Chez George Fricx (Tome Ip. iii-lxxxiv).


PREFACE.


Division de cette Préface en cinq Articles.



Tous les Lecteurs n’étant pas à portée d’entendre le titre d’Orthopédie, qui fait l’annonce de ce Livre, je commencerai d’abord par l’expliquer ; pour rendre compte ensuite, du Livre dont il s’agit, mais premierement de deux Ouvrages qui ont été donnés sur une matiere approchante de celle que je traite, quoique fort différente ; le premier en 1584. par Scévole de Sainte-Marthe ; & le second en 1656. par Claude Quillet. Tel sera le sujet de cette Préface, que je terminerai par quelques Additions, qui me paroissent convenir pour une plus grande exactitude, ce qui fera, en tout cinq articles.


I

Explication du titre d’Orthopédie.


Quant au titre en question, je l’ai formé de deux mots grecs, sçavoir, d’Orthos qui veut dire droit, exempt de difformité, qui est selon la rectitude, & de Paidion, qui signifie Enfant. J’ai composé de deux mots, celui d’Orthopédie, pour exprimer en un seul terme, le dessein que je me propose, qui est d’enseigner divers moyens de prévenir & de corriger dans les enfans les difformités du corps. L’expression m’a paru d’autant plus permise, que les deux célébres Auteurs que je viens de citer, en ont employé de semblables ; le premier en donnant le titre de Pédotrophie à un Traité sur la maniere de nourrir les Enfans la mammelle ; & le second, celui de Callipedie à un Traité sur les moyens d’avoir de beaux Enfans. Deux titres qui sont tirés tout de même, du grec : le premier de Pais Enfant, & de Trophe nourriture ; & le second de Kalos Beau, & de Paidion Enfant.


II.


Je ne puis dans une occasion comme celle-ci, vû l’affinité de la matiere, me dispenser d’exposer ce qe c’est que ces deux Ouvrages, d’autant moins qu’aucun Auteur, que je sçache, ne m’a prévenu là-dessus : M. le Président Cousin, en parlant du Livre de Scévole de Sainte-Marthe dans le Journal des Sçavans année 1699. se contente de dire que si l’on vouloit recueillir les éloges donnés à Scévole de Sainte-Marthe, on en feroit un volume : Que Baif, Joseph Scaliger, Juste Lipse, Casaubon, Daurat, Rapin & Pasquier y ont travaillé ; Que M. Perrault l’un des quarante de l’Académie françoise, les a recüeillis dans son premier Volume des Hommes illustres, où il n’oublie rien des rares qualités de ce grand homme, de ses Charges & de ses Emplois ; Que ses principaux Ouvrages furent les éloges des Hommes illustres, & la maniere de nourrir les Enfans ; que ce dernier fut imprimé dix fois pendant la vie de l’Auteur, & autant de fois après sa mort ; Que les grandes maladies ausquelles un de ses fils se trouva sujet, dès le temps qu’il étoit encore en nourrice, lui donnerent occasion de le composer ; Que les plus habiles Medecins appellés pour secourir cet Enfant, ayant desesperé de sa guérison, le Pere rechercha lui-même les secrets les plus cachés de la nature, & s’en servit avec succès, pour arracher son Fils d’entre les bras de la mort ; Que prié par ses amis de communiquer au Public des recherches si curieuses, il les renferma dans cet Ouvrage, & le dédia à Henry III. Que l’Ouvrage fut lû dans les plus célèbres Universités de l’Europe avec la même vénération que les Ouvrages des Anciens ; Qu’il fut traduit en plusieurs langues & même en vers françois. Que Scévole de Sainte-Marthe reçut ordre d’Henry III. de le traduire en prose françoise ; mais que les grandes affaires dont l’Auteur fut chargé, l’empêcherent de s’acquitter de ce devoir, dont M. de Sainte-Marthe, Doyen de la Cour des Aydes, s’est depuis acquitté. Voilà tout ce que M. le Président Cousin dit du Livre en question dans le Journal des Sçavans 1699. 5. Juin ; Ce qui, comme on voit, ne donne aucune notion de l’Ouvrage.

M. Perrault de l’Académie françoise, cité par M. Cousin, ne dit rien de plus du Livre de la Pédotrophie, que ce qu’en rapporte M. Cousin.

Ce Livre est un excellent Poëme latin intitulé : Pædotrophia, seu de puerorum nutritione Libri III. C’est-à-dire de la maniere d’élever & de nourrir les petits Enfans.

A la tête de la Traduction qui en été faite, est un avertissement, où le Traducteur se borne à dire les mêmes choses que nous venons de rapporter d’après M. Cousin, & d’après M. Perrault.

Quant à la Callipédie de Claude Quillet, qui est un autre Poëme latin, non moins excellent, je ne sçache pas qu’il en ait été parlé non plus dans aucun Journal, ni ailleurs. Ainsi je ne sçaurois, vû, comme j’ai dit, l’affinité de la matiere, me dispenser de donner un exposé de ce que c’est que ces deux Ouvrages, après quoi je viendrai au plan que je me propose dans cette Orthopédie.


Ce que c’est que la Pedotrophie de Ste-Marthe.


Scevole de Sainte-Marthe dédie son Livre, au Roy Henry III. & lui dit dans son Epître dédicatoire, qui est en françois, que le sujet de son Poëme est la maniere de nourrir les Enfans à la mammelle, & de préserver ces jeunes & tendres plantes contre une infinité d’orages & de tempêtes qui les menacent, & souvent les font périr même en leur naissance. Il ajoûte que dans le desir de rendre cet Ouvrage utile à tous les Sujets du Roy, il a résolu de le leur communiquer dans peu en langue françoise, si c’est chose agréable à Sa Majesté.

Cette Epître dédicatoire est datée de l’an 1584. à Fontaine-bleau, & l’Ouvrage a été traduit en françois six vingt ans après la mort de l’Auteur ; cette Traduction est de son petit-fils, Abel de Saint-Marthe, comme le marque le Privilege accordé à la Traduction pour être imprimée, lequel Privilege est daté de l’an 1698. qui est la cinquante-sixiéme du Regne de Louis XIV.

Scévole de Sainte-Marthe commence son Ouvrage par l’invocation des Muses, & par celle d’Apollon ; puis il s’adresse à Henry III. & s’engage à chanter les Exploits de ce Prince. L’Epouse de Scevole de Sainte-Marthe vient ensuite sur les rangs, & Scevole l’exhorte à ne rien omettre pour conserver les enfans que Dieu a accordés à leur mariage. Il lui recommande d’abord d’honorer Dieu, & de suivre le conseil de ce Philosophe, quel qu’il soit, dit-il, qui veut que les meres, allaitent elles-mêmes leurs enfans ; il s’étend fort sur cet article.

Il passe de-là aux soins que les femmes enceintes sont d’abord obligées de se donner pour conserver dans leur sein les enfans qu’elles doivent mettre au jour, & pour accoucher ensuite heureusement. Il leur donne sur ce sujet divers préceptes que voici.

Le premier, de n’être point trop serrées dans leurs habits, de peur d’incommoder les enfans qu’elles portent.

Le second, de régler leurs passions, & d’éviter de se livrer à la tristesse, à la crainte, & à trop grande joye.

Le troisiéme, de faire succéder le repos au travail, & le travail au repos.

Le quatriéme, de fuir toutes les danses.

Le cinquiéme, d’user le moins qu’il est possible des droits d’Epouses.

Le sixiéme, de faire un bon choix des alimens ; de préférer à toute autre viande, le pigeon & la tourterelle, la perdrix, le chapon, le phaisan, le veau, le chevreau ; & si elles aiment le poisson, de manger plûtôt de celui qui se prend dans les eaux sablonneuses, parmi les rochers, ou qui vient de la mer ; d’éviter, au reste, tout ce qui est salé ou trop crud.

Le septiéme, de boire de l’eau, mêlée d’un peu de vin.

Le huitiéme, de se faire violence sur certains appetits bisarres pour choses qui ne sont point propres à la nourriture de l’homme, telles que les fruits verds, & surtout le plâtre, la cendre & autres semblables ; mais de corriger ces sortes d’appétits, en mangeant des capres, des olives & des grenades ; ces fruits étant très-propres pour nétoyer l’estomac, & en enlever une pituite âcre qui cause aux femmes grosses tous ces goûts absurdes.

Après ces avis, il tâche d’expliquer ce que c’est que les marques qui paroissent sur la peau des enfans, en vertu, comme on le prétend, de certaines imaginations de leurs meres enceintes, puis il vient aux femmes qui sont sur le point d’accoucher ; il veut & (il faut lui pardonner cet article en qualité de Poëte) il veut qu’elles invoquent trois fois consécutives, & à haute voix, la Déesse Lucine qui préside aux accouchemens.

Il leur recommande ensuite, de choisir, lorsqu’elles seront en travail, la situation la plus convenable pour être délivrées, il leur laisse l’option d’être debout, ou assises, ou couchées, il prétend cependant qu’il vaut mieux qu’elles se tiennent debout.

