CHAPITRE XIII

le retour à montréal


Nous arrivons enfin à Montréal d’où Rose repart immédiatement pour Ste-Martine, et nous voilà de nouveau séparés, mais avec l’espérance de nous revoir bientôt dans la campagne qui offre tant de charmes à l’amitié et à l’amour. Cet espoir de répondre bientôt à l’invitation de l’aimable sœur de ma fiancée apaise plus ou moins l’ennui qui me reprend de plus belle. J’ai une hâte fébrile d’aller, dans la petite maison hospitalière, goûter de nouveau les douceurs de l’amitié la plus franche et de revoir, avec ma Rose bien-aimée, les sentiers ombragés et toutes les stations du chemin de l’amour pour y retrouver partout les souvenirs que nous n’avons cessé d’y attacher. Il sera si bon de parcourir ensemble ces lieux que nous avons tant aimés et que nous désirions revoir depuis longtemps ; il sera si bon de transformer de nouveau la salle à manger en atelier de peinture et d’y travailler au côté de ma Rose, qui guide autant mon pinceau sur la toile que mon imagination dans mes compositions littéraires ; il sera si bon d’accompagner ma Rose aux pieds des autels en face de la Vierge Immaculée pour demander à cette bonne mère toutes les grâces dont nous avons un si grand besoin.

Ma Rose est à peine partie de Montréal que je recommence mon journal, pour avoir beaucoup de nouvelles à lui communiquer et n’en pas oublier une seule. Elle aime les longues lettres et moi j’aime à lui plaire.

Le 30 août, 1887, Rose m’écrit de Ste-Martine qu’elle trouve ma lettre trop courte. Elle me communique de nouveau l’invitation pressante de sa sœur, madame L… qui tient absolument à ce que je passe le mois de septembre à Ste-Martine, pour bien me reposer à l’air frais avant d’entreprendre les fortes études de l’examen du doctorat. « Mon méchant, me dit ma Rose, pourquoi me fais-tu cette question : penses-tu à ton Elphège ? Tu sais pourtant que toutes mes pensées, tous mes soupirs sont pour toi seul ; et tu oses me faire une pareille question… Je trouve Ste-Martine plus ennuyeux que jamais. Si le tannant de Lowell, venait encore aussi souvent à ses heures habituelles, peut-être serait-il mieux accueilli… Je fais la paresse ; je me couche aussi de bonne heure que possible ; je dors autant que je puis ; je me lève très tard, et tout cela afin de trouver le temps moins long. Je me demande souvent comment je ferai quand je serai des mois sans te voir lorsque tu seras reçu médecin et que tu devras pratiquer pendant quelque temps avant de venir me chercher ? Je ne puis y penser sans avoir les larmes aux yeux ».

Chère Rose, je comprends ton ennui par celui que j’ai éprouvé moi-même, car je sais que tu m’aimes autant que je t’aime. Je veux bien accepter la gracieuse invitation de ta sœur, aller te consoler, y recevoir moi-même des consolations et puiser en même temps auprès de toi les forces qui me seront nécessaires pour mes études et mes examens. Plus je t’aimerai plus j’étudierai, parce que c’est ton avenir que je prépare autant que le mien, et je le veux grand. Mon amour pour toi sera le puissant aiguillon qui me guidera vers le succès.

