Tallandier (p. 137-151).

II


Les dames Dourzen, pendant l’hiver, avaient coutume de faire quelques séjours, plus ou moins longs, à Brest ou à Rennes, pour y jouir des distractions diverses qu’offraient ces villes où elles avaient d’assez nombreuses relations. Pendant la belle saison, elles allaient souvent à Quimper, dans les petites villes peu éloignées de Lesmélenc et chez les châtelains du voisinage. Leur existence devenait fort mondaine depuis que Rose était jeune fille. Sa mère, qui la proclamait une beauté accomplie, entendait la faire voir et admirer.

Ces absences étaient un grand soulagement pour Gwen. Bien que Mme Dourzen, en partant, l’accablât de besogne, elle jouissait néanmoins d’une liberté, d’une tranquillité inconnues autrement.

Depuis deux ans, Blanche avait comme cuisinière une femme d’une cinquantaine d’années, rude Cornouaillaise, taciturne, peu facile, mais infatigable travailleuse, bon cordon bleu et fort économe. Ces qualités faisaient passer sur tout le reste Mme Dourzen, rendue plus prudente, dans les manifestations de sa nature tatillonne et exigeante, par ses précédentes expériences ancillaires. Quant à Gwen, elle trouvait chez Françoise une sorte de silencieuse bienveillance et elle sentait que jamais cette femme ne dirait un mot qui pût lui être nuisible.

Au lendemain de la méchante algarade de Rose, Mme Dourzen partit dans l’après-midi avec ses filles, pour Combalez, le château du comte de Parnacé, où avait lieu une garden-party. L’aînée portait cette robe rose faite et brodée par Gwen, avec un goût parfait. Les Parnacé comptaient aujourd’hui sur la présence du vicomte Dougual de Penanscoët, arrivé depuis une dizaine de jours à Kermazenc, où l’avaient précédé ses parents. Et Rose Dourzen voulait paraître devant lui avec tous ses avantages, pour tenter la conquête de ce jeune descendant d’une vieille race armoricaine, qui était dans la lointaine Asie une sorte de prince fabuleux, et dont on racontait cent histoires qui le montraient sous le jour d’un homme adoré comme une idole, non seulement par ses sujets, mais encore par toutes les femmes qui se trouvaient sur sa route. Quand la petite automobile à quatre places, conduite par Hervé Dourzen, se fut éloignée, Gwen alla chercher son papier et ses couleurs d’aquarelliste, derrière une poutre du grenier où elle les cachait. Puis elle quitta la maison et, par un sentier entre des haies d’aubépine, gagna le bois qui avait donné son nom au logis des Dourzen. Un étroit chemin couvert de mousse descendait jusqu’à une petite grève que la mer couvrait en montant. Les jours de grande marée, elle baignait les pieds des vieux figuiers dont l’ombre s’étendait sur des roches d’un beau ton roux, striées de veines plus sombres, et qui prenaient, aux places éclairées par le soleil, des tons chauds que Gwen, depuis longtemps, souhaitait reproduire.

D’ailleurs les Roches Rouges étaient un des lieux qu’elle aimait particulièrement. Jamais elle n’y avait rencontré personne. Assise à l’ombre d’un figuier tordu par le vent de mer, elle avait sous les yeux la houle verte de l’océan, étincelante d’innombrables éclairs qui dansaient sur les flots caressés du soleil. Deux yachts se balançaient au large. Tous deux portaient le pavillon jaune à trois lotus blancs qui était celui du comte de Penanscoët, rajah de Pavala à Bornéo. Dix jours auparavant, il n’y avait qu’un seul de ces navires. Sans doute l’autre avait-il amené le jeune vicomte de Penanscoët.

Gwen disposait le papier sur ses genoux, choisissait parmi ses couleurs. Mais sa pensée n’était plus ici. Elle retournait à huit années en arrière, vers une nuit de lune, dans le parc de Kermazenc. Elle évoquait un petit temple hindou, près du lac fleuri de nénuphars, un jeune homme aux yeux clos, nonchalamment étendu, avec une belle jeune Hindoue à ses pieds. Elle entendait la grave et douce musique$, voyait les tentures brodées d’argent, les lampes d’or, le charmant visage de la jeune étrangère, qui exprimait une si fervente adoration.

Bien souvent, elle avait revu ce tableau en imagination. Elle y avait rêvé, avait bâti là-dessus des contes merveilleux. Depuis qu’elle savait Dougual de Penanscoët à Kermazenc, elle songeait parfois : « Je voudrais le revoir… mais pas dans un décor ordinaire. Et la belle Hindoue, est-elle là ?… Sans doute est-ce sa femme. Oh ! si j’osais, comme autrefois, j’irais un soir dans le parc et peut-être aurais-je la chance de les apercevoir encore. »

Car Gwen, si réfléchie, si sérieuse sur certains points, avait gardé son imagination ardente, son goût de l’aventure. Et celui-ci était plutôt cultivé par Mlle Herminie qui, elle aussi, sous ce rapport, était bien une Dourzen.

La songerie de la jeune fille fut tout à coup troublée par un bruit de pas sur le sable de la grève. Elle pensa : « Quel ennui ! Quelqu’un vient » Et elle se pencha pour regarder quels étaient ces importuns.

Elle vit deux cavaliers, dont l’un avançait à quelques pas devant l’autre et montait un admirable cheval blanc. Gwen reconnut d’un coup d’œil celui-là. C’était Douglas de Penanscoët.

À mesure qu’il approchait, elle distinguait mieux son visage légèrement bronzé, ferme et viril en dépit de sa finesse, et les yeux foncés, fiers et songeurs. Son compagnon, plus jeune de quelques années, était un mince garçon au teint brun clair, aux cheveux noirs et soyeux, coupés ras. Mais le regard de Gwen ne fit qu’effleurer celui-là, pour se reporter avec un palpitant intérêt sur Dougual de Penanscoët.

Le jeune châtelain avait arrêté son cheval. Il regardait vers la mer et Gwen ne voyait plus maintenant sa physionomie. Sa voix s’éleva, ferme, harmonieuse.

— Nous repartirons bientôt pour l’Asie, Willy. J’ai assez de l’Europe pour le moment.

Il avait parlé sans tourner la tête vers l’autre cavalier. Celui-ci fit avancer son cheval, en répondant quelques mots que Gwen ne comprit pas. Dougual eut un rire bref en ripostant :

— Mais oui, j’attendrai que la fête costumée ait eu lieu. Quoique, à vrai dire, ces réunions mondaines ne m’intéressent plus guère. Peu d’hommes s’élèvent au-dessus de l’insignifiance. Quant aux femmes… eh bien ! aucune n’a encore réussi à m’inspirer autre chose qu’un caprice de quelques jours ou de quelques mois.

— C’est que vous les considérez comme des créatures très inférieures, dit Willy.

— En demi-Asiatique que je suis… Oui, c’est cela… Je crois que la grève est encore libre à cette heure, jusqu’à Kermazenc, car la mer commence de monter seulement. Continuons.

Gwen, entre les roches sur lesquelles retombaient de longues traînes de feuillages, suivit des yeux les cavaliers. Tous deux montaient remarquablement bien. Willy, dans sa tenue, dans sa physionomie, avait quelque chose de l’élégance de race qui distinguait l’héritier de Penanscoët. Mais il ne possédait pas ce charme dominateur qui frappait dès le premier abord chez Dougual.

Quand ils eurent disparu, Gwen resta un long moment immobile, ses yeux chargés de rêves attachés sur les yachts que balançait la houle ensoleillée. Puis, d’un geste presque machinal, elle commença de dessiner… Mais ce qu’elle reproduisait là n’avait aucun rapport avec le spectacle qui se trouvait sous son regard. C’était un petit temple brahmanique, au bord d’un lac, et, dans ce temple, un nonchalant jeune homme sur un divan oriental, une jeune et belle Hindoue assise sur des coussins et jouant d’un instrument de son pays, puis, un peu plus loin, surgissant de l’ombre, le mince visage de Willy, ses yeux clairs dont Gwen avait remarqué la dureté, aujourd’hui comme autrefois, car ce jeune homme était bien le même que l’adolescent présent dans le petit temple, quand une fillette curieuse, pendant une nuit de lune, avait, derrière un bosquet de myrtes, contemplé avec émerveillement le Prince charmant et la belle princesse de l’Inde sur lesquels les lampes d’or répandaient leur douce et mystérieuse lumière.

Oui, voilà ce qui apparaissait peu à peu sous les doigts de Gwen. Et, quand ce fut fini, elle considéra l’aquarelle avec un mélange de surprise et de vive émotion.

« Il me semble que je n’ai rien fait d’aussi bien ! pensa-t-elle. Je vais voir si Mlle Herminie sera de mon avis. »

Elle avait, un jour, conté à sa protectrice cette escapade nocturne et décrit sa vision féerique de telle façon que Mlle Herminie avait dit en riant :

— Quelle richesse d’imagination et quel jeune cerveau romanesque ! Mais cela me plaît de te voir ainsi, enfant. Cela me plaît beaucoup.

Ce soir-là, quand la jeune fille se rendit chez Mlle Dourzen, elle emporta donc l’aquarelle et, sans mot dire, la mit sur la table, devant la vieille demoiselle assise près de la fenêtre ouverte. Puis elle prit place un peu plus loin, dans un petit fauteuil bas qu’elle aimait.

— Qu’est-ce que cela ? Une aquarelle… Ah ! ta vision d’autrefois… Très bien, très bien… Oui, vraiment, tout à fait réussi. Quand as-tu fait cela ?

— Cet après-midi, je venais de voir M. Dougual de Penanscoët sur la grève. Alors, ceci est venu sous mes doigts…

Mlle Herminie considéra de nouveau l’aquarelle, sourit un peu sarcastiquement et murmura :

— En effet… en effet…

Puis elle se tourna vers Gwen :

— Raconte-moi cela, Gwen.

Quand la jeune fille eut terminé son court récit, Mlle Herminie eut un petit rire sec.

— Voilà une déception pour Blanche Dourzen et ses filles ! Elles ne verront pas ce fameux jeune rajah chez les Parnacé… Rose avait, naturellement, mis sa plus élégante toilette ?

— Une robe que j’ai finie hier.

— Et pour laquelle tu as reçu les remerciements habituels ?

Un pli d’amertume un peu dédaigneuse souleva la lèvre de Gwen.

— Naturellement… Mais peu importe ! Je me cuirasse autant que possible contre les mauvais procédés, en attendant la liberté. Grâce à vous, je pourrai alors gagner mon existence