La cause de la peine que les femmes souffrent en accouchant est ici exposée au long, sçavoir le peché originel. Nôtre Auteur rapporte tout ce qui est dit dans la Genèse, touchant la desobéïssance d’Adam. Il introduit le serpent parlant à Eve, & décrit tout ce qui s’est passé à ce sujet, ce qui donne lieu à de beaux vers. C’est par-là que finit le premier Livre de la Pédotrophie.

Le second commence par l’exposé de ce qu’il faut pratiquer dès que l’enfant est venu au monde, sçavoir de porter la mere dans un lit bien préparé, de laver l’enfant, de l’envelopper, & avant tout cela, de couper le cordon umbilical, de mettre sur la playe un peu de mastic & de myrrhe en poudre.

Il prend ici occasion de dire, & il faut encore lui passer cela en qualité de Poëte, qu’autrefois cette partie qu’on nomme le nombril, tenoit liés les deux sexes ensemble, ensorte qu’ils ne faisoient qu’un seul corps, quoiqu’il y en eut réellement deux, mais qu’ensuite ce lien étant venu à se rompre, chacun de ces corps a eu sa liberté.

M. de Sainte-Marthe, après le débit de cette fable, parle de certains signes qui marquent, dit-il, quelle sera la complexion du nouveau né. Il prétend que si l’enfant venant au monde, crie foiblement, & qu’il ait peu de vigueur, c’est une marque qu’il vient d’un pere d’une mauvaise santé, ou qu’il a souffert dans le ventre de sa mere qui aura vêcu de mauvais alimens, ou qu’enfin, en prenant naissance, il aura essuyé quelque violence considérable.

Il recommande ensuite, de tenir l’enfant chaudement si c’est en hyver ; mais si c’est en Eté, de le porter dans un lieu dont l’air soit très-tempéré. Une chose importante, selon lui, c’est de mettre dans la bouche du nouveau né quelque antidote, & principalement du mitridat. Il veut aussi qu’on arrose de vin le corps de l’enfant, & s’il paroît bien débile, qu’on l’échauffe en soufflant dessus avec la bouche ; il assure que ce souffle tout chaud, vaut mieux qu’aucun autre remede pour fortifier l’enfant ; sur-tout, si en soufflant, on a de la canelle dans la bouche.

Il veut, comme nous l’avons remarqué, que dès que l’enfant est né, on le lave avec de l’eau, & à cette occasion, il déclame fort contre la coûtume des anciens Germains qui plongeoient dans le Rhein leurs enfans encore tout chauds au sortir du ventre de la mere, de même qu’on plonge le fer chaud dans l’eau froide pour le rendre plus dur. Il faut, dit-il, que les enfans qui ont pu souffrir une telle épreuve sans périr, eussent été formés dans les entrailles du Mont Caucase. Il veut qu’on baigne dans de l’eau tiéde les enfans nouvellement nés, & qu’on s’en tienne là ; mais que s’ils ont quelques meurtrissures sur le corps, pour avoir été trop foulés & pressés en venant au monde, on mêle dans cette eau des roses fraîches, de la camomille récemment cueillie, & de la mousse d’arbre.

Il enjoint de nétoyer les oreilles de l’enfant, ses yeux, sa bouche, & de donner à chacun de ses membres, en les maniant doucement, la forme & la rectitude qu’ils doivent avoir pour composer, dit-il un tout parfait, comme fit autrefois Promethée, qui de son habile main forma l’homme à l’image de la Divinité, autre trait de Poëte qu’il faut mettre avec les autres que nous avons déja rapportés.

Quand le bain aura attendri la peau de l’enfant, il veut que pour la durcir, on la frotte doucement avec du sel blanc bien pilé, qu’ensuite on tienne prêts un berceau, des langes & des bandes ; qu’on donne à l’enfant du miel de Narbonne pour le purger, & qu’après on le couche dans son berceau ; mais qu’on prenne garde de le couvrir trop chaudement. Il cite sur cela l’exemple de François dernier Duc d’Anjou & de la Princesse son Epouse, qui pour avoir tenu trop chaudement pendant la nuit leur enfant, l’étoufferent.

Il passe ici au choix qu’il faut faire d’une nourrice ; il veut qu’elle ne soit ni jeune ni vieille, ni grasse ni maigre ; qu’elle soit gaye, qu’elle ait le teint vif, les bras & le col un peu longs, la poitrine large, les mammelles rondes & bien saillantes, & qu’elle n’ait point fait une fausse couche.

Pour ce qui est du lait, il veut qu’on regarde comme le meilleur, celui qui est doux, blanc, coulant, & qu’on rejette celui qui s’attache au doigt par son épaisseur, ou qui en tombe aussi-tôt par sa trop grande fluidité.

Il veut que si on envoye l’enfant à la campagne chez une nourrice, on prenne garde au Pays où elle habite ; que pour cela, on évite les lieux marécageux, & quant à la maison qu’on en choisisse une qui soit bien éclairée du Soleil.

Pour ce qui est de la conduite de la nourrice, il veut qu’elle s’abstienne de toute passion d’amour, qu’elle évite le vin, le chagrin & le trop grand travail ; mais qu’elle fasse un exercice moderé, qu’elle se promene dans quelque jardin, avant le repas ; qu’elle travaille dans le ménage ; qu’elle fasse elle-même son lit ; qu’elle paitrisse le pain à force de bras ; qu’elle carde du chanvre & du lin. Que quand elle voudra donner à tetter à son enfant, elle ne lui présente pas les premieres goutes qui sortiront de ses mammelles, & qu’elle prenne garde qu’il ne se gorge de lait.

Il veut que dès les premiers jours, on accorde à l’enfant nouveau né très-peu de lait, & à diverses reprises ; que toutes les fois que par ses cris il demande à tetter, on lui en donne, & cela jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de huit mois, auquel temps les dents commencent à pousser ; il veut qu’alors on lui donne tantôt de la nourriture un peu plus solide, & tantôt du lait, c’est-à-dire quelquefois du boüillon, quelquefois de la boüillie, quelquefois du lait ; il veut que souvent on émiette du pain, & qu’on le fasse cuire dans du boüillon ou dans du lait, pour le donner à l’enfant. Il veut qu’on lui fasse prendre quelquefois de l’huile d’amandes douces, ou un peu de beurre, & qu’on ne confonde pas les cris que fait l’enfant par la violence des tranchées, avec ceux que la faim qu’il ressent lui fait pousser ; car si on lui donne de la nourriture lorsque ce sont les tranchées qui le sont crier, on lui charge l’estomac, & on lui cause des vomissemens.

Il veut qu’on ait soin d’endormir les enfans en les berçant, & en leur chantant des chansons.

Il conseille de les baigner lorsqu’après un long sommeil ils viennent à s’éveiller.

Il veut qu’on les porte souvent à l’air lorsque le temps est beau.

Il s’agit à présent de sçavoir en quel temps il est à propos de les sévrer ; il est d’avis qu’on le fasse lorsqu’ils ont deux ans. Il remarque qu’il y a des nourrices qui, pour desacoûtumer l’enfant de tetter, mettent du fiel à leurs mammelles, il ne paroît pas approuver cette conduite ; il suffit, selon lui, de substituer à la place du lait, quelque autre breuvage agréable. Il condamne fort ici le vin, parce que c’est une boisson trop étouffante, en quelque petite quantité qu’elle soit donnée à un enfant.

Il veut que lorsque l’enfant commence à parler, on commence dès-lors à lui cultiver l’esprit ; qu’on presse celui qui est trop lent ; qu’on retienne celui qui est trop vif ; qu’on égaye celui qui est triste, &c.

Il termine ce second Livre en déplorant les malheurs de la guerre, qui l’empêchent d’être assez à soi pour écrire tout ce qu’il souhaiteroit.

Le troisiéme & dernier Livre de la Pédotrophie, concerne les maladies ausquelles sont sujets les enfans peu après leur naissance, & les rémédes qui conviennent à ces maladies ; M. de Sainte-Marthe, en qualité de Poëte, invoque la-dessus Apollon & le prie de lui donner les lumières nécessaire, pour traiter comme il faut une matiere si importante.

Les maladies dont il parle, & pour lesquelles il prescrit des rémédes, sont au nombre de dix-huit.

La première, est l’inflammation du nombril.

La seocnde, le filet de la langue.

La troisiéme, la grenoüille :

La quatriéme, l’inflammation du gosier :

La cinquiéme, les ulceres de la bouche :

La sixiéme, les dents :

La septiéme, la constipation du ventre :

La huitiéme, la diarrhée :

La neuviéme, la colique,

La dixiéme, les vers :

La onziéme, les vomissemens.

La douziéme, la toux :

La treiziéme, les rêves fâcheux.

La quatorziéme, l’insomnie :

La quinziéme, la chute du fondement :

La seiziéme, la galle de la tête :

La dix-septiéme, la petite verole :

La dix-huitiéme, le mal caduc.

