L’Outaouais supérieur/Topographie et historique de l’Outaouais Supérieur


C. Darveau (p. 147-177).


CHAPITRE V



TOPOGRAPHIE ET HISTORIQUE DE L’OUTAOUAIS SUPÉRIEUR




I


Le lac Témiscamingue est le plus grand et le plus profond de tous les lacs qui se trouvent sur le cours de la rivière Outaouais.

Il est situé sous le 47e degré de latitude nord et s’étend sur une longueur de 75 milles, sans aucun obstacle quelconque pour les vaisseaux, même de fort tonnage, depuis l’embouchure de la rivière Blanche du côté ouest, et celle de la rivière des Quinze du côté est, à son extrémité supérieure, jusqu’à sa décharge dans le rapide du Long Sault, à son extrémité inférieure.

Ce lac, dont le nom signifie en langue indienne « eau profonde, » est le grand réservoir de l’Outaouais supérieur. Il reçoit les eaux de plus de dix-huit millions d’acres carrés. On le divise généralement en deux parties, réunies entre elles par une étroite passe que l’on appelle en anglais "The Narrows"; c’est là que se trouvent les deux établissements de la mission des Oblats et du fort de la compagnie de la Baie d’Hudson.

La partie supérieure, qui a bien plus que l’autre la physionomie proprement dite d’un lac, a une longueur d’environ vingt-quatre milles. Sa largeur, qui atteint de 6 à 8 milles, apparaît échancrée de baies et bordée de rivages qui saillissent çà et là, sous forme de promontoires hardis et de falaises plus ou moins escarpées et abruptes.

Les deux plus grands tributaires du lac, qui sont la rivière Montréal et la rivière Blanche, parcourent tous deux la côte occidentale, dans la province d’Ontario, tandis que la Kippewa et la Loutre coulent à l’est, dans la province de Québec.

La rivière Montréal, l’affluent le plus considérable en étendue et en volume, prend sa source à la ligne de partage des eaux, vers le 48° degré, court environ 60 milles vers l’est, 60 autres milles dans la direction du sud-est, et se décharge par plusieurs embouchures vers le milieu du lac, à 12 milles plus bas que la Mission.

De récentes explorations ont fait découvrir qu’il y avait, entre la ligne frontière des deux provinces d’Ontario et de Québec et la rivière Montréal, toute une contrée à peu près inconnue, qui ne renferme pas moins de mille milles carrés d’un sol avantageusement cultivable.

On y voyait naguère d’admirables forêts de pin, mais depuis 1866, des incendies répétés les ont presque entièrement détruites.

La rivière Blanche arrose une étendue de terre argileuse de près de 600 milles carrés, équivalent à douze cantons de 50 milles chacun en superficie ; c’est là la plus grande étendue de terre arable, en une seule section, de toutes les parties de la province d’Ontario non encore colonisées.

Cette rivière, qui tire son nom de la couleur trouble de ses eaux, est navigable jusqu’à 30 milles de son embouchure, à travers un pays plat dont le sol a été reconnu excellent, partout où l’on a poussé les explorations. Ce pays constitue le bassin proprement dit. Il n’a pas encore de délimitation bien précise ; mais on peut considérer en général son climat comme analogue à celui des bords du St. Laurent.

Ajoutons qu’il est couvert de vigoureuses forêts de bois dur, mais entièrement dépourvu de pin, à l’exception de quelques maigres futaies que l’on trouve sur les bords d’un lac d’où la rivière prend sa source, à la « hauteur des terres. » Mais là où la rivière débouche dans le Témiscamingue, près de la ligne frontière des deux provinces, le pin croît encore en abondance.

La rivière Blanche, dont l’embouchure forme un véritable delta, a une largeur moyenne de trois cent cinquante pieds et est navigable, même aux basses eaux de l’été, pour des vaisseaux d’une capacité moyenne. Au printemps, elle déborde et submerge les îles situées à son embouchure, et, durant tout l’été et l’automne, elle tient presque noyées sous ses eaux de vastes et riches prairies de foin naturel. Ce foin est la nourriture par excellence des chevaux et des quelques bêtes à cornes que les rares colons de l’endroit possèdent encore jusqu’à présent. Ils le coupent, de même que les Indiens, en août et en septembre, l’entassent sur les lieux, et, l’hiver venu, le transportent à leurs demeures respectives.

La rivière Blanche contient bon nombre de cascades et de rapides qui peuvent être utilisés comme d’excellents pouvoirs hydrauliques. La vitesse de son courant varie suivant les différentes époques de l’année : en juillet, elle atteint deux milles à l’heure tandis qu’en septembre, époque des basses eaux, elle ne dépasse pas un mille.

La rivière abonde en poissons d’espèces recherchées, telles que le brochet, l’anguille, le poisson blanc et le brocheton. L’orme, le bouleau, le frêne, l’épinette rouge, l’épinette blanche la plus belle de toute la province d’Ontario, le cèdre et jusqu’à l’érable et au chêne lui font des deux côtés une bordure de forêts où vivent et se multiplient, loin de la poursuite de l’homme, les orignaux et les caribous, ces fauves majestueux, élancés, rapides comme le vent, qui restent encore, après des chasses acharnées, les derniers grands hôtes de nos bois.