Le samedi suivant j’arrive à Ste-Martine où je suis reçu à bras ouverts par M. et Madame L… Après avoir passé tant de si belles vacances ensemble à Ste-Martine, après avoir connu tant de si beaux jours dans cette campagne et avoir goûté tous les plaisirs honnêtes que peut procurer l’amour, que pouvions-nous, Rose et moi, espérer de nouveau pendant cette nouvelle vacance ? L’amour n’a pas besoin de nouveau pour être toujours attrayant. Plus le printemps aux beaux jours se prolonge ou se renouvelle plus il a de charmes ; le soleil, qui se lève radieux tous les matins dans le même horizon éblouissant, offre toujours le même spectacle grandiose et cependant on lui découvre toujours des beautés qu’on n’avait pas aperçues la veille ; l’oiseau, qui chante dans les bosquets, a toujours le même ramage modulé sur quelques notes seulement et cependant on ne se lasse pas de l’entendre ; le ruisseau, qui coule rapidement sur des cailloux arrondis, a toujours le même murmure et cependant on aime à venir s’asseoir sur ses bords pour en écouter la monotonie ; la rose ou la mignonnette ont toujours la même odeur et cependant on veut toujours en respirer les doux parfums ; la pensée a toujours les mêmes couleurs veloutées et cependant on se plaît à en contempler souvent l’éclat ; l’artiste, avec la même toile, le même pinceau, la même palette et les mêmes couleurs, peut peindre à l’infini des scènes variées. Pourquoi n’en serait-il pas de même de l’amour ? L’œil de l’amie sincère a toujours quelque chose qu’on aime à retrouver souvent : de la sympathie, de la douceur, de l’amour. La bouche, qu’elle sourie ou qu’elle soit au repos, a des attraits qu’on ne peut décrire mais qu’on ne se lasse pas d’admirer. Le cœur a des élans toujours nouveaux et l’âme des sentiments toujours rajeunis. L’amour qui respecte a toujours des feux qui consument mais n’avilissent pas et ne lasse pas. Rose-Alinda et moi, nous trouvions toujours plus de plaisir et de joies dans nos conversations intimes que le libertin n’en trouve dans l’amour charnel de l’amante. Il n’y a point de satiété, encore moins de dégoût, dans l’amour pur et saint de deux âmes nobles, de deux cœurs dignes. Nous nous aimions parce que nos cœurs se comprenaient, et nous n’aurions pas pu aimer d’autre parce que nous étions faits l’un pour l’autre, pour nous appartenir plus tard sans partage comme sans remords. Le temps et l’espace ne pouvaient que réchauffer notre amour, mais ne l’auraient jamais tiédi ou refroidi. Nous nous aimions du plus sincère et du plus profond amour, mais les mois et les années d’attente ne pouvaient jamais le souiller ni même l’entacher. Nous avions encore une vacance dans la charmante petite maison où nous avions coulé tant d’heures heureuses, et nous allions en profiter et en jouir comme de celles des années passées ; ce serait toujours du renouveau dans l’ancien. Le matin, assis l’un près de l’autre en face de ma toile ou du plateau que je peignais, nous trouvions des joies, infinies comme notre amour, à causer, à nous regarder, à nous sourire ; et, même quand nous nous taisions, il nous semblait entendre les battements de nos cœurs qui disaient notre amour mutuel. Le midi, le soir à table, la plus franche gaieté régnait et nous étions encore heureux. L’après-midi ou dans la soirée, durant nos longues marches, nous regardions l’avenir avec bonheur ; nous bâtissions encore des châteaux ; nous meublions ou nous embellissions les humbles maisons dans les petites campagnes où j’avais déjà en vue d’aller m’établir. Jamais, avant nos promenades, nous n’oubliions notre visite à l’église, à la statue de la Vierge. Nous allions voir des médecins des campagnes environnantes pour leur demander les bons endroits où nous pourrions établir nos pénates. Nous allions visiter les petites campagnes qu’on nous indiquait. Ma Rose en avait déjà choisi une : St-Étienne, un tout petit village de quelques maisonnettes dont une toute blanche, élevée à la croisée des chemins tout exprès pour un médecin qui venait de l’abandonner. Chère Rose, il lui semblait qu’elle l’habitait déjà et qu’elle l’enjolivait de ses mains de fée pour en faire un petit paradis. C’est ainsi que nous passâmes la délicieuse vacance du mois de septembre 1887, qui a laissé dans nos mémoires autant d’agréables souvenirs que les vacances antérieures.

Il m’en coûtait énormément de quitter Ste-Martine après la belle vacance que je venais d’y passer ; j’y laissais des cœurs attendris, et moi-même je n’étais pas le moins affligé. Je partais pour entreprendre la dernière étape du voyage de ma vie d’étudiant ; ce n’était pas la plus facile à parcourir. Le chemin en était raboteux et bordé de précipices dangereux d’où j’aurais pu difficilement me tirer si le malheur m’y avait laissé choir.