Nous allons avec nôtre Auteur, détailler toutes ces maladies, & les rémédes ausquels il veut qu’on ait recours pour les guérir.


Inflammation du Nombril.

Le nombril que l’on coupe aux enfans dès qu’ils sont nés, leur cause quelquefois de grandes douleurs, soit que la playe qu’on vient d’y faire, excite par elle-même ces douleurs ; soit qu’après avoir lié le cordon pour le couper, on l’ait serré trop fortement, & que ce nœud trop étroit y ait fait survenir l’inflammation ; soit enfin que les cris & les pleurs de l’enfant, ou une violente toux, soient la cause de cette douleur par l’agitation qui s’excite alors dans toute la région du ventre, en sorte que le nombril contracte de l’inflammation, & se gonfle alors par un amas d’humeurs qui s’y jettent.

Les Médecins, à ce que remarque M. de Saine-Marthe, ordonnent pour rémédier à ce mal, de piler du nard, puis de le mêler avec de la térébenthine, & après l’avoir battu dans de bonne huile de noix, d’en froter doucement la playe, & ensuite de brûler des morceaux de drap & des graines de lupins, d’en délayer la cendre dans de gros vin rouge, & d’appliquer sur la partie douloureuse des étoupes imbibées de ce vin.


Filet de la Langue.

Le filet de la langue fait quelquefois recourber cette partie de maniere que l’enfant ne peut tetter. M. de Sainte-Marthe veut qu’alors on coupe promptement ce filet, soit que le Chirurgien fasse l’opération avec des ciseaux, ou la nourrice avec son ongle, prenant garde l’un & l’autre d’offenser les veines de cette partie.

M. de Sainte-Marthe laisse ici la liberté de se servir de l’ongle ; mais il faut s’en donner de garde, parce qu’on peut attirer par-là quelque fluxion.


La Ranule ou Grenoüille.

La grenoüille est une petite tumeur ardente, qui vient sous la langue. Cette tumeur est quelquefois si grosse qu’elle empêche l’enfant de respirer. Nôtre Auteur prétend qu’elle procede d’un lait plein d’une bile piquante qui cause la fiêvre à l’enfant. Quoiqu’il en soit, il veut qu’on fasse prendre ici au nouveau né, du jus de citron ou de grenade, bouilli avec du sucre dans une grande quantité d’eau ; qu’outre cela on frotte avec de l’huile violat tiede, le col, les joües & les tempes de l’enfant ; qu’on lui en glisse même quelques goûtes dans les oreilles ; enfin qu’on fasse cuire dans du lait de la farine d’orge, qu’on en prépare des cataplasmes, qu’on en enveloppe le menton de l’enfant.


Inflammation du Gosier.

Cette inflammation à ce que se persuade l’Auteur, vient aussi d’un lait bilieux & mal conditionné ; le réméde qu’il y conseille, est de corriger la mauvaise qualité de ce lait, & pour cela il veut que la nourrice ait soin de se médicamenter, mais il ne dit point avec quoi. Il donne le même avis pour le mal qu’il nomme la Ranule ou la Grenoüille, duquel nous venons de parler : Il conseille aussi pour l’inflammation du gosier, les autres rémédes qu’il a conseillés pour la Ranule, & qui sont rapportés dans l’article précédent.


Ulceres de la Bouche.

Les ulceres dont il s’agit, à ce que remarque M. de Sainte-Marthe, gagnent quelquefois tout le palais, & rongent le gosier même par leur acreté, si l’on n’est pas diligent à couper la racine du mal. Ils proviennent souvent, dit-il, de ce que le lait de la nourrice est rempli d’une sérosité mordante qui ronge les gencives du nourrisson, ou de ce que ce lait venant à se corrompre dans l’estomac du nourrisson, il s’en éleve une vapeur dont la fumée brûle sa bouche.

Pour réméde à ce mal, il veut 1o. que la nourrice corrige son lait en observant une diette modérée ; 2o. que l’on mette sur ces ulceres du miel rosat, ou de la myrrhe, ou de la noix de galle pilée.


Des Dents.

M. de Sainte-Marthe observe que tous les maux dont de parler, arrivent aux enfans, principalement lorsque les dents commencent à leur pousser ; mais il prétend que c’est parce que les dents cherchent à s’ouvrir un passage par le moyen d’une humeur acre, qui leur sert, dit-il, comme de tarriere, ce qui cause de cruelles douleurs.

Pour appaiser ces douleurs, il est d’avis qu’on frotte les gencives de l’enfant avec de la cervelle de lievre[1] ou avec du miel, & que si la douleur s’opiniâtre, on moüille la tête de l’enfant avec de l’eau commune & de l’eau rose, l’une & l’autre tiedes, & qu’ensuite on couvre la tête avec un bonnet de laine.


Constipation de ventre.

Il avertit que tous les soins ci-dessus seront inutiles, si l’enfant n’a pas le ventre libre, & pour le lui rendre tel, il conseille de faire prendre du miel à l’enfant, soit par la bouche, soit en maniere de suppositoire ; ou au défaut de miel, de lui introduire dans le fondement une tige de chou, ou un morceau de betterave ou de racine de mauve.


Diarrhée.

Si au contraire le ventre de l’enfant est trop libre, ce qui est fort ordinaire lorsque les dents commencent à pousser, il ordonne pour le resserrer, de faire prendre en boisson de la graine de pavot blanc, du myrthe & du souchet broyés ensemble, puis mêlés dans du lait.


Colique.

Pour appaiser la colique des enfans, nôtre Auteur conseille de leur frotter le ventre ou avec de l’huile de camomille, ou avec de l’huile d’olive bien vieille, les unes & les autres bien chaudes.


Les Vers.

Ce mal se fait connoître par plusieurs signes ; M. Scévole, à l’exemple de tous les Médecins, met au rang de ces signes, la mauvaise haleine, de petits assoupissemens, les clignotemens, les sommeils interrompus, les réveils en sursaut, la toux séche, la démangeaison fréquente du nez.

Il conseille contre cette maladie les deux remèdes vulgaires, qui sont la poudre à vers, nommée Barbotine ou semen contra, mêlée dans une pomme cuite ou dans de la boüillie, & l’emplatre de fiel de bœuf & de cumin, appliqué sur le ventre.


Vomissemens.

Comme les enfans ne vomissent d’ordinaire, qu’à cause qu’ils se remplissent trop de lait, nôtre Auteur n’ordonne ici pour réméde à ces vomissemens, que de modérer la quantité de lait qu’on donne à l’enfant.


Rêves fâcheux, Insomnies, Toux.

M. de Sainte-Marthe regarde ces accidens comme provenans de la même cause que les vomissemens, c’est-à-dire d’un lait non digéré. Car, dit-il, lorsque les enfans ont pris plus de lait que leur estomac n’en peut digérer, il se tourne en crudités, d’où s’élevent, continuë-t-il, des vapeurs épaisses qui représentent à leur imagination plusieurs vaines images : & comme le cerveau, ajoûte-t-il, est froid de sa nature, ces sortes de vapeurs y étant arrivées, s’y condensent de la même maniere que font les nuées dans l’air, & tombant de même qu’elles en pluyes, irritent par leur humidité âcre, le gosier de l’enfant, & causent la toux qui tourmente ensuite sa poitrine ; c’est pourquoi, poursuit-il, empêchez qu’il ne se remplisse trop de lait, vous ôterez la cause du mal.

Je ne dis rien du raisonnement que fait ici M. de Sainte-Marthe, je me contente de le rapporter historiquement.


Chute du Fondement.

On ordonne ici en général, pour rémédier à la chute dont il s’agit, de fomenter le siége avec des choses astringentes, & de le repousser doucement dans sa place avec la main ; c’est tout ce qu’on nous dit là-dessus, après avoir remarqué toutefois, que la cause de cette chute est le relâchement du muscle, qui est attaché à la partie dont il est question, en sorte que ce muscle ayant perdu son ressort, ne peut plus la rélever.


Galle de la Tête.

Cette Galle couvre d’une grosse croute, non seulement la tête de l’enfant, mais tout son visage. Quel réméde y apporter ? Nôtre Auteur n’en ordonne point, & il en allègue deux raisons, la premiere, c’est qu’elle cesse d’elle-même sans qu’on y fasse rien ; & la seconde, qu’elle purge de bien des impuretés le cerveau de l’enfant.


La petite Vérole, la Rougeole.

M. de Sainte-Marthe prétend que ces deux maladies sont deux espéces à part, quoique les Grecs, dit-il, les ayent comprises sous un même nom, qui est celui d’exantheme : Il tâche d’expliquer la cause qui les produit ; & pour cela, il dit que les veines de l’enfant sont remplies d’un sang impur, qui a été infecté par celui de la mere ; en sorte que la nature chasse ces impuretés après la naissance. Il se sert ici de la comparaison du vin nouveau, qui bout jusqu’à ce qu’il se soit purifié.

