L’amour saphique à travers les âges et les êtres/21

(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 172-179).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XXI

LES ABERRATIONS DU TOUCHER


Les jouissances voluptueuses obtenues par le toucher — soit passif, soit actif — sont très souvent liées étroitement à celles de la vue. Mais, il arrive que le tact seul apporte dans l’être les sensations cherchées par tous les individus dans l’acte d’amour.

Les femmes sensuelles, même normales, et dans un bon état de santé, jouissent d’une imagination assez puissante pour que le toucher d’objets qui n’ont pourtant aucune ressemblance avec les organes mâles leur fasse illusion.

Dans les étreintes et les caresses de lesbiennes qui ne pratiquent l’amour saphique qu’à défaut de l’amour naturel, toutes deux s’illusionnent parfois absolument et se persuadent que le contact de leurs doigts ou d’objets quelconques est celui que leur apporte la verge en pénétrant dans leur vulve.

Or, si des instruments fabriqués avec soin peuvent, jusqu’à un certain point, faire illusion, ce n’est que grâce à une aberration du tact, momentanément amenée par l’émotion passionnelle, qu’une femme peut confondre le contact d’une verge naturelle et celui d’un objet en bois, en porcelaine ou en liège.

Bien que les muqueuses de la vulve et du vagin ne soient pas douées d’un tact aussi délié que celui des doigts, elles sont, néanmoins, nettement affectées par la nature de ce qui les effleure.

C’est grâce à l’imagination, au délire luxurieux que la femme obtient l’illusion du coït avec une autre femme ou solitairement. Et ce phénomène est une aberration du sens du toucher.

Parmi les détraquées ou les aliénées, les hallucinations du toucher sont extrêmement fréquentes. Telle malade est persuadée qu’on a abusé d’elle durant l’obscurité ; elle n’a pas vu celui qui l’a violée, mais elle a senti quelqu’un l’étreindre, un membre masculin la pénétrer : elle souffre mille angoisses, elle se croit enceinte.

Il y a une dizaine d’années, un scandale éclata dans un couvent de religieuses qui mit au jour des pratiques extrêmement curieuses et un état mental étrange chez les bonnes sœurs de cet établissement.

La supérieure était une femme de quarante ans qui n’avait jamais connu d’homme et n’apportait à ses inclinations sensuelles très violentes aucun dérivatif par la masturbation ni par l’amour saphique.

Elle avait toujours rendu à la Vierge Marie un culte ardent ; avec les années et les progrès d’une nymphomanie toute particulière, ce culte devint une sorte de folie en elle.

Après avoir adoré la Vierge, elle supposa que la divinité-femme, par bonté et faveur spéciale, consentait à s’incarner, en elle, à de rares intervalles. Durant une nuit, à la chapelle, la religieuse reçut des instructions de Marie qui lui apprenait que, chaque année à pareille date, elle concevrait et mettrait au monde le Christ, ainsi qu’elle-même l’avait fait.

À la suite de cette révélation que la supérieure n’eut rien de plus pressé que de communiquer à ses compagnes, moitié convaincues, moitié amusées, toutes fiévreusement remuées, l’on se prépara pour la fameuse cérémonie.

Ce fut, aux dates rituelles, toute la légende catholique mise en action avec un cérémonial où l’obscène se mêlait étrangement au burlesque.

Une jeune sœur, costumée en ange, vint saluer la nouvelle Marie et lui annoncer sa prochaine conception.

Et cette conception accomplie, en présence de tout le couvent, fut une scène d’érotisme et de folie inénarrable, la Vierge étendue sur un matelas dans la chapelle, entourée de cierges, ses compagnes chantant des psaumes et l’aspergeant d’eau bénite.

À un instant, la Vierge avait été saisie de convulsions et, dans un spasme suprême, avait déclaré que le Seigneur était entré en elle et l’avait fécondée.

Et durant des semaines, la grossesse fictive et divine était entourée des soins et des mille simagrées que pouvaient imaginer ces créatures plus qu’à demi-folles. Puis, l’accouchement, environné de tous les détails les plus précis, les plus répugnants, avait été simulé.

Pendant cette délivrance supposée, la supérieure, nue sur un lit, se démenait, se tordait en vagissant, tandis que ses compagnes, feignant d’aider à un accouchement laborieux, se livraient à mille attouchements et gestes obscènes.

Plusieurs, variant un peu la scène classique, s’écriaient qu’à elles aussi, un ange s’imposait, et des couples de religieuses affolées s’étreignaient, se baisaient, se masturbaient furieusement.

Ce fut l’une d’elles, non gagnée par la contagion de luxure déguisée sous ces folies qui, révoltée, dénonça ces pratiques et provoqua le scandale qui révéla au dehors ces scènes incroyables.