En partant je m’affligeais surtout à la pensée que ma Rose resterait seule avec toutes les inquiétudes, toutes les angoisses sur le sort futur de son Elphège. Je n’ignorais pas qu’elle souffrirait beaucoup plus que moi de l’absence et de notre éloignement, parce que j’allais être très occupé par la préparation de mes examens. Les cours universitaires de huit heures du matin jusqu’à six heures du soir, et les études intensives de huit heures du soir à deux ou trois heures du matin que je me proposais de poursuivre, laisseraient peu d’instants à l’ennui pour me taquiner. Mais ma pauvre Rose, que ferait-elle seule toute la journée pour chasser cet ennui qui ne pouvait que la dévorer ? Oh ! Ma Rose, si j’ai souffert alors à l’idée des tristesses qui t’attendaient, que faut-il penser aujourd’hui de mon désespoir au triste souvenir de cette longue agonie, quand je jette un regard en arrière vers ces jours sombres.

De retour à Montréal, je me promettais d’employer tous mes instants libres à écrire mon journal afin de chercher à distraire quelque peu ma chère Rose-Alinda et lui procurer quelques adoucissements dans ses chagrins. Ce que j’avais enduré d’ennuis à Lowell était bien peu en comparaison des ennuis et des souffrances morales de ma Rose, pendant l’automne et l’hiver de 1887-88. Elle n’était pas superstitieuse et cependant tout l’effrayait, tout l’inquiétait. Les rêves, dont elle se moquait autrefois, lui revenaient à la mémoire le jour comme de véritables cauchemars qui la troublaient. Une nuit qu’une tempête faisait rage à Ste-Martine, elle ne put fermer l’œil un seul instant. Elle me voyait médecin, conduisant mon cheval par une nuit sombre, dans des chemins défoncés à travers une forêt. La tempête me surprenait ; la pluie tombait à torrents ; les éclairs déchiraient la nue ; le tonnerre grondait continuellement et mon cheval effrayé prenait le mors aux dents ; je ne pouvais plus maîtriser sa course furibonde. Pauvre Rose, elle avait peur des présages ; elle pensait à l’avenir et à mes courses par tous les temps et tous les lieux. Quand la tempête s’apaisa, elle s’endormit pour continuer des rêves plus inquiétants.

Ce que ma Rose a souffert pendant cette saison peut difficilement s’exprimer. Ses lettres en font foi ; à toutes les pages, on y sent la contrainte, car elle ne voulait pas trop manifester sa tristesse pour ne pas m’inquiéter pendant mes études, mais parfois des cris de douleur lui échappaient. Quand elle ne veut pas se plaindre, il est facile de lire entre les lignes le malaise de son âme et les tourments de son cœur. Parfois, sans s’en apercevoir, elle m’ouvre tout grand le livre de son cœur si aimant et m’en montre les tristesses inénarrables. C’est alors qu’elle s’écrie : « Oh ! mon cher Elphège, écris-moi bientôt, écris-moi longuement, car il me semble que je vais mourir d’ennui ».

Comme elle était contente et heureuse quand elle recevait une longue missive. « Mon cher Elphège, me disait-elle souvent, tu ne saurais croire tout le baume que tu verses sur les plaies de mon cœur, sur les tristesses de mon âme, quand tu m’écris longuement et que tu me répètes souvent les bons mots et les beaux sentiments que ton amour sait te dicter. Si tu savais comme je te chéris quand tu me dis et me répètes souvent : « Rose, ma Rose, je t’aime ». Répète-les souvent ces mots si doux ; ne cesse jamais de les dire. Si tu savais comme je t’aime quand tu me dis que tu me vois partout et toujours et que jamais tu n’en verras d’autre que moi ; oh ! jamais, jamais ! Quand tu n’auras plus de nouvelles à m’annoncer, quand tu ne sauras plus quoi mettre sur ton journal, dis-moi les mots si doux ; répète-les encore ; emplis-en des pages et des pages ; que tes lettres soient toujours longues, bien longues ».

Pouvais-je ne pas faire des serments à ma Rose que j’aimais tant, quand elle me manifestait tant d’amour ; aussi lui répétais-je souvent : « J’aime et j’aimerai ma Rose plus que tout au monde et jamais je ne l’oublierai ».

« Ton journal, me disait-elle encore, m’intéresse plus que tout ce que les autres pourraient me dire. Tu me dis ton amour et tu me donnes toutes les nouvelles que j’aime tant à apprendre de toi. Dis-moi ta vie de tous les jours. Tiens-moi au courant de tes études. J’aime à te suivre partout par la pensée, c’est mon seul bonheur. Tu vois des jeunes filles, de jolies blondes, et tu crois me reconnaître partout ; mais moi toute seule, je ne vois personne. Toujours assise sur la même chaise que tu occupas pendant ta vacance, je ne puis que penser à toi et ne voir que toi en imagination. Quand je n’ai plus tes longues lettres à lire, je n’ai qu’une idée : compter douloureusement les mois et les jours qui s’écouleront trop lentement avant que je sois à toi, à toi seul. Ce matin quand je me suis levée, j’ai vu la neige blanche qui couvrait les champs. Elle annonce l’hiver qui s’en vient et se terminera quand mon Elphège sera reçu médecin ; et puis ce sera le printemps et l’été, et ensuite… Oh ! que toutes ces saisons me paraissent longues. Pourquoi toujours demander à vieillir ? Ne sont-ce pas autant d’années, de saisons et de jours qui s’en vont vers le néant, vers la tombe ? Elphège, mon Elphège, quand nous serons unis après l’été, nous ne demanderons plus à vieillir ; mais, hélas ! le temps fuira toujours plus vite et les jours seront plus courts encore.

(Oh ! ma Rose, tu prophétisais trop vrai. L’été a passé ; nous nous sommes unis et, depuis, quarante et une années se sont écoulées avec une rapidité trop vertigineuse.)

« Quand je n’ai plus, disait encore ma Rose, tes missives à lire, le jour ou le soir, j’erre comme une brebis égarée ; ou immobile sur ma chaise ou dans mon lit, il me semble que Ste-Martine est un tombeau dans lequel je suis enterrée vivante ; j’en éprouve tous les tourments. Elphège, quand donc viendras-tu ouvrir les portes de mon tombeau ? Qu’il me tarde de voir le véritable jour ! qu’il me tarde de voir et de sentir ta main me tirer des horreurs dans lesquelles je suis plongée ».

D’autre part quand mes lettres étaient plus courtes, ma chère Rose en éprouvait beaucoup de peines et d’inquiétudes. Elle en pleurait même. Elle me disait son chagrin en des termes attristés ou amers. Aurait-elle voulu me le cacher que je m’en serais aperçu immédiatement dans sa première lettre, par les grosses gouttes de larmes tombées sur les feuilles remplies de son écriture fine. Elle était au désespoir ; elle s’imaginait que j’étais souffrant, malade ou que je l’aimais moins. « Oh ! mon Elphège, m’écrivait-elle alors, qu’as-tu aujourd’hui ? Pourquoi ne m’envoyer qu’un simple billet ? T’ai-je fait de la peine, causé du chagrin sans le vouloir ? Es-tu malade ? Aimes-tu moins ta Rose ? Oh ! ne me dis pas que tu m’aimes moins, j’en mourrais de désespoir. Si tu n’aimais plus ta Rose, je continuerais tout de même à t’aimer ; j’en mourrais, mais je t’aimerais jusqu’à mon dernier soupir. Cher Elphège, je voudrais que tu eusses autant de plaisir à m’écrire de longues lettres que j’en ai à les lire. Est-ce l’étude qui t’empêche de penser toujours à ta Rose, de le lui dire souvent et de le lui répéter sans cesse ? C’est bien beau et bien bon d’étudier beaucoup ; mais fais attention, ne te fatigue pas, ne te rends pas malade. Elphège, les instants que tu consacreras à m’écrire de longues lettres seront autant d’oasis que tu rencontreras dans le désert aride de tes études ; tu y trouveras le repos et la fraîcheur.

Parfois je n’avais pas le loisir d’écrire longuement, car après le repas du soir, avant huit heures, je rédigeais les notes prises aux cours de l’après-midi, pour pouvoir mieux étudier quand nous nous réunissions le soir à notre comité d’études. J’étais comme le moniteur du comité ; je préparais d’avance les chapitres et les matières que nous devions étudier durant la soirée qui se prolongeait parfois jusqu’à une heure très avancée.

Je ne sortais plus que pour aller à l’Hôpital, aux cours ou au comité d’études. Les seuls instants de récréations que je prenais étaient les petits quarts d’heure entre chaque cours de l’après-midi. Je profitais de ces moments de répit pour faire une promenade avec quelques étudiants sur les rues St-Jacques et Notre-Dame, qui me semblaient bien désertes malgré la foule qui les encombrait toujours. J’avais complètement délaissé les soirées, les bals et toutes les réunions du soir pour éviter toute espèce de distractions. Et puis quel plaisir aurais-je pu trouver où ma Rose n’était pas. Je n’aurais éprouvé que l’ennui qui m’aurait rendu maussade. Cependant le lendemain des soirées ou des bals, je me faisais raconter, par mes amis, les plaisirs qu’ils avaient eus, les rencontres qu’ils avaient faites et tous les événements et les épisodes qui pouvaient intéresser ma Rose à qui je rapportais tout pour la distraire pendant quelques instants. Les seules vacances que je pris pendant l’automne et l’hiver de 1887-88, furent mes promenades à Ste-Martine à la Toussaint et pendant les fêtes du nouvel an.

Quand mes lettres retardaient, ma chère Rose s’imaginait encore que je la négligeais, que mon cœur se refroidissait et que j’allais l’oublier. « Pourquoi, me disait-elle, ne m’as-tu pas écrit hier. Si tu comprenais tout mon désespoir, tu ne tarderais jamais de m’écrire. J’ai trouvé la journée si longue que j’ai cru qu’elle ne finirait jamais ; et, pendant la nuit, le peu d’instants que j’ai dormi, j’aurais préféré les passer éveillée, parce que les cauchemars auraient été moins pénibles. C’est inénarrable ce que l’on peut souffrir de l’inquiétude. Pour me consoler je me disais qu’il n’y avait que la maladie pour t’empêcher d’écrire à ton jour habituel ; je ne voulais pas penser que tu pusses m’oublier, c’était trop cruel. Vois, cher Elphège, quelle triste consolation je m’imposais pour ne pas douter de ton amour. Oh ! mon Elphège chéri, sans le vouloir tu peux donc faire de la peine à ta pauvre Rose ».

D’un autre côté, si par bonheur, ma lettre lui arrivait en avance, ma chère Rose se hâtait de m’en remercier en termes des plus chaleureux. Ses impressions trahissaient toute sa belle âme ; ses sentiments partaient du tréfonds de son cœur, et je percevais que quelques fibres nouvelles en étaient touchées qui donnaient des sons plus doux et plus harmonieux.

Pauvre Rose ! quand je devais passer quelques jours de vacance chez sa sœur à Ste-Martine, elle ne se possédait plus tant la joie s’emparait de tout son être. Elle ne trouvait plus de mots assez justes pour me le dire dans sa lettre ; les expressions lui manquaient pour rendre ses sentiments. « J’ai tellement hâte de te voir, me disait-elle, que je suis incapable de t’écrire ; tu me pardonneras la brièveté de ma lettre, n’est-ce pas ? Cette brièveté te montre la grandeur de mon bonheur ».

Quand je repartais, son chagrin était immense. « Merci, mille fois merci, répondait-elle à ma première lettre, de ton aimable missive. Elle est arrivée juste à temps pour calmer mes angoisses, car j’étais rendue à l’acmé de l’ennui. Tu ne peux croire, tu ne peux comprendre toute la peine que ton départ me cause. Parfois j’aimerais autant que tu ne viennes pas, car j’ai trop de chagrin après ton départ ; je ne puis trouver de mots pour t’exprimer toute ma douleur. Parfois je m’en veux de t’aimer autant, et tu ne saurais croire ce que j’en souffre. Cependant je veux te voir et te revoir ; car la douleur de te voir partir, quoique immense, n’est pas aussi grande que le plaisir, que la joie que j’éprouve quand je te vois près de moi. Mon cher Elphège, plus je te vois plus je te découvre de qualités et plus je t’aime ».