Comme dans ces maladies, il regne une grande ardeur, il veut que l’on fasse boire à l’enfant, de l’eau froide, pour appaiser ce grand feu. Il ordonne aussi une ptisanne de miel, pour la nourrice & pour l’enfant.

Si le mal s’obstine, & que l’ardeur ne cesse pas, voici le conseil qu’il donne, & qui n’est pas un mauvais parti à prendre, c’est de se tenir en repos, & de ne rien faire du tout.

Il crie fort ici contre la coûtume non seulement de bien des femmes, mais de bien des Médecins, qui pour faire sortir le venin de la petite vérole, employent des rémédes si violens, que ces rémédes à force de pousser le venin, excitent dans le gosier un grand nombre d’ulceres qui bouchent le passage de la respiration. Il dit que cette malheureuse méthode de traiter la petite vérole, est cause de la mort de deux de ses enfans, l’un âgé de quatre ans, l’autre de trois, & il ajoute que si deux enfans qui lui restent, viennent à être attaqués de cette maladie, il prendra le parti de les faire saigner pour détourner l’humeur de dessus le gosier. Nous n’oublierons pas une remarque que fait ici le Traducteur de l’Ouvrage, sçavoir que Scévole a été le premier qui ait conseillé la saignée dans le commencement de la petite vérole, & que depuis, elle a été mise heureusement en usage. Une autre remarque que nous ne devons pas omettre, c’est qu’étant dit dans l’avertissement de la Traduction, comme il est dit aussi dans le Journal du Président Cousin, ainsi que nous l’avons rapporté au commencement, que Scévole arracha d’entre les bras de la mort un de ses fils qui étoit abandonné des Médecins, & que c’est cette guérison qui lui donna lieu de composer son Livre ; il y a lieu de s’étonner qu’il ne parle point ici de cette cure ; d’autant plus qu’il avoüe ingénument n’avoir pû guérir de la petite vérole deux de ses enfans. C’étoit-là le lieu de parler de ce cher fils arraché à la mort ; cependant il n’en est pas fait mention.

Au reste, de peur que la nature ne puisse se décharger par elle-même, de ce qui peut rester de corrompu dans le sang, M. Scévole veut que pour la soulager, on ait recours à une herbe qu’on appelle, dit-il, Herbe d’Ormes, laquelle, à ce qu’il prétend, a la vertu de procurer par son admirable jus, la sueur du corps, & d’entraîner par ce moyen ce qu’il y a d’impur dans le sang.

Les pustules de la petite vérole attaquent quelquefois les yeux, les narines, la gorge, les poumons, & les intestins de l’enfant ; nôtre Auteur, veut qu’en ces occasions, on humecte les yeux avec de l’eau rose, ou que la nourrice y fasse jaillir de son lait, il conseille encore de les frotter avec du saffran, le jus de grenade est aussi très-bon ici, à ce qu’il dit. Les grains de ce fruit ne lui paroissent pas moins salutaires pour préserver le gosier, si on en fait mâcher à l’enfant. Quant aux narines, il remarque que l’odeur d’un fort vinaigre y est très-bonne ; & au regard des poumons, il approuve qu’on se serve d’un électuaire composé de gomme Adragant & de lentilles, & pour ce qui est des intestins, il prescrit la décoction de lentilles.

Quand le corps de l’enfant est tout couvert de pustules, il ordonne de prendre des violettes, de la camomille, des mauves & du souphre, de mêler le tout dans de l’eau tiede, & d’en laver le corps de l’enfant, par ce moyen, dit-il, les pustules viendront à maturité, rendront peu à peu le pus qu’elles contiennent. Mais si à cause de la dureté de la peau, elles ne peuvent s’ouvrir, il veut qu’alors on les pique avec une aiguille pour faire sortir ce pus ; ce qui est la pratique de quelques Médecins, & qui, pour le remarquer en passant, est une mauvaise pratique, comme nous en avertirons dans le quatriéme livre de nôtre Orthopédie, pag. 156. & 157.

Lorsque les pustules sont desséchées, il est d’avis qu’on mette dessus des roses & du myrthe, & qu’ensuite on les oigne avec de l’huile de céruse. Moyennant ces soins, les pustules, dit-il, tomberont, les draps du lit se trouveront pleins de croûtes.


Marques de petites Véroles.

Pour garantir des marques de la petite vérole la peau du visage, il conseille de prendre de l’eau de lis, & de fleurs de féves distillée, ou de l’eau de roseaux, & de racines de saule, aussi distillée, & d’en mettre sur le visage de l’enfant ; il conseille encore pour le même usage, l’eau tirée de la corne des pieds de chévre ou de celle de brebis, comme aussi le sang tout chaud de lievre ou de bœuf. On peut, dit-il, choisir celui de ces rémédes que l’on voudra.


Mal caduc.

Le mal caduc est la derniere maladie dont parle nôtre Auteur ; il commence par faire la description de ce mal & de ses symptomes ; après quoi il vient à la cause.

Il propose là dessus deux doutes ; 1o. Cette étrange maladie ne vient-elle point, dit-il, de ce qu’une pituite gluante remplissant trop le cerveau, & empêchant les esprits animaux de se distribuer, ces derniers font tous leurs efforts pour s’échapper des endroits où ils sont emprisonnés ; en sorte que les nerfs, dès leur origine, souffrent de violentes secousses pour se décharger de ce qui leur est nuisible. 2o. La même maladie ne vient-elle point aussi, de ce que la vapeur d’un venin froid, après s’être répandue dans toutes les parties du corps, arrive enfin insensiblement jusqu’au cerveau, qui tâche alors de s’en défendre ; mais de maniere que plus il est d’une substance déliée, & plus facilement cette vapeur le pénetre. Nous ne disons rien de ces deux raisons qui paroissent peu intelligibles.

Après ces réflexions, on remarque plusieurs grands personnages ont été attaqués du mal caduc ; sur quoi on cite César, Mahomet, Hercule. On rapporte au sujet de ce dernier, ce que dit la Fable, sçavoir qu’une fille de Péon descenduë d’Apollon, la plus considerable des Nymphes, ayant par hazard ses mains pleines d’herbes médicinales qu’elle venoit de cueillir, apperçut ce Héros du haut d’une montagne, lequel frappé d’Epilepsie, étoit étendu par terre sans pouvoir se relever ; Qu’elle accourut aussi-tôt à son secours, lui nétoya la bouche, lui desserra les dents, & avec de l’huile d’amandes qu’elle avoit sur elle, lui frotta le col, les mains, la région du cœur ; Qu’enfin elle lui mit sous les narines, des feüilles de rue ; Que par l’effet de ces rémédes, il revint à lui, & qu’ayant alors reconnu la Nymphe, il lui adressa ces paroles : « O Excellente Fille ! Quel est le Dieu qui vous a envoyé pour me délivrer d’un mal si cruel ? S’il est vrai que Jupiter soit mon père, & qu’il me doive un jour recevoir dans le Ciel, j’aurai pour vous, lorsque j’y serai, toute la reconnoissance que je vous dois ; cependant afin que cet horrible mal ne me reprenne pas, dites-moi, je vous conjure, ce qu’il faut que je pratique pour m’en préserver à l’avenir : Que je serois heureux s’il étoit en mon pouvoir de passer mes jours avec vous dans l’état du mariage ! mais les Destins s’y opposent, il faut que j’entreprenne de nouveaux travaux. » A ces mots il se tut, & la Nymphe lui ayant répondu qu’elle s’estimoit infiniment heureuse d’avoir pû conserver la vie d’un homme si rare, lui enseigna les remedes suivans, que Scévole détaille ainsi.

Premierement, fait-il dire à la Nymphe, comme cette maladie procede d’une grande humidité, les choses qui ont de la chaleur, y conviennent pour dessécher le corps, & enlever par ce moyen la cause du mal. Ainsi grand Hercule, évitez ce qui est humide & froid ; mais de sorte néanmoins que vous ne beuviez point trop de vin ; car si vous en faites excès, ce ne sera point impunément. Un avis important que j’ai de plus à vous donner, c’est de ne regarder jamais aucun courant de riviere, ni rien qui aille en tournant, de ne vous endormir nulle part couché sur la terre, de n’habiter aucun lieu sujet aux broüillards, de fuir toutes les odeurs desagréables, de vous tenir gay, & d’affecter une grande propreté.