Le pays situé à l’est du lac, dans la province de Québec, forme une admirable série d’ondulations, sans montagnes, sans rochers, où croissent le pin blanc, l’épinette, le cèdre, le sapin, le tremble et le bouleau. Quelquefois aussi, à de rares intervalles, on y trouve des érables et des merisiers par groupes clairsemés et solitaires. Ces ondulations, qui s’étendent sur des centaines de milles, offrent le plus beau champ possible à la colonisation, outre que le climat y est moins rigoureux et plus uniforme que dans beaucoup d’endroits situés sur les bords du St. Laurent.



Il faut remarquer que la région du Témiscamingue est à peu près sous la même latitude que celle du lac St. Jean, et que plus on avance vers l’ouest, moins la rigueur du climat se fait sentir. Le printemps y arrive aussitôt qu’à Trois-Rivières, et l’automne finit aussi tard. Les fermes qui ont été ouvertes jusqu’à présent, sur les bords du lac, produisent toutes sortes de légumes et de céréales, et, à l’embouchure de la Loutre, les marais formés par les sédiments que charroie cette rivière donnent naissance à de superbes prairies de foin sauvage, semblables à celles qui se trouvent à l’embouchure de la rivière Blanche.

« C’est ici, disait le Père Paradis, un vaste pays de colonisation, renfermant non seulement quelques cantons, mais à vrai dire toute une province de bonne terre. Ordinairement, le touriste qui remonte d’Outaouais, voyageant depuis Pembroke entre des masses de granit, de gneiss de formation laurentienne ou huronienne, s’imagine qu’il ne doit y avoir qu’une succession non interrompue de montagnes bouleversées et de rochers dénudés jusqu’au pôle nord. En admirant les points de vue de Témiscamingue, dignes des Alpes et de la Suisse, il ne soupçonne pas qu’à un mille du rivage, quelquefois à cinq arpents, il se trouve un sol uni, aussi fertile, aussi facile aux travaux de la culture que celui des environs de Montréal. »

Du reste, en dehors de sa situation géographique, il ne faut pas oublier que le climat d’une contrée dépend de circonstances nombreuses qui, toutes, influent sur sa production. Un long été, par exemple, n’active pas plus la production et la maturité des végétaux qu’un été plus court, avec une atmosphère plus pure et plus brillante. Ainsi, les côtes de la mer, par tout le Dominion, où l’été est le plus long, demandent d’autant plus de temps pour la maturité des céréales qu’elles sentent moins les rayons du soleil et que l’atmosphère y est moins nette et moins claire. Au point de vue du climat, Gaspé et le Lac St. Jean sont aussi propres à la culture des grains que le Nord-Ouest. Pour le prouver, il suffit de dire que certaines plantes, qui demandent plus de temps pour mûrir que les grains, mûrissent très-bien autour des lacs St. Jean et Témiscamingue. Les gelées d’été n’y sont pas plus fréquentes que dans certaines parties d’Ontario. Du reste, ces gelées se produisent dans les bas-fonds et non dans les terrains bien exposés, et les plantes que l’on trouve jusque dans le voisinage de la Baie d’Hudson indiquent que le climat n’y est pas plus rigoureux que celui de Québec.

Le gouvernement de la province d’Ontario a tellement bien compris l’importance et la valeur d’une région comme celle du Témiscamingue que, depuis plusieurs années, il ne cesse de faire tous ses efforts pour y développer la colonisation. L’année dernière encore, il a fait délimiter et arpenter en partie huit cantons nouveaux à la tête du lac. Il avait agi jadis de la même manière à l’égard des vastes territoires connus respectivement sous les noms de Muskoka, de Parry Sound et de Nipissing. Avant l’adoption de « l’Acte des Terres Gratuites, » passé immédiatement après la Confédération, ces territoires n’étaient qu’une immense solitude ; aujourd’hui on y compte au-delà de cent cantons. À l’origine il ne s’y trouvait pas un seul habitant ; à l’heure actuelle, la population dépasse quarante mille âmes et elle envoie des représentants aux deux chambres, fédérale et provinciale.

Pour ouvrir et coloniser la région du Témiscamingue, les habitants de North Bay, (endroit situé sur le lac Nipissingue, où il n’y avait pas une âme il y a quatre ans, et qui en renferme aujourd’hui sept à huit cents) ont songé à la construction d’un chemin de fer.

Le 2 février dernier, ils se sont réunis en assemblée et ont adopté une série de « résolutions » engageant le gouvernement d’Ontario à construire une voie ferrée depuis North Bay, qui est sur le parcours du Pacifique canadien, jusqu’aux bords du lac Témiscamingue et, de là jusqu’à la baie James, laquelle forme l’extrémité inférieure de l’immense mer du nord appelée Baie d’Hudson.

Si ce projet reçoit son accomplissement, la région du Témiscamingue se trouvera avoir, dans un avenir prochain, deux voies de communication avec le chemin de fer du Pacifique, la route de Mattawa, moitié par chemin de fer et moitié par eau, et la route projetée par le chemin de fer de North Bay.