Le masochisme ou bonheur à s’humilier, à souffrir, sorte de sadisme inverse, est une aberration du toucher accompagnant un certain état mental.

Bien que, ainsi que nous l’avons dit, l’instinct de la femelle et, par conséquent, de la femme primitive et complètement normale, soit d’éprouver une jouissance à se sentir plus faible que celui qui la vainct et la possède, le masochisme, c’est-à-dire ce sentiment exagéré à l’extrême, est plus souvent une perversion masculine qu’une aberration féminine.

Le masochisme normal de la femme est plutôt psychologique que matériel, et si beaucoup ne détestent pas être battues, c’est plutôt parce que la brutalité de « leur homme » les remplit de crainte et d’admiration que parce que leur chair est contentée par la douleur des coups.

Cependant, il est des femmes qui, dans l’amour lesbien, se complaisent dans un rôle humiliant et douloureux.

Non contentes de lécher les parties sexuelles de leur amante, elles boivent avec délices son urine, sa sueur, adorent ses brutalités et ses sévices.

D’autres, encore, adorent la souffrance pour elle-même et se font fouetter avec des verges, des martinets, jusqu’à des orties. Bien que le goût de la flagellation soit plutôt une perversion masculine, il est des femmes qui ne savourent le coït naturel ou factice que lorsqu’il est précédé d’une fessée plus ou moins sérieuse.

Mme V… était venue, comme beaucoup de femmes, à l’amour saphique, moins par goût de la femme de préférence à l’homme, que par suite de sa honte à avouer ses désirs à un homme.

Toute sa vie, elle avait rêvé d’être non seulement violentée par une main brutale, mais fouettée avec des verges sur la vulve. Jamais elle n’eut l’audace de laisser soupçonner son souhait à son mari. Elle se confia à une amie qui lui rendit ce service d’abord par complaisance, puis avec une joie intense, ce procédé ayant fait lever en elle une tendance au sadisme qu’elle satisfaisait en comblant sa compagne de bonheur.

Les religieuses s’appliquant la discipline, se condamnant à mille petites tortures, font du masochisme cérébral qui, très souvent, devient matériel, car il est patent que, durant les extases, les délires religieux, le sexe des « saintes » est en pleine ébullition et donne lieu à tous les phénomènes passionnels.

Le masochisme peut prendre une forme excessive et ne pas se contenter de fessées sans grande cruauté.

Les docteurs qui voient de près les bizarreries humaines ont, dans leurs notes, maintes histoires où l’on voit des créatures poussées par cette passion jusqu’à se martyriser véritablement.

Nous avons sous les yeux le dossier d’une veuve qui, tous les soirs, se masturbait devant le portrait de son mari et, n’arrivant pas à déterminer l’orgasme et s’accusant de froideur, d’infidélité au cher mort, se condamnait à mille tortures. Entre autres choses, elle faisait rougir un fer à friser et se le posait sur le ventre. Au bout d’un certain temps, les cicatrices se touchaient et ne se guérissaient plus. Il fallut recourir au médecin et avouer l’étrange plaisir que l’on recherchait.

Il n’est pas rare que dans l’amour saphique, entre hermaphrodites ou femmes-mâles et femelles, il soit fait usage de verges postiches d’une grosseur démesurée ou pourvues d’appendices destinés à froisser, à meurtrir ou à déchirer le sexe dans lequel ils pénètrent pour l’égal plaisir du bourreau et de la patiente.

Les objets les plus hétéroclites et pouvant blesser gravement sont parfois employés.

Il n’est pas rare qu’un médecin doive intervenir pour extraire du vagin ou de la matrice des éclats de verre, des débris d’objets que l’amante ou la masturbatrice ont brisé dans leur fureur passionnelle aveugle.

Mme M…, une lesbienne ardente, exigeait que ses amantes la mordissent jusqu’au sang aux lèvres, aux seins, au sexe.

Une autre adorait que sa compagne frictionnât son clitoris et sa vulve à l’aide d’une brosse en crin très dur.

Et, ce qui prouve l’état cérébral absolument morbide de ces femmes qui, à l’extérieur conservent l’apparence de l’équilibre mental, c’est l’espèce d’inconscience morale avec laquelle elles accomplissent les actes les plus ridicules, les plus grotesques et les plus révoltants. En face d’êtres normaux, elles rougiraient ; mais du moment qu’elles ont trouvé une complice, vis-à-vis de celle-ci et d’elles-mêmes, elles deviennent d’une impudeur et d’une amoralité absolues.

Jamais une invertie, une masochiste, une sadique n’a l’idée de penser qu’elle est anormale ni ne songe à s’effrayer de ses impulsions, de ses délires.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
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