La Nymphe ajoûte à Hercule, qu’il faut qu’il mêle du gui de chêne & de la canelle dans du vin blanc, & qu’il boive de ce vin ; ou bien qu’il réduise en poudre du crâne humain avec de la corne de cerf, & qu’il en prenne de deux en deux jours, les matins & avant les repas. Elle lui promet moyennant ces rémédes, une santé parfaite en quelque lieu du monde qu’il habite ; puis elle se retire en le priant de se souvenir d’elle. Hercule ne l’oublia pas ; car plusieurs années après, ayant été reçu au nombre des Dieux, en la voyant sur l’âge, il songea d’empêcher qu’elle ne devînt la pâture des vers. Pour cela, il la métamorphosa en une herbe qui fut depuis appellée Pivoine, & à laquelle il donna la propriété de guérir par son suc le Mal Caduc, autrement dit l’Epilepsie. Il voulut encore, pour une plus grande marque de sa reconnoissance, que quiconque porteroit pendue au col, de la racine de cette herbe, ne fût jamais attaqué de la maladie dont il s’agit ; ce qu’Apollon ratifia.

Je n’ai pas fait difficulté, dit ici M. Scévole, de rapporter cette fiction, pour me conformer à la coûtume des Poëtes, qui aiment égayer ainsi leurs sujets par des fables.

C’est par là que nôtre Auteur termine sa Pédotrophie : Il avertit qu’il l’a composée dans un endroit de Poitou, situé entre des côteaux couverts de rochers inaccessibles, dont l’agréable horreur donnoit à son esprit une fureur divine, où le Clain cause doucement, en serpentant au travers des Prairies, & dans le temps qu’Henry III. tenoit ses Sceptres des Royaumes de France & de Pologne, & rétablissoit le repos si desiré des Peuples.

Nôtre même Auteur souhaite ici au Prince une heureuse lignée & un fils capable de perpétuer son glorieux sang. Il souhaite en second, d’être choisi pour l’éducation d’un tel fils, en cas que le Ciel veuille bien l’accorder à Henry. Il souhaite enfin que la nourrice qui alaitera ce Royal nourrisson, pratique les préceptes contenus dans cette Pédotrophie, & qu’elle en mette si bien les vers dans sa mémoire, qu’elle les récite en le berçant.

Telle est la Pédotrophie du fameux Scévole de Sainte-Marthe. Cet excellent Poëme, car on peut dire que c’est un Ouvrage parfait pour la Poësie, a été traduit en françois, comme nous l’avons remarqué, mais la Callipédie dont nous allons rendre compte, ne l’a jamais été.


III.


Ce que c’est que la Callipédie de Claude Quillet.


C’est un Poëme latin, devenu très-rare, dont l’Auteur est l’Abbé Quillet, grand Philosophe, sçavant Médecin & non moins excellent Poëte que M. de Sainte-Marthe. Cet Ouvrage d’abord pseudonyme sous ce titre, Calvidii Læti Callipædia, seu de pulchræ prolis habendæ ratione, c’est-à-dire des moyens d’avoir de beaux enfans, a été ensuite publié sous celui de Claudii Quilleti Callipædia, & dédié en cet état au Cardinal Jule Mazarini. J’ai été long-temps sans sçavoir la cause de ces variations du Poëte, & j’ai enfin apris d’une personne bien instruite de la fortune de ce Livre, que M. Quillet l’avoit d’abord fait imprimer en Pays étranger sous son nom tourné en cette espèce d’anagramme, Calvidii Læti, au lieu de Claudii Quilleti, & cela parce que dans un endroit de cette belle Poësie, où il marque les précautions qu’il faut prendre pour unir les époux, afin qu’ils ayent une belle posterité, & où il invective fortement contre les mariages même des Puissances, lorsqu’ils ne sont pas faits selon les régles qu’il donne, il s’abandonnoit imprudemment à une digression contre le prétendu penchant qu’il attribuoit à la France, de se livrer à des Etrangers & pour les Alliances & pour le Gouvernement, témoin, disoit-il, (par rapport à ce dernier article) le pouvoir souverain dont joüit un Etranger, Trinacriis devectus ab oris advena. Voilà justement la description du Cardinal Mazarin né à Rome, mais Sicilien d’origine. Les Emissaires du Ministre peu de temps après que l’Ouvrage fut publié, lui découvrirent le véritable nom de l’Auteur.

M. l’Abbé Quillet qui se croyoit sûr de son secret sous le masque, prit volontiers, à la priere d’un ami, le parti de se présenter devant le Cardinal dans le temps que cette Eminence distribuoit des pensions aux Sçavans.

Le Poëte n’eut pas été plûtôt introduit, que le Cardinal affectant un air doux, lui dit d’un ton plaintivement flatteur ; Quel sujet vous ai-je donné, M. l’Abbé Quillet pour me traiter, comme vous l’avez fait dans vôtre admirable Callipedie ? Malgré vôtre procedé, j’ai toûjours senti du côté du cœur, quelque chose qui me portait à vous demander votre amitié, & à vous donner des marques de la mienne. Ces paroles prononcées, le Cardinal, sans laisser au Poëte le loisir de répondre, appella Ondedei Evêque de Fréjus son Confident : Ondedei, lui dit-il, n’y a-t-il point quelque petite Abbaye vacante qui puisse accommoder ce grand Poëte ? L’Evêque qui avoit concerté cette scene avec le Cardinal, répondit : Oui, Monseigneur, il y en a une jolie de quatre cens pistoles, revenu bien venant. Je vous la donne, M. Quillet, dit le Cardinal. Adieu, apprenez à ménager davantage vos amis.

Le Poëte confus d’une telle générosité & d’un si surprenant bienfait, sortit avec la résolution de chanter haut les loüanges de l’Eminence : il réforma pour cela son Ouvrage, & le lui dédia après cette réforme.

La Callipedie fut donc imprimée à Paris, & l’a été ensuite plusieurs fois, généralement goutée des Connoisseurs pour ce qui regarde la Poësie.

M. Quillet a suivi pour modéle, la Pédotrophie dont nous venons de parler, qui est une Poësie aussi parfaite que les Géorgiques. Il célébre d’abord dans son Epître dédicatoire, les loüanges du Cardinal ; puis il vient à la Callipédie qu’il divise en quatre Livres.

Dans le premier, il commence par invoquer en Poëte, le secours des Graces & de la Mere des Graces ; après quoi il expose les différens goûts des Amans sur la beauté de leurs Maîtresses, les uns préférant les brunes, les autres celles qui sont un peu louches, les autres les maigres, les autres celles qui ont de l’embonpoint, &c. Il passe de-là aux différens goûts des nations sur le même sujet ; puis aux conditions requises dans ceux qui se destinent au mariage, & qui veulent avoir une belle postérité, il leur donne là-dessus quatre regles principales. La premiere, qu’il n’y ait point entre les deux Amans de différence considérable pour l’âge ; la seconde, qu’ils ne soient point trop jeunes ; la troisiéme, qu’ils n’ayent ni l’un ni l’autre aucun défaut considérable de corps ; la quatriéme, qu’ils préférent dans leurs alliances le mérite à la richesse.

Il prend de-là occasion de déclamer contre ces avares, qui dans leurs mariages ne consultent que l’argent, & à ce sujet il donne aux Têtes couronnées divers conseils importans, & leur represente avec une noble liberté les inconveniens qui ont coûtume d’accompagner ces mariages interessés. Il exhorte le jeune Roy son Maître, à éviter ces inconvéniens, & à choisir pour son mariage une Princesse aimable, préférablement à toute autre. Voilà pour ce qui regarde le premier Livre.

Dans le second, M. Quillet donne divers préceptes aux gens mariés sur ce qu’il est à propos qu’ils observent au moment qu’ils veulent devenir peres & meres. Il marque les précautions qu’il s’imagine qu’ils doivent prendre alors par rapport aux astres ; car il donne beaucoup dans l’Astrologie, ce qui n’est pas le meilleur endroit de son Ouvrage ; il marque tout de même ce qu’il croit qu’il leur convient de pratiquer par rapport à certaines parties de leurs corps, pour avoir des garçons plûtôt que des filles.

Voici en général les régles qu’il prescrit aux époux.

Premiere Régle : Ne rien tenter, lorsqu’il y a peu de temps que l’on a soupé, parce que la digestion n’est pas encore faite ; mais plûtôt différer au lendemain matin. Si l’on n’observe pas cette régle, dit-il, il ne faut attendre que des enfans mal faits.

Seconde Régle : Considérer l’aspect des astres, & sur-tout celui des douze signes du Zodiaque ; car nôtre Auteur s’imagine que ces douze signes qui sont le Bellier, le Taureau, les Jumeaux, l’Ecrevisse, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau & les Poissons, influent puissamment sur la formation des enfans dans le temps de la conception.

L’aspect du Belier, dit-il, produit des enfans qui ont le col extrêmement long, les jambes mal tournées, la tête enfoncée, les yeux panchés, la peau rude & hérissée, la taille grossiere, sur-tout si Saturne ou Mars se mettent de la partie.

L’aspect du Taureau rend les narines longues & larges, le col gros, la vûë de travers, le front desagréable, les cheveux roux, la voix rauque, la taille épaisse.

L’aspect des Jumeaux est favorable en tout ; il rend les yeux doux, le visage riant, la peau blanche, l’esprit fin & propre aux Sciences, la parole agréable.

L’aspect de l’Ecrevisse produit des effets tout contraires à ceux-là. Sous cet aspect les membres sont contrefaits, les yeux petits, les dents noires & mal rangées, tout le corps entassé, petit & mal tourne.

L’aspect du Lion rend les cheveux roux, les yeux féroces, les membres démesurément longs. M. Quillet avertit ici qu’il a eu le malheur de naître sous cet aspect, & qu’il a bien de la peine[2] à se défendre des malignes influences d’une telle constellation. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il étoit peut-être l’homme le plus laid de son temps.

Quant à la constellation de la Vierge, les enfans conçus sous cet aspect sont parfaits en tout, selon nôtre Auteur, & n’ont rien que d’aimable, soit pour le visage soit pour la taille.

La constellation de la Balance n’est pas moins bienfaisante selon lui.

Pour ce qui est du Scorpion, il prétend que c’est une maligne constellation ; elle rend, dit-il, les yeux petits, les cheveux roux, les pieds & les cuisses d’une longueur difforme.

Sous le Sagittaire, continuë nôtre Auteur, les conceptions sont toûjours heureuses, pourvu qu’il ne tire du fond de l’eau que sa tête, ou ses épaules, ou son arc, & qu’il ne montre pas sa queuë de cheval.

A l’égard du Capricorne, il ne produit, selon M. Quillet, que de mauvais effets ; parce que c’est la demeure de Saturne.

Quant au Verseau, il ne lui attribuë que de bonnes influences, & cette constellation, selon lui, rend toûjours les enfans bien faits.

Il ne s’agit plus que de la derniere constellation du Zodiaque, qui sont les Poissons ; nôtre Auteur prétend que les enfans conçus sous cette constellation, ont la tête petite, les jambes foibles & minces, le corps contrefait.

De ces imaginations touchant les signes du Zodiaque, nôtre Auteur passe à la considération des saisons.

Il soûtient que le Printemps est le plus propre à la génération ; que l’Eté y convient moins, & que l’Automne & l’Hyver y sont peu favorables.

M. Quiller toûjours entêté d’Astrologie, revient ici aux constellations ; il veut que les époux, avant que d’entreprendre de se donner des enfans, examinent soigneusement sous quel aspect est Saturne, Jupiter, Mars, &c. & qu’ils observent là-dessus jusqu’aux heures.

Troisiéme Régle. Il recommande aux maris de laisser tranquilles leurs femmes, lorsqu’elles éprouvent certaines évacuations particulieres à leur sexe ; sinon il ne leur promet, & avec raison, que des enfans difformes. Il dit à cette occasion, mais sans beaucoup de fondement, & s’appuyant en cela sur une opinion ancienne, que si quelque portion de cette humeur qui s’évacuë, vient à tomber sur une plante, la plante séche dès le moment, comme si elle avoit été frappée d’un coup de foudre ; il ajoûte que si un chien en goûte, il devient aussi-tôt enragé, ce qui n’est pas plus véritable.

Quatrième Régle. De boire, mais avec modération de bon vin de Bourgogne ou de Champagne si l’on veut avoir des mâles. Conseil que nôtre Auteur donne ici aux maris & aux femmes.

Cinquième Régle. Il faut que la femme qui veut devenir mere d’un fils, ait soin dans le temps de la conception, de se tenir couchée sur le côté droit.

Sixième Régle. Que le mari qui tout de même veut éviter d’avoir une fille, ait soin d’empêcher que des deux parties que les Anatomistes nomment en latin du nom de Testes, il n’y ait que celle qui est placée à droite qui puisse agir, & pour cela de lier avec un cordon un peu serré, celle qui est à gauche[3].

Nôtre Auteur regarde ces deux dernières Régles comme sûres ; mais il s’en faut de beaucoup qu’elles le soient. Il se fonde en cela sur une erreur des anciens Anatomistes, laquelle consiste à croire 1o. que les garçons se forment au côté droit de la matrice, & les filles au côté gauche ; 2o. Que tout de même des deux parties qui dans l’homme sont nommées en latin Testes, c’est celle du côté droit qui sert à former les garçons, & celle du côté gauche qui sert à former les filles.

La maniere dont se doivent conduire les femmes grosses, & les nouvelles accouchées, fait le sujet du troisiéme Livre. L’Auteur commence d’abord par exposer les signes de la grossesse, après quoi il réprésente aux femmes enceintes l’obligation où elles sont de se ménager. Il leur donne là-dessus cinq régles importantes. La première, d’observer une grande continence ; faute de quoi elles courent risque de détruire le fruit qu’elles portent. La seconde, de fuir la mélancolie & toute sorte de chagrin ; La troisiéme, de ne regarder que des objets agréables. Il essaye d’expliquer ici comment l’imagination d’une femme enceinte peut imprimer sur son enfant certaines marques, sans que ces marques s’impriment sur la mere. Pour le donner à entendre, il se sert de la comparaison de l’arbre, qui étant d’une substance plus dure que les fruits qu’il porte, est à l’épreuve des grêles & des vents, tandis que les fruits n’y résistent pas. Il conclut de-là que la femme enceinte doit éviter avec grand soin, de rien regarder qui puisse déranger l’ordre que la nature a coûtume de suivre dans la formation du fœtus. Quel est cet ordre ? Le voici, selon lui : La nature, dit-il, fabrique premierement les visceres & toute la charpente du corps ; elle vient ensuite aux membres, & y envoye du sang, puis elle travaille à la chair & aux nerfs, ensuite au visage, sçavoir au front, aux yeux, à la bouche, &c. après quoi elle étend la peau sur le corps. Cet ordre au reste, est une pure imagination.

La quatrième Régle qu’il donne aux femmes enceintes, est de fuir les danses & tous les grands mouvemens, comme le recommande M. de Sainte-Marthe, principalement dans les commencemens de la grossesse & sur la fin. La cinquiéme, de n’être point dans un trop grand repos ; parce que le repos excessif accumule les humeurs, & étouffe par cet amas la chaleur naturelle. La sixiéme, dans les beaux jours, de se promener doucement en carrosse, le long du Cours vers les bords de la Seine ; & en hyver, quand il y a quelque beau rayon de Soleil, de faire quelques visites. La septiéme, lorsque le neuviéme mois approche, de pourvoir à ce qui est nécessaire pour l’accouchement ; de s’assurer sur-tout d’une habile Sage-femme. Voilà pour ce qui regarde les femmes enceintes ; les avis suivans concernant les nouvelles accouchées.

Le premier avis que M. Quillet leur donne, c’est de prendre garde, lorsque l’enfant est né, qu’on ne le force point trop par les bandes qu’on lui met, & cela de peur de lui donner quelque mauvaise figure. Ne voit-on pas souvent dit-il, qu’à force de presser par ces bandes, la poitrine & les côtes d’un enfant, on en fait un bossu.

Le second avis, est d’employer tous les soins possibles pour empêcher l’enfant d’être marqué de la petite vérole. M. Quillet recommande pour cela, de pratiquer tout ce que Scévole de Sainte-Marthe ordonne là-dessus dans sa Pédotrophie.

Il termine là son troisiéme Livre, en témoignant qu’il auroit dessein de donner quelque jour un Ouvrage sur l’union qu’il convient de faire de la beauté du corps avec celle de l’ame ; mais il dit qu’un Ouvrage de cette importance demande un autre siécle que celui où il écrit ; siécle, s’écrie-t-il, où la vertu est inconnue, où la pudeur est bannie, & où l’on ne trouve presque personne qui aime le bon & l’honnête[4]. Il attribue ce malheur à la guerre, & souhaite la paix, comme l’unique réméde à une telle dépravation.

Le quatriéme Livre commence par une vive description de la misere de l’homme pendant les premières années ; viennent ensuite diverses régles pour former l’esprit des enfans lorsqu’ils sont parvenus à un certain âge. Ces régles sont au nombre de cinq,

Premiere régle : Lorsque les enfans commencent à balbutier, leur inspirer d’abord la crainte du Souverain Etre, & quand le tonnerre gronde, profiter de cette occasion pour leur inspirer cette crainte.

Seconde régle. Les empêcher d’avoir de la haine contre personne, & les porter à honorer leurs Peres, leurs Mères, tous leurs Proches, tous les Magistrats & toutes les Puissances.

Troisiéme régle : Lorsque leur esprit est plus ouvert, les mettre à l’étude des belles lettres, leur faire apprendre les langues, & surtout la langue françoise.

Quatriéme régle : Les mettre en même temps à l’étude de l’Histoire ; mais se garder de leur faire lire des Romans ; lecture qui ne renferme rien d’utile, & qui ne sert qu’à faire perdre le temps aux jeunes gens : Ne les point priver cependant de la lecture des Poëtes ; celle-cy, lorsqu’on les choisit bien, renfermant d’excellentes leçons de vertu, & d’autant plus excellentes, qu’elles sont données d’une maniere agréable.

Cinquiéme régle : Quand les enfans commencent à entrer dans un âge plus mûr, leur donner quelque teinture de Philosophie, exciter leur curiosité 1o. sur la question, si c’est le Soleil ou la Terre qui tourne. 2o. Sur la matiere dont les élémens composent les différens êtres, comme les pierres, les métaux, les plantes, les poissons, les oiseaux, les quadrupedes ; mais principalement leur faire considérer ce que c’est que l’homme, ce chef-d’œuvre de la nature, leur faire comprendre comme c’est un petit monde, où se passent les mêmes choses que dans le grand. Nôtre Auteur descend ici dans un détail singulier : Il prétend que la tête réprésente le Ciel où réside le Tout-puissant, que les cinq sens réprésentent les Anges qui sont autour du Trône de Dieu ; Que comme les Anges exécutent tout ce que Dieu leur commande, les cinq sens font de même tout ce que la tête exige d’eux ; que le cœur est dans l’homme ce qu’est le Soleil dans l’Univers ; Que comme le Soleil brûle quelquefois la terre par sa chaleur, de même le cœur nous brûle quelquefois, lorsqu’il vient à être enflammé de colere, ou de quelque passion déréglée d’amour. M. Quillet n’en demeure pas là, il compare le ventre qui se décharge de ses superfluités, à la Mer qui fait des inondations, & les vapeurs qu’il dit s’élever du ventre à la tête, puis tomber sur tout le corps en manière de sueurs, aux vapeurs qui s’élevent de la terre, & qui tombent en pluyes.

De la considération du corps il passe à celle de l’esprit ; le point principal, à ce qu’il remarque, est que l’homme connoisse son ame, & qu’il sçache que cette ame est l’image de Dieu ; qu’elle est spirituelle & exempte de toute matière ; qu’encore qu’elle soit répandue dans tout le corps, & qu’elle le gouverne, elle n’est point confondue avec lui, & qu’elle est immortelle : Que c’est ainsi que Dieu qui gouverne le monde, & qui y est répandu, n’en contracte rien de matériel, & demeure éternel.

M. Quillet conclud de-là que l’homme, persuadé, comme il le doit être, qu’il est l’image de Dieu, doit soupirer uniquement pour une autre demeure que celle-ci ; mépriser tous les plaisirs, tous les honneurs, toutes les richesses qui se présentent à ses yeux, & ne songer qu’à l’acquisition de la vertu pour en mériter les récompenses.

Il ajoûte que ce n’est pas assez d’être vertueux pour soi-même, mais qu’il faut se rendre utile aux autres hommes ; que l’homme est né pour la societé, & qu’ainsi on doit examiner à quoi l’on est propre ; si l’on a du talent pour les Armes, pour les Sciences, pour les Arts ; & en cas qu’on choisisse le parti des Armes, bien prendre garde aux écueils où cette profession expose par rapport aux mœurs ; enfin qu’on doit mettre son principal soin à cultiver son esprit, & pour cela considérer attentivement les différens génies des Peuples, leurs coûtumes, leurs manieres de vivre, leurs vices & leurs vertus.

M. Quillet décrit ici les différentes mœurs des Nations ; il débute par l’Italie & par l’Espagne ; puis il vient à la France dont il blâme la légéreté, mais dont il louë la bravoure & plusieurs autres excellentes qualités. Il remarque qu’il n’y a point de peuple qui soit plus attaché à son Roy que le François, & point de Royaume où les Princes étrangers soient mieux reçus qu’en France lorsqu’ils sont malheureux, point de Royaume non plus, où le mérite étranger soit mieux reconnu lorsqu’il s’agit du choix de quelque Ministre ; sur quoi il cite le Cardinal Mazarin, auquel il donne les plus grands éloges. Il louë ensuite dans les François l’amour qu’ils ont pour les Sciences. Puis il vient aux Anglois, & déclame vivement contre cette Nation, par rapport au peu d’égard qu’elle a pour les Rois, au peu de respect qu’elle témoigne pour les Loix les plus inviolables, & à la liberté odieuse que chacun s’y donne de faire le Prophete. Il louë au reste les Anglois sur leur habileté dans la Navigation, en quoi il avouë qu’ils ont un mérite supérieur.

Il passe de-là aux Allemans, & dit que l’honneur & la gloire de l’Empire semblent particulièrement attachés à cette Nation ; Que la bonne foy regne chez elle, que les ruses & les tromperies y sont inconnuës ; mais ce qui diminue un peu de ces éloges, c’est qu’il ajoûte qu’il ne sçait si cette bonne foy & cette sincerité ne viennent point de ce que ces peuples tenant de la grossiereté de leur climat, ne sont pas assez subtils pour être capables de ruses, ou de ce que buvant beaucoup, comme ils font, l’excès du vin leur émousse l’esprit ; il avouë cependant, que tous ne boivent pas jusqu’à cet excès, il reconnoît qu’il y en a parmi eux, qui excellent admirablement dans les Arts, & que c’est à cette Nation qu’est duë la fabrique des canons & autres instrumens de guerre ; que c’est à elle que sont dûs les caracteres de l’imprimerie.

Il passe de-là aux Danois, aux Polonois, aux Suisses, & veut qu’un jeune homme parcoure tout de même ces Nations pour s’instruire ; mais qu’après avoir passé un certain âge à voyager, il prenne un parti stable, & profite de ce que ses voyages lui auront appris pour la conduite de sa vie.

Il recommande ici au jeune homme de faire succeder à ses voyages la lecture des Historiens, & de fréquenter des personnes éclairées, dont la conversation puisse lui être profitable. Il prend de-là occasion de déclamer contre ces pères négligens qui permettent à leurs enfans de voir toutes sortes de compagnies. Mais comme ce qu’il a remarqué jusqu’ici, ne regarde que les jeunes hommes, il introduit la Muse Calliope, qui lui dit que les jeunes filles ne méritent pas moins qu’on prenne soin de leur éducation, & qui lui réprésente que si leur sexe les exclud des emplois, elles n’en sont pas moins pourvûës d’esprit, & que c’est trop les ravaller que de les borner à la quenouille & au fuseau.

Voilà pour ce qui regarde les Ouvrages en question, sçavoir la Pédotrophie de Scévole de Sainte-Marthe, & la Callipédie de Claude Quillet, deux morceaux qui sont des chefs-d’œuvre de Poësie ; mais ce n’est pas de Poësie qu’il s’agit. Je viens à présent au dessein que je me suis proposé dans cette Orthopédie.


Plan de cette Orthopédie.

Il est non-seulement permis d’avoir soin de la bonne grace du corps, mais ce soin, pourvu qu’il soit renfermé dans certaines bornes que la raison prescrit, & que chacun connoît assez, doit être recommandé. Nous sommes nés les uns pour les autres ; il faut éviter d’avoir rien de choquant, & quand on seroit seul dans le monde, il ne conviendroit pas de négliger son corps au point de le laisser devenir difforme ; ce seroit aller contre l’intention même du Créateur. C’est sur ce principe qu’est fondée cette Orthopédie. Je suppose que les parens ne sont pas tous comme cette bizare mere, qui voyant de très-belles dents à une jeune fille qu’elle avoit, lui fit arracher les plus belles, de peur que la jeune personne n’en tirât vanité, & que ce ne fût un obstacle[5] à son salut. Ce procédé me rappelle celui d’une autre mère aussi insensée, qui ayant une fille extrêmement bien faite, l’exhortoit sans cesse à pancher la tête, à avancer le col, & à marcher les pieds en dedans, lui disant pour raison, qu’il falloir éviter de plaire au monde.

J’écris pour des parens plus raisonnables. Le Traité que je leur présente, & où je me propose d’enseigner divers moyens simples & faciles pour prévenir & pour corriger dans les enfans les difformités du corps, contient quatre Livres.

Le premier, est une introduction aux trois autres, & renferme une notion générale de l’extérieur du corps.

Le second a pour objet l’art de prévenir & de corriger en particulier les difformités de la taille par rapport au tronc du corps ; dans lequel je comprends aussi la tête, mais seulement eu égard à la maniere de la tenir ; car pour la forme de la tête, pour la chevelure & pour le visage, ce sont trois articlees qui n’ont rien de commun avec la taille, & dont je traite à part.

Le troisiéme Livre, concerne les difformités des bras, des mains, des jambes & des pieds.

Il s’agit de celles de la tête dans le quatriéme ; sçavoir premierement, des difformités de la tête proprement dite ; secondement, de celles des cheveux ; troisiémement, de celles du visage.

Je considére le visage d’abord en général, pour ce qui concerne la mine ; puis en détail pour ce qui concerne les différentes parties qui le composent, dont les unes se présentent d’elles-mêmes comme le Front, les Sourcils, les Paupieres, les yeux, le Nez, les Joues, les Oreilles, les Lévres, le Menton, la Peau ; & dont les autres sont moins apparentes, comme les Gencives, les Dents & la Langue.

Je parle de ce dernier organe par rapport au Mutisme, au Bégayement ou Bredoüillement, & autres vices sensibles de la Langue pour ce qui regarde la parole.

Je ne considere dans tous ces articles, que les défauts extérieurs, je veux dire ceux qu’on ne sçauroit cacher, & qu’il est en même tems au pouvoir des peres & des meres de prévenir & de corriger dans leurs enfans, par les moyens que j’enseigne ici. Quand je parle, par exemple, des vices qui concernent les yeux, ce n’est pas pour enseigner de quelle maniere on guérit une goute sereine, ou comment on abbat une cataracte ; ces choses demandent des traitemens où il faut toutes les lumieres de la Médecine & toute la dextérité de la Chirurgie, mais c’est pour montrer aux parens ce qu’ils peuvent pratiquer eux-mêmes à l’égard de leurs enfans, afin de leur conserver ou de leur rendre la vûë droite & le regard agréable, de les empêcher de loucher, de clignoter, &c.

Lorsque tout de même je parle de l’oreille, ce n’est point pour enseigner à guérir une surdité ; mais comment il faut se conduire pour procurer ou pour conserver à une oreille la perfection extérieure qu’elle doit avoir, comme d’être bien couchée, bien plaquée, &c.

J’envisage premierement les parties dans leur perfection naturelle, & j’enseigne à les maintenir dans cet état de perfection ; puis je les considére par rapport aux difformités ausquelles elles peuvent être sujettes, & j’enseigne à corriger ces difformités, depuis celles qui attaquent la taille & le visage, jusqu’à celles qui attaquent les ongles les cheveux.

Je débute d’abord, ainsi que je l’ai dit, & qu’on le va voir, par une notion générale de l’extérieur du corps. C’est une espece d’inventaire que je fais de toutes les parties dont je dois parler dans la suite, mais avant que d’y venir, voici quelques additions qu’il convient de faire.


V.

Nous avons dit à la page quatriéme du Livre premier, que la paupiere inférieure est immobile, il faut ajouter le mot de presque, & voir sur cela ce qui a été remarqué dans le Livre quatriéme en parlant des paupieres, pag. 91. & 92. où nous avons montré que la paupière inférieure est véritablement mobile.

A la page 7. du même Livre premier, où il est parlé du nez, il est dit que l’épine du nez est une partie toute osseuse ; qu’à cette épine est attaché un cartilage qui va jusqu’au bout du nez ; que ce cartilage s’appelle l’Acromion ou globe du nez, & vulgairement les narines. Il faut ajoûter, qu’aux deux côté de l’Acromion, sont deux autres cartilages qu’on nomme les aîles du nez, que ces aîles sont ce qu’on appelle les narines.

Même Livre premier encore, à la page 46. il est dit que les yeux doivent être grands, & bien fendus, il faut après cela ajoûter que le nez en général doit être un peu long & médiocrement ouvert.

A la page 81. il est dit en parlant des enfans qui panchent la tête ; que si ce panchement de tête ne vient pas tout-à-fait de négligence, & qu’il soit considérable, on peut y remédier par le moyen d’un bandage, &c. Mais comme il ne s’agit pas ici de toute sorte de panchement de tête, mais de celui qui se fait en devant, il faut specifier ce panchement, & ajouter que si ce panchement de tête en devant, ne vient pas tout-à-fait de la négligence des enfans, & qu’il soit considérable, on y peut remédier par le moyen d’un bandage, &c.

A la page 57. il est dit que la tête est posée sur l’épine comme sur un pivot, il faut ajoûter qu’elle est posée sur d’épine comme sur un pivot, par rapport à la première vertebre. La même exactitude demande qu’on fasse la même addition à la page 77.

Dans le Livre second, à la page 67. il est dit, en parlant de cette chaise particulière pour les enfans, qu’on n’y voit point de creux, comme aux chaises de paille ordinaires, & que la vis qui empêche le creux ne paroît pas, à moins qu’on ne renverse la chaise, il faut ajoûter, ou qu’on ne la souleve.

Page 104. Après plusieurs rémédes que j’ai proposés auparavant pour le Goëtre, j’ai dit qu’on peut employer aussi le réméde suivant, qui est de prendre quatre petits morceaux de drap de diverses couleurs, excepté le verd, un peu d’éponge & une douzaine de cloportes ; que les morceaux de drap doivent être chacun du poids d’une once, & l’éponge de deux ; qu’il faut calciner tout cela, & quand on l’aura bien réduit en cendres, le partager en quatre doses égales, pour être prises en quatre jours, une chaque matin à jeun dans un œuf frais, &c.

Au lieu de dire que les morceaux de drap doivent être chacun du poids d’une once & l’éponge de deux, il faut dire que les morceaux de drap doivent être chacun du poids d’un gros & l’éponge d’autant.

Dans le quatriéme Livre tome 2. page 168. en parlant d’une poudre de Talc, bonne pour le teint, laquelle doit être mise à la cave dans un vaisseau de verre ou de fayance, il est dit qu’il faut l’y laisser jusqu’à ce qu’elle se réduise d’elle-même en eau. Il faut ajoûter, ou que du moins elle paroisse bien baignée d’eau.

Même page. Il est dit qu’il se fait une autre poudre de Talc qui n’a pas moins de vertu pour l’embellissement du teint, qui est de prendre une douzaine de limaçons à coquille, de les mettre dans une terrine avec trois onces de poudre de Talc, & de les laisser dans cette terrine jusqu’à ce qu’ils ayent dévoré la poudre, ou la plus grande partie, puis de les distiller. Il faut ajoûter, que les limaçons n’étant pas toujours également affamés, il est à propos d’en changer jusqu’à ce qu’ils dévorent la poudre, ce qui ne va gueres à plus de trois jours, & que si passé ce temps-là, ils ne la dévorent pas, c’est une marque qu’ils ne sont pas bons, & qu’il en faut d’autres.

Même Livre quatriéme à la page 101. il faut ajouter qu’il y a quelquefois deux rangs de cils l’un sur l’autre, & ensuite lire ces mots, sçavoir que deux sourcils l’un sur l’autre sont difformes sans être incommodes, mais qu’il n’en est pas de même des deux rangs de cils donc il s’agit, qu’ils sont difformes, & très-incommodes tout ensemble[6], parce qu’ils picotent l’œil, ce qui y cause de la douleur, & les fait larmoyer ; cette douleur même & ce larmoyement peuvent faire beaucoup de tort à l’œil, c’est pourquoi on n’y sçauroit rémédier trop tôt. Mais comment y rémédier ? c’est de tirer avec des pincettes bien fines ces petits poils, de maniere qu’on ne laisse que le rang qu’il faut. Ils obéïssent aisément quand l’enfant est bien jeune, pourvu qu’on les tire adroitement, car il faut y aller d’une main extrêmement legere.

Quand on les a tirés, on prend demi-once de beurre bien frais, on y mêle une dragme de fiel de brochet, deux scrupules de tutie, & trois ou quatre grains de camphre, puis on en frotte les paupieres un grand nombre de fois, pour empêcher les cils de recroître. Sinon l’on recommence comme auparavant à tirer les cils avec des pincettes, ce qui ne va gueres qu’à deux ou trois fois.

Nous avons divisé cette Préface en cinq articles ; le premier, comme nous l’avons vû, est l’explication du titre d’Orthopédie ; le second & troisiéme, l’extrait de la Pédotrophie de Sainte-Marthe, & de la Callipedie de Claude Quillet ; le quatriéme, le plan que nous nous sommes proposé dans cette Orthopédie ; & le cinquiéme enfin, quelques additions qu’il est à propos de faire dans cette même Orthopédie pour une plus grande exactitude.

Nous aurions pû ajouter quantité d’autres articles, si nous n’avions songé qu’à grossir une Préface ; & il ne nous auroit pas été difficile d’y joindre force lieux communs sur ce que c’est que les disgraces du corps ausquelles l’homme a le malheur d’être sujet ; mais nous avons crû devoir nous contenter du nécessaire, sans nous répandre en raisonnemens vagues & inutiles, qu’une matière comme celle-ci ne comporte pas ; en un mot, nous avons crû que nous ne devions point faire une Préface uniquement pour faire une Préface.



  1. Voyez ce que je dis de la cervelle de lievre dans mon Orthopédie à l’article des Dents.
  2. Et quamvis solium rutilo hoc sub dudum
    Fata mihi dederint ; fausto vix lumine possim
    Frangere naturam turpem rabiemque Leonis.

    Claud. Quill. Call. Lib. 2.

  3.             Stricto levum constringere node
    Testiculum
    .

  4. Quippe hodie virtutis amor studiumque pudoris
    Exulat, apparetque ullus vix cultor honesti.

  5. Cours d’Opérations de Chir. par feu M. Dionis.
  6. Est affectus quo duo vel tres pilorum ordines in extremitate palpebrarum enascuntur, atque continuè pungendo dolorem, pruritum aliasque in oculis modestias excitant. Zuinger. Theatr. Prax. Medic.