II


La sortie du lac Témiscamingue, en remontant l’Outaouais, s’opère par la rivière des Quinze, nom qui lui vient de quinze rapides en succession qui forment la majeure partie de son cours, et qu’elle a donné à son tour au lac si irrégulièrement et si singulièrement formé d’où elle s’échappe.

Le lac des Quinze, de même que le lac Témiscamingue, n’est autre chose, on le sait, qu’un élargissement de l’Outaouais. Il en est ainsi du vaste lac Migizowaja situé plus haut, d’où, en remontant toujours l’Outaouais, après avoir fait portage le long de plusieurs rapides, on arrive à la branche sud-est de la rivière Abittibi, un peu en-deçà du 48° degré de latitude. C’est de ce dernier point qu’on se met en route pour les grands lacs Abittibi qui se trouvent à peu près au tiers du chemin entre le lac Nipissingue et la baie James.

Cette route pénible, fastidieuse, interceptée par des marais et des savanes, qui se fait, tantôt à travers de grandes étendues de forêts, tantôt le long des cours d’eau coupés de rapides qui servent de traits d’union entre les différents lacs, n’est guère connue encore de nos jours et n’a guère été suivie que par les missionnaires et les indiens chasseurs.

En ligne droite, on compte, entre le lac Témiscamingue et les lacs Abittibi, environ 80 milles, à travers un pays légèrement montueux et en général ondulé, dans lequel de nombreux petits lacs, semés de tous côtés, partagés eux-mêmes en autant de chenaux différents par les îlots qu’ils renferment, constituent de véritables labyrinthes.

La plus grande partie de cette région a passé au feu et est couverte d’une deuxième pousse.

Le sous-sol est formé d’argile bleue étendue d’une couche plus ou moins épaisse de terre végétale. Au reste, toute cette immense contrée qui s’étend au nord-ouest de notre province, jusqu’au 50e degré de latitude, et, de là, sur tout le nord de la province d’Ontario, jusqu’au lac Supérieur, embrassant près de trois degrés de latitude et une profondeur de plus de deux cents milles, est caractérisée par la formation argileuse inférieure, indice d’une terre fertile, qui est restée seule intacte, alors que les feux de forêts avaient brûlé et desséché tout le sol qui la recouvrait. C’est grâce à elle si tout ce vaste pays n’a pas été complètement stérilisé, et si, toutes les fois qu’on y a fait des essais partiels de culture, les résultats obtenus ont émerveillé ceux qui croyaient toute culture impossible au-delà d’une latitude déterminée.

Ce que l’on redoute le plus, ce sont les gelées, et l’on croit que les gelées suivent un développement graduel et régulier, au fur et à mesure qu’on avance vers le nord. Mais les gelées dépendent en grande partie de la nature du terrain, et les terrains argileux y sont plus exposés que les autres, parce qu’ils sont froids et humides ; mais aussi, l’on peut les y combattre plus aisément par le drainage. C’est ainsi qu’on a combattu les gelées qui étaient très fréquentes dans les grands comtés de Grey et de Wellington, à l’origine de ces établissements, et maintenant elles ne sont plus à redouter. Il en sera ainsi dans toute la contrée qui s’étend au nord des lacs Nipissingue, Témiscamingue et Abittibi, jusqu’à la baie James elle-même. Toutes les récentes explorations s’accordent à reconnaître l’excellence de ce pays dont on compare le climat à celui-là même des environs de Montréal ; et, quant à sa richesse forestière, elle doit être énorme, puisque l’exploitation ne s’y est pas encore exercée.



Dans le pays qu’arrosent les tributaires de la Baie d’Hudson et que la province d’Ontario réclame, on voit d’immenses forêts d’épinette, de tamarac et de bouleau. Sans doute, avant longtemps, le chemin de fer en apportera des quantités considérables qui auront été tirées principalement de la région appelée « le plateau argileux du nord, » où l’on voit fréquemment de la terre arable d’excellente qualité et où l’on trouve en outre des dépôts de houille, dans le bassin inférieur de la rivière Moose.

Quant au pays situé entre la limite nord de la province de Québec et la Baie d’Hudson, quoique le pin y pousse notamment jusqu’à vingt milles au-delà de la limite, vers les portages qui aboutissent au lac Abbittibi, il renferme bien moins de bois de commerce ou de terre propre à la culture. On attribue ce fait, comme on en a fait récemment la découverte, à ce que les belles forêts qui bordent les rivières, principalement au nord du lac Abbittibi, ont souvent moins d’un mille de profondeur, et qu’au-delà tout le terrain est couvert de tourbières d’une grande épaisseur, l’humidité du climat y étant très favorable au développement des plantes, dont la décomposition, à mesure qu’elle s’effectue, produit les tourbières et en épaissit graduellement les couches. L’énorme quantité de combustible qu’elles accumulent peut donner à ces tourbières une valeur incalculable, d’autant plus que ce combustible se vendrait aisément dans nos villes à des prix modérés, pour l’usage domestique ou pour de nombreux travaux industriels ; d’autre part, le sol qui s’étend au-dessous de ces tourbières, étant naturellement rétentif et résistant, donnerait en outre, aussitôt mis à découvert, de fortes récoltes de foin et d’avoine, d’orge et de sarrasin, à l’instar du sol que l’on a affranchi des tourbières de « Blair-Drummond » en Écosse, et ailleurs.

Mais la quantité de bois que cette région pourra produire, à quelque période future que ce soit, sera toujours bien moins considérable que celle que donnera le territoire réclamé par la province d’Ontario.[1]

On trouve le pin blanc et surtout le pin rouge disséminés sur toute la surface du sol entre le Témiscamingue et les lacs Abittiti. De même, l’épinette blanche, le merisier et le cèdre y sont en assez grande quantité et de bonne dimension. L’érable, ainsi que la plaine, se voient encore à la tête du lac Témiscamingue, mais ne dépassent pas cette limite.

L’arbre le plus abondant de cette région, au nord de la limite de l’érable, c’est le tremble, suivi de près par le bouleau, l’épinette et le baumier du Canada. On trouve encore, mais rarement, l’orme et le frêne dans les bas-fonds qui s’étendent jusqu’aux lacs Abittiti.

Ces lacs, auxquels on a donné respectivement les noms de lac « supérieur » et de lac « inférieur, » n’en sont à proprement parler qu’un seul dont les deux sections sont reliées entre elles par une étroite passe.

Le lac Abittibi, dirons nous, pour être plus court, s’étend de l’est à l’ouest, au nord du 48° parallèle, sur une longueur de 55 milles et une largeur variant de cinq à quinze milles. C’est un lac peu profond et boueux, rempli d’îles et entouré de vastes marais où s’abattent en passant d’innombrables volées d’outardes, dans leurs migrations de l’automne vers le sud.

Le caractère physique et géologique de cette contrée est à peu près le même sur toute sa surface. Partout pays de montagnes ne s’élevant qu’à une faible hauteur, terrain ondulé, formation granitique et roches éruptives ; mais les étendues de terre arable sont considérables. À mesure qu’on avance vers le nord, le sol renferme de plus en plus d’éléments productifs. En certains endroits, la terre végétale, qui recouvre le fonds uniforme d’argile bleue, atteint jusqu’à une épaisseur de trois à cinq pieds, comme on peut le voir à 150 milles même au-delà du Témiscamingue, sous le 50° degré de latitude.

À l’extrémité ouest du lac débouche la rivière Abittibi qui a une largeur moyenne de trois arpents, un courant très vif, des chutes et de nombreux rapides qui nécessitent autant de portages. De chaque côté de la rivière sont les territoires de chasse des Indiens, autour des petits lacs et le long des petits cours d’eau. Pour se reconnaître, se guider eux-mêmes et guider d’autres chasseurs qui viendront après eux, les Indiens ont imaginé une sorte de sténographie imagée et très sommaire, représentant des animaux dans différentes attitudes, qu’ils dessinent sur des écorces de bouleau fixées à des bois plantés en terre. Ces caractères sauvages sont parfois très ingénieux, et même assez compliqués pour que les missionnaires du nord croient nécessaire de les enseigner aux petits Peaux-Rouges qui vont aux écoles établies dans les différents postes de la compagnie de la Baie d’Hudson.

L’embouchure de la rivière des Quinze est à 612 pieds au-dessus du niveau du fleuve, à Trois-Rivières, et celle de la Mattawan, située 120 milles plus bas, est à 520 pieds au-dessus de ce même niveau. Il y a donc, entre la tête du lac Témiscamingue et la Mattawan, une descente de 92 pieds qui s’effectue par les rapides du Long Saut, de la Montagne, des Érables et de la Cave.

Les eaux du lac, très hautes au printemps, baissent graduellement de huit à dix pieds jusqu’au mois de septembre, et les pluies d’automne n’augmentent guère leur volume. D’après M. Proudfoot, géomètre d’Ontario, le niveau du Témiscamingue s’est élevé de trois pieds dans le cours des quatorze dernières années. « Certains endroits de la rive, dit-il, où naguère on coupait le foin, sont aujourd’hui submergés, du commencement à la fin de la belle saison. Comme je ne saurais témoigner de la valeur scientifique des raisons qu’on m’a données de ce fait sur les lieux, je m’abstiens de les consigner dans mon rapport. »

« L’Éden » du Témiscamingue, comme disait le Père Paradis, c’est sa partie supérieure, là où débouchent la rivière Blanche et la rivière des Quinze, celle-ci entre des rivages aux molles et fléchissantes ondulations, chargés des sucs les plus généreux de la terre et offrant aux colons les plus riants et les plus attrayants aspects. L’autre, comme l’eau qui s’échappe d’une urne trop pleine, coule à travers des prairies à moitié submergées, lourdes de leurs grasses couches d’alluvion et flottant, pour ainsi dire, comme des champs d’algues que le flot de la mer recouvre et redresse tour à tour, dans un mouvement uniforme et cadencé.

Ah ! la belle et luxuriante terre promise aux colons de l’avenir, et comme on songe en la contemplant, avec une amère et douloureuse mélancolie, à toute


FERME DANS LES BOIS SUR LES BORDS DE LA RIVIÈRE BLANCHE.

cette vaillante et vigoureuse jeunesse canadienne qui

déserte ses foyers et s’en va consumer sa force dans les fabriques américaines ! Comme on déplore de ne pas la voir venir ici plutôt se déployer en liberté et conquérir en peu d’années, avec peu de labeur, cette aisance heureuse et cette plénitude bénie de toutes les choses nécessaires qui fait les peuples contents de leur sort autant que modestes dans leurs désirs, peuples laborieux, honnêtes, capables de soutenir les plus rudes épreuves aux jours fatals, parce qu’ils ont conservé toute leur vigueur, parce que rien n’a altéré leur sève ni les sources vitales de l’énergie, ni cette abondance de jeunesse qui accompagne jusque dans la maturité les peuples bien formés et bien constitués !

De quelque côté qu’on tourne les regards, sur les profondes et fertiles étendues que baigne le Témiscamingue, dès qu’il commence à écarter au loin ses rives et à s’élargir en liberté, au sortir de l’étroit et tumultueux cours de la rivière des Quinze, on ne voit nulle part de montagnes, ni de brusques saillies du sol, ni de reliefs fortement accentués, mais une longue ondulation de prairies alternant avec des coteaux délicatement esquissés, surmontés au loin par des plateaux qui étendent leur large surface jusqu’aux dernières limites de l’horizon.


III

Lorsqu’en remontant le Témiscamingue, on arrive à la rivière des Quinze, on longe la réserve des Indiens, territoire fédéral où un groupe de l’ancienne tribu des Algonquins possède un petit village et cultive une étendue de terre déterminée, appelée « Réserve, » que le gouvernement a fait diviser en lopins pour chaque famille d’Indien séparément.

La dimension de la Réserve est d’environ 38,400 acres. C’est là, exactement, un peu au-dessus de la rivière Blanche, par 47°37½′ de latitude nord, que se trouve la ligne frontière entre les deux provinces de Québec et d’Ontario.

Sur un parcours de plus de quatre milles, depuis son embouchure jusqu’au premier rapide qui l’intercepte, la rivière des Quinze est non seulement navigable, mais encore tellement profonde qu’un grand bateau à vapeur peut suivre sa marche en se tenant à quelques pieds seulement du rivage. De chaque côté, le terrain, diversement et gracieusement accidenté, présente un aspect des plus pittoresques qui rappelle, à s’y méprendre, le ravissant paysage de l’embouchure de la Mistassini, au Lac Saint-Jean.

À sa droite, on a la rive orientale où croît une forêt luxuriante et où se dressent lentement des coteaux portant un sol végétal rempli de promesses. À gauche se trouve la « réserve des Indiens, » où s’élève sur une petite hauteur, tout près de la rive, l’école sauvage destinée à donner les premiers rudiments de l’éducation à ces grossiers enfants de la nature.

C’est au moins un spectacle peu commun et des plus piquants, à coup sûr, que cette école de sauvages fondée par des blancs là où les blancs ont encore à peine pénétré. Aux confins déserts d’une province immense, dont pas même la centième partie n’est habitée, au-delà d’une région à peu près inconnue, où quelques rares colons ont dressé à la hâte un abri précaire, au-delà de l’immensité en apparence infranchissable des forêts, des lacs, des vallées mystérieuses et des plateaux à perte de vue, au-delà des plus lointaines retraites, inaccessibles jusqu’ici à toute communication, à tout contact du dehors et à toute civilisation, on découvre !… alors que le voyageur perdu dans sa pensée, cherche le secret de ces étranges courants qui portent et disséminent les hommes sur tous les points du globe, on découvre une école de sauvages organisée, agissante, bien réelle, de véritables petits Peaux-Rouges qui s’y rendent tous les jours, qui s’y tiennent assis sur des bancs des heures entières, et qui écoutent un maître leur enseignant à trouver un sens dans des signes tracés les uns à côté des autres sur une ardoise, et à former eux-mêmes d’autres sens avec d’autres signes, sans le secours de la parole ou du geste !

C’est là le prodige, c’est là le triomphe de l’enseignement chez ces natures primitives, grossières, inaccessibles à toute idée abstraite, incapables de voir dans les signes autre chose que l’image exacte, que la représentation rigoureuse de ce que l’on veut exprimer. Des signes, qui ne sont que de convention, dépassent l’intelligence commune des Indiens, lesquels ne comprennent absolument que ce qui tombe sous les sens. La sphère de leurs idées étant très étroite, bornée à ce qui les entoure immédiatement, sans qu’ils puissent rien soupçonner au-delà, il en résulte que leur langue est nécessairement peu étendue, et cependant elle est très riche, très imagée, tellement susceptible, dans son état rudimentaire, de recevoir toutes les empreintes, qu’on peut lui trouver des mots pour exprimer jusqu’aux plus subtiles nuances des choses.

Dans un voyage qu’il a fait l’année dernière, l’auteur de ce livre a visité l’école sauvage du lac Témiscamingue. Il y a trouvé vingt et un élèves, dont la plupart pouvaient lire et dont plusieurs écrivaient passablement. Il a été surpris de leur prononciation, d’autant plus qu’ils ne parlent que leur langue et ne lisent que machinalement l’anglais, sans rien comprendre aux mots qu’ils énoncent. On ne songe donc pas à leur faire de questions inutiles, et l’on se demanderait quel peut être le résultat d’un enseignement aussi forcément limité, si l’on ne savait que l’école est le meilleur instrument de civilisation, et que le seul fait de réunir les enfants, pour des exercices et dans un effort communs, est le premier et le plus sûr moyen de les habituer à l’idée d’une vie sociale qui soit plus que le simple groupement des individus.

C’est depuis une couple d’années tout au plus que les commerçants de bois ont poussé leurs bandes destructives jusqu’au pays des Quinze. Avant 1885, ils n’avaient guère dépassé la région du lac Kippewa ; aujourd’hui leurs concessions de coupe s’étendent jusqu’au voisinage de la ligne de partage des eaux. Même, afin d’éviter les rapides des Quinze, où les billots sont exposés à beaucoup de difficultés et d’entraves, on parle de pratiquer un canal, en s’aidant du cours de quelque rivière, depuis la tête des Quinze jusqu’au lac Témiscamingue. Il paraît de plus que des arpenteurs du gouvernement sont allés explorer le terrain dans ce but.

Ce qui est certain, c’est qu’avant longtemps l’exploitation forestière se pratiquera surtout dans la région des Quinze, de sorte que l’embouchure de cette rivière deviendra un poste des plus avantageux et de la plus grande importance.


IV


Lorsqu’après être parvenu à la hauteur du lac Témiscamingue, on veut rebrousser chemin et descendre l’Outaouais, on passe devant la « réserve des Indiens », puis devant l’embouchure de la rivière Blanche, en suivant un chenal étroit et peu profond, le long des prairies à fleur d’eau. On laisse à sa droite la pointe Wabee, riche en pierre à chaux de la plus belle qualité ; on dépasse à gauche l’embouchure de la Loutre et l’île de M. Bonaparte Wyse, à laquelle on a donné le nom de Sainte-Hélène ; on longe les emplacements que se sont réservés sur le bord du lac les actionnaires de la future colonie française, et l’instant d’après, on est tout surpris de voir le bateau accoster doucement le long d’un petit quai naturel, formé de roches de granit qui semblent s’être placées les unes à côté des autres avec une symétrie préméditée. Au bout de ce quai, l’on descend sur une espèce d’appontement, en forme de chevalet, qui a été installé pour faciliter le débarquement des voyageurs, depuis qu’un bateau à vapeur parcourt le Témiscamingue.

Tout le paysage, depuis le rapide des Quinze, n’a fait que glisser comme un rêve sous les yeux, et le voyageur se trouve déposé sur une petite pointe de rochers granitiques qui s’avance d’une centaine de pieds tout au plus dans le lac, et, devant lui, flotte et se déploie au loin un orbe de forêts et de coteaux aux nuances mobiles, vaste panorama d’une grâce de contour exquise et d’une majestueuse harmonie.

C’est ici la fameuse Pointe Piché, fameuse parmi les chasseurs et les Indiens, à cause de l’homme qui lui a donné son nom, le père Piché, type le plus parfait de ces traiteurs d’autrefois qui s’aventuraient seuls jusqu’aux dernières limites habitables du nord, et y vivaient seuls, des années entières, sans communion possible avec leurs semblables et n’ayant de rapports, deux fois l’an, qu’avec les Indiens en route pour les différents pays de chasse, ou à leur retour, aux premiers jours du printemps.

Mais le père Piché, lui, n’était pas seul, contrairement à l’antique usage. Il avait une femme pour remplir les longues et accablantes heures de la solitude. Petit à petit les enfants, augmentant en nombre et grandissant tour à tour, avaient formé une famille qui était tout un petit monde dans le désert. L’ancienne chaumière, qui n’avait été d’abord qu’un abri contre les rigueurs des saisons, s’était transformée insensiblement en une demeure de campagne semblable à celles des bords du St. Laurent, grande, bien divisée, bien aménagée, confortable, offrant toutes les images et toutes les ressources de la civilisation.

Relativement enrichi par son commerce de fourrures avec les Indiens, le père Piché avait réussi à faire donner une éducation complète et parfaite à quatre de ses filles, dont les deux dernières, qui habitent seules aujourd’hui le toit paternel, en charment et en anoblissent l’intérieur, encore quelque peu rude, par l’hospitalité affable, la courtoisie digne qu’elles exercent envers l’étranger, et par une distinction de manières, une sûreté et une élégance de langage qu’on ne rencontre que dans la meilleure société des villes.

Voilà plus de vingt ans que le père Piché habite sa pointe et qu’il y fait avec les Indiens le commerce de fourrures, en opposition à la compagnie de la Baie d’Hudson qui avait autrefois le privilége exclusif de la traite. Son magasin, rempli d’effets, de vêtements et de provisions qu’il trafique contre des peaux, est une espèce de hutte noire, à moitié ensevelie, dont on ne voit guère que le toit hors de terre, et, dans le pignon, une porte solidement cadenassée.

C’est dans ce « réduit obscur et ténébreux » que le père Piché a amassé laborieusement une honnête fortune qui lui a permis de s’entourer de tout le luxe que comporte un séjour loin des hommes et de toutes les commodités de la vie. Ces commodités, il a réussi à se les donner en assez bon nombre, sur place, par la culture et grâce aux talents domestiques de sa femme et de ses filles. À ces dernières seules est dévolu le soin du jardin spacieux qui s’étend en arrière de la maison et qui renferme une variété surprenante de légumes, de fruits, de plantes et de fleurs. Nous y avons vu, un peu après la mi-juillet, des melons à la veille de mûrir, des citrouilles en abondance, des oignons, des pavots de huit pieds de hauteur, des pruniers sauvages, des groseillers d’une très belle venue, des cerisiers à grappes, des pommiers, des rosiers chargés de roses, des pensées, des lys de Pennsylvanie, plusieurs variétés de fèves, et enfin, sans que nous voulions faire ici une énumération qui aurait l’air d’un tableau, de vigoureux plants de maïs, des tomates, et jusqu’à des citronnelles, fruit qui mûrit difficilement même sous des latitudes plus favorables que celle du haut Outaouais.

Au-delà du jardin on peut voir encore un beau champ de pommes de terre, et tout près, broutant l’herbe des enclos, les seules bêtes à cornes qu’il y ait encore dans toute la partie supérieure du Témiscamingue. Quelle admirable terre à pâturages, pourtant, que cette région si bien arrosée, si bien découpée, et comme il faudra peu de temps aux colons qui commencent seulement à pénétrer dans le canton Guigues, pour découvrir les sources de profit qu’ils pourront tirer de l’élevage des bestiaux et des industries variées qui en découlent !

Aujourd’hui, ce n’est pas seulement le bétail qui manque dans cette partie de la province, mais encore les colons eux-mêmes, lesquels s’y jetteraient par centaines, si, par hasard, on leur donnait des chemins. À l’heure actuelle, c’est à peine si l’arpentage même du canton est complété. Il est difficile de comprendre avec quelle lenteur traditionelle on procède là, comme ailleurs, à cette opération indispensable qui doit précéder les défrichements, opération sans laquelle ils sont impossibles, sans laquelle, du moins, les colons sont exposés à toutes sortes de déboires, de troubles dans leur possession et de conflits que font naître les moindres prétextes, les moindres exigences, inattendues et intempestives.


V


Le gouvernement d’Ontario a fait arpenter, l’année dernière, huit cantons à la fois dans le haut Témiscamingue, avant même qu’il y eût un seul défrichement d’effectué, mais uniquement dans la prévision que les défrichements ne tarderaient pas à suivre de près les arpentages. Nous, fidèles aux habitudes routinières et processives qui ont été de tout temps le caractère distinctif de nos opérations, nous laissons la colonisation se faire au hasard, et faute de mesures préliminaires qui, dans bien des cas, peuvent devenir des mesures préventives, nous laissons les difficultés se préparer tranquillement sous nos yeux et s’entasser jusqu’au jour où elles deviendront irrémédiables ou insolubles.

Faute de chemins, les quelques colons établis aujourd’hui dans l’intérieur du canton Guigues sont obligés de payer de quatre à cinq dollars pour faire transporter à dos d’homme un baril de farine jusqu’à leurs lots respectifs. Comment veut-on que la colonisation progresse dans des conditions semblables, et combien sont justes les reproches d’imprévoyance et d’inertie qu’on a pu adresser de temps à autre à toutes les administrations antérieures à celle d’aujourd’hui !

Quelques milles plus bas que la Pointe Piché, à peu près à la ligne d’intersection des cantons Guigues et Duhamel, le bateau arrête à un endroit connu sous le nom de « Mine d’Argent de Wright. »

Cette mine, quelque dénomination toute moderne qu’on lui ait donnée, n’en est pas moins très anciennement connue. Sous le régime antérieur à la conquête, des géographes et des géomètres français avaient pénétré à peu près partout, jusqu’aux dernières limites du vaste territoire connu sous le nom de « Nouvelle-France. » Ainsi, dès 1733, un arpenteur français, du nom de Normandin, s’était rendu jusqu’à deux cents milles au nord-ouest du lac Saint-Jean, plus loin qu’aucun arpenteur moderne ne l’a fait encore, et avait dressé de toute cette région la carte la plus fidèle et la plus détaillée que nous possédions encore aujourd’hui. Bien avant lui, en 1688, Jean-Baptiste Louis Franquelin, hydrographe du roi, avait exploré tout l’Outaouais supérieur ; il avait reconnu la même mine qui porte aujourd’hui le nom de Wright, et avait donné à l’endroit où elle se trouve le nom « d’Ance de la Mine. » C’est ce que nous avons pu constater d’après un exemplaire unique, conservé au ministère des Terres, d’une carte dressée par lui et dont nous donnons immédiatement ci-dessous le fac-simile :

Carte de l’Amérique Septentrionale, depuis le 25e jusqu’au 65e degré de latitude environ.

140° et 235° de longitude.

Contenant les pays de Canada, Nouvelle-France, la Louisiane, la Floride, Virginie, Nouvelle Suède, Nouvelle York, Nouvelle Angleterre, Acadie, Isle de Terreneuve.

Le Tout très fidèlement dressé, conformément aux observations que l’auteur en a faites lui-même, pendant plus de seize années, par ordre des gouverneurs et Intendants du Pays, pour le service du Roy, et pour leur instruction particulière ; et suivant les Mémoires et Relations qu’il a eu soin de recueillir, exactement par le même ordre et pendant le même temps, de tous les Voyageurs les plus entendus qu’il a consultez, et confrontez avec une application toute particulière :

En l’année 1688, par

Jean-Baptiste, Louis Franquelin,
Hydrographe du Roy,
À Québec en Canada. »


La « Mine d’argent » est aujourd’hui la propriété[2] collective de MM. Wright, Goodwin et Brophy, d’Ottawa. On la dit remarquablement riche ; mais, jusqu’à présent, elle n’a été que faiblement exploitée, malgré différentes tentatives réitérées de temps à autre pour le faire dans des conditions lucratives. Nous croyons que les circonstances n’ont pas encore été assez favorables, et que les propriétaires attendent que la population et les communications se soient développées suffisamment pour les rendre telles.

En face de « l’Ance de la Mine, » de l’autre côté du lac, dans la province d’Ontario, s’étend une des plus admirables régions agricoles du Canada. Généralement, du côté de la province de Québec, le littoral du lac, sur une profondeur variant de deux à trois milles, est brisé et montagneux ; les coteaux et les vallées ne commencent qu’au-delà de cette barrière qui a donné si longtemps au pays toutes les apparences de la stérilité. Mais, du côté d’Ontario, le sol commence à être cultivable, même à partir du rivage. C’est ici, croit-on, que devra aboutir la ligne de chemin de fer de North Bay au Témiscamingue. La moitié supérieure de la rivière de Montréal arrose toute la contrée d’alentour et a servi jusqu’ici de seul moyen de communication aux « bourgeois de chantier » et à leurs « engagés, » moyen lent et communication pénible, mais grâce au nouveau chemin de fer, on sera transporté en quelques heures seulement sur les bords du lac, en face de la partie qui sera peut-être la plus importante dans un avenir prochain.

Cette section du lac gèle de bonne heure et la glace y est toujours bonne, en sorte que les colons de Guignes et de Duhamel pourront se rendre aisément, l’hiver, au chemin de fer de North Bay, en attendant qu’ils aient le leur, à travers le comté de Pontiac, tandis qu’à Opémikan, huit milles plus bas que le Long Sault, où l’on parle également de faire aboutir la ligne nouvelle, le lac est plein de courants ; la rivière Kippewa, débouchant violemment dans les environs, empêche la glace de se former assez tôt et assez solidement, et les colons courraient grand risque de ne pouvoir se rendre au chemin de fer la plupart du temps, ce qui aurait probablement pour effet de déplacer la colonisation trop largement au profit de la province d’Ontario.

Voici maintenant l’île Brûlée, qui renferme en abondance de la pierre à chaux. Les Indiens, employés au travail de l’extraction par le Père Fafard, économe de la Mission des Oblats, la détachent avec le pic et la préparent sur les lieux. Elle est ensuite vendue aux colons qui la font transporter à bord du bateau à vapeur, la Minerve.

En ligne avec l’île Brûlée se présentent, un peu plus bas, la Grande Île, puis l’île des Sœurs, et enfin la Pointe au Vin, qui forme l’extrémité occidentale de la Baie des Pères, centre de tout le pays de Témiscamingue, future ville et poste assez important pour avoir déjà conquis une véritable célébrité.

  1. Nous n’avons que des notions très rudimentaires sur la contrée à l’est du lac Abittibi, et sur la vallée de la rivière Hurricanaw dont les sources prennent naissance au-dessous du 48e parallèle, à moins de dix milles au nord du lac Victoria. Il serait fort à désirer qu’une exploration fût faite du cours de cette rivière et de la vallée qu’elle arrose, puisque ce cours commence à vingt milles au sud de celui de l’Abittibi où l’on a trouvé en abondance de belles forêts de pin. On pourrait aussi peut-être exploiter le cuivre, M. Richardson, de la Commission Géologique, y ayant découvert un gisement de ce minerai, dans la partie est de la région.
  2. Nous ferons remarquer ici que Franquelin emploie l’ortographe originale « ou » dans tous les mots où l’usage moderne, tiré de l’anglais, a presque généralement substitué le double v. Ainsi il écrit « Outaoua » et non pas Ottawa, Mataouan au lieu de Matawan… et ainsi de suite.