devint le département du secrétaire provincial jusqu’en 1854 ; la chapelle, transformée, était devenue la partie centrale du nouveau parlement qui avait une façade imposante, avec un dôme surmonté d’une flèche.

Il y a 21 ans, cet édifice, l’un des plus beaux de l’Amérique, et qui n’était autre que l’ancien palais épiscopal, comme je viens de le dire, fut à son tour détruit par le feu ; l’espèce de bergerie en écorce d’épinette, qui s’appelle maintenant le Parlement local, fut construite à la place de l’édifice consumé, mais ce n’était que pour loger les membres temporairement, en attendant que les édifices d’Ottawa fussent achevés. Avec les matériaux de l’ancien parlement, vendus à la municipalité de Québec pour $100, on édifia le marché Champlain ; on avait prétendu que les murs, trop minés par le feu, ne pourraient plus tenir debout, et, par conséquent, ne pourraient servir à la reconstruction du parlement sur place ; ce qui n’empêcha pas qu’on fut obligé de les faire sauter pour les abattre : c’est de cette magnifique acquisition à si bon marché, de cette spéculation profonde que date l’étonnante fortune de la corporation de Québec. Quant au palais épiscopal actuel, il a été bâti en 1849, trente-neuf ans après que le séminaire se fût relevé de ses ruines et se fût donné les proportions qu’il a gardées jusqu’à ces années dernières.