L’amour saphique à travers les âges et les êtres/33

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 265-270).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXXIII

L’HOMME ET LES CARESSES SAPHIQUES


La question a été mainte fois posée de savoir si un homme désireux de s’assurer de la fidélité de sa femme doit s’efforcer de la maintenir dans un état de chasteté relatif, l’empêcher de rêver de luxure et ne lui donner en amour que la ration banale — la tranche de bouilli sans aucun condiment. Ou bien, au contraire, s’il est plus habile de sa part de la saturer de toutes les joies sensuelles imaginables, afin qu’elle n’ait pas la tentation d’aller les apprendre ailleurs.

Les détracteurs de la première version disent :

« Vous essaierez vainement de tenir votre femme dans l’ignorance. Tout, autour d’elle, la renseignera ; elle apprendra fatalement que les médiocres plaisirs que vous lui offrez ne sont pas les seuls à la portée des créatures. Et, moins ils lui seront familiers, plus elle souhaitera les connaître, tentée par l’inconnu, attirée par le défendu. Traiter sa femme par le sèvrement de toutes les joies qui, en somme, sont son droit, c’est l’infaillible moyen de se l’aliéner, de la jeter dans les bras de celui ou de celle qui promettra de lui révéler le paradis où vous refusez de la guider. »

Ceux qui déconseillent le second parti argumentent ainsi :

« Vous forcez la femme à sortir du sentier paisible et glacé qui a été le sien jusqu’au seuil du mariage ; vous l’habituez aux ivresses, aux luxures ; vous lui créez des besoins et des curiosités : comment pouvez-vous supposer que vous serez capable de satisfaire tout ce que vous aurez engendré en elle. Assouplissez ses sens, affinez sa sensualité et vous la précipiterez fatalement vers la recherche de joies plus nouvelles et plus aiguës, de compagnons de plaisir plus experts ou tout simplement autres que vous-même. »

Les deux opinions sont au fond fort justes.

Cela reviendrait-il donc à cette conclusion que, quelque conduite que l’on suive, la femme se tournera toujours vers les voies que vous souhaitez lui interdire ?

Pas tout à fait.

La vérité, c’est que, pour certaines natures de femmes, le système de chasteté à outrance, l’entretien d’une pudeur, d’une austérité exagérées auront du bon et la maintiendront dans des bornes qu’elle n’osera pas franchir. Mais, le procédé identique appliqué à un esprit plus indépendant, plus curieux, dont les sens sont naturellement plus développés, obtiendra le résultat inverse : la femme cloîtrée dans la vertu ne songera qu’à sauter le mur.

Au contraire, celle-ci, rassasiée par les joies que lui fera connaître son mari, s’en contentera.

Seulement, s’il arrive qu’elle possède une cérébralité encore plus active, une prédisposition plus nette vers la volupté, il est parfaitement certain que les enseignements du mari seront la clef du grand livre dont elle voudra feuilleter, sinon toutes les pages, au moins un bon nombre de chapitres.

En ce cas, le mari n’est que l’avant-propos, vite délaissé pour courir au cœur du sujet.

Jusqu’ici, nous parlons des bonheurs sensuels dans un sens général, mais nous croyons qu’il est intéressant de descendre dans le détail, c’est pourquoi nous étudierons cette question :

« Les caresses saphiques données par un homme à une femme peuvent-elles lui causer des joies égales ou supérieures à celles qu’une femme lui apporte en pareille occurrence ? »

Au premier abord il semble que la réponse doive être affirmative.

En effet, si la femme, pour donner à sa compagne l’illusion de la possession mâle, est obligée de recourir à des subterfuges plus ou moins susceptibles de provoquer l’illusion, l’homme, pour donner, en plus des joies naturelles, celles de l’amour lesbien, est armé de tout ce qu’il faut : comme l’amante, il possède des lèvres et des doigts.

Ce serait pourtant une grossière erreur de croire que la jouissance saphique peut être indifféremment donnée par un homme ou par une femme.

Si la femme mâle est inapte à procurer à sa compagne exactement les ivresses que celle-ci éprouverait dans les bras d’un homme ; celui-ci est impuissant à apporter en la femme l’émotion spéciale que lui fera éprouver une autre femme.

Lors de la caresse saphique donnée par un homme normal, la femme n’est jamais complètement à son aise ; d’abord, par suite des sentiments complexes analysés précédemment qui font que la femme ne se sent jamais en parfait abandon près de l’homme ; puis, tout lui rappelle que ces caresses ne sont pour l’homme qu’un prélude, qu’un moyen d’excitation pour l’acte qui est, ou indifférent, ou désagréable, ou craint par celles qui sont les ferventes du baiser saphique sans coït ou simulacre de coït.

Ce désir, étranger au sien, en quelque sorte la menaçant, détruit toute la sécurité du plaisir féminin qui est la source de ses meilleures joies avec un partenaire de son sexe.

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que, pour la plupart des lesbiennes, le baiser proprement dit n’est pas tout dans la caresse : selon les amantes, celle-ci prend une variété de formes qui, pour donner le plaisir complet, exige les grâces, les souplesses de la femme, ainsi que ses beautés spéciales. L’homme évolue dans le saphisme comme l’ours qui prendrait le félin comme modèle. Il pourra imiter fidèlement les actes de son maître, il restera toujours un ours.

Avec l’inverti mâle, impuissant par goût ou par tempérament, la femme possède, il est vrai, la même tranquillité qu’auprès d’une femme ; mais alors la caresse saphique donnée par celui-ci n’est qu’un geste de complaisance qui n’est accompagné d’aucun plaisir.

En effet, l’inverti, tout à sa manie de jouer la femme, ne jouit pas de caresser une femme. Il achète simplement, par sa docilité à complaire à celle-ci, le droit de réclamer à son tour qu’on flatte son goût.

Cependant, il est des cas spéciaux où la caresse saphique d’un homme ou d’un inverti pourra ravir intensément une femme.

L’hermaphrodite très également douée des sens différents de l’homme et de la femme trouvera dans le contact de l’inverti des vibrations nouvelles et multiples.

L’invertie pure, c’est-à-dire la femme aux goûts masculins sans aucune tendance féminine, éprouvera une âcre joie orgueilleuse à soumettre à la caresse saphique le désir de possession d’un homme viril et sain.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre