L’album anti-clérical/La petite sœur qui quête


Bibliothèque anti-cléricale (p. 10-12).

LA PETITE SŒUR QUI QUÊTE

1
C’était pendant le Carême. L’aumônier du couvent prêcha un sermon tout à fait pathétique sur les larmes que font verser au Christ les péchés des humains. « Mes sœurs, dit l’abbé qui était un savant, quand une de vous oublie de dire sa prière en se levant, du ciel alors tombe une larme du Christ, lacryma Christi. Quand un impie blasphème, nouvelle larme du Christ, re-lacryma Christi ». Chaque péché est une larme, semper lacryma Christi. Or, voilà que toutes les religieuses, le soir, se couchèrent en pensant chacune à ces deux graves mots latin : Lacryma Christi.
2
Grand fut l’étonnement de sœur Marie-des-Anges, la jolie quêteuse du couvent, en voyant le lendemain chez un marchand un flacon étiqueté : Lacryma Christi. Des larmes du Christ en bouteille ! Elle acheta le flacon, certaine que la divine liqueur la guérirait de son panaris.
3
Si les larmes du Christ allaient être plus miraculeuses encore que l’eau de Lourdes !… Qui sait ?… Sœur Marie-des-Anges, toutes les fois qu’elle fut hors de la vue des passants, s’arrêta pour lamper, à la dérobée, une gorgée de Lacryma Christi dont la vertu allait à coup sûr éclater.
4
La divine liqueur était un vrai nectar. Si bien qu’à force d’en lamper de pieuses gorgées, sœur Marie-des-Anges vit un peu trouble autour d’elle, et accepta le bras secourable d’un jeune peintre qui apparut à ses yeux beau comme un chérubin descendu du ciel à son intention.
5
Oscar (c’était le nom de l’artiste) emmena chez lui sœur Marie-des-Anges, et, dans un petit dîner en tête-à-tête, avec nouvelles rasades du miraculeux Lacryma Christi, il fit goûter à l’innocente nonnette toutes les joies suaves qui sont là-haut le partage des élus de Dieu.
6
Après quoi, il la conduisit dans un lieu bruyant et vivement éclairé, où, aux sons d’un orchestre séraphique, se démenaient avec allégresse les saintes cohortes des bienheureuses et des bienheureux. Sœur Marie-des-Anges, même dans ses rêves, ne s’était pas fait une telle idée du paradis.
7
Réveil lugubre ! Après une nuit passée dans un violon qui n’avait rien d’harmonieux, sœur Marie-des-Anges, confuse et dépenaillée, dut, en la compagnie du commissaire du quartier, réintégrer le domicile monastique, au grand ébahissement de la vieille sœur tourière.
8
Mais c’est au bout de neuf mois que le scandale fut à son comble dans le couvent : un miracle s’annonçait, que la sœur quêteuse n’avait pas prévu. Elle comparut devant le chapitre, qui lui infligea de dures pénitences et ordonna la destruction du miraculeux corps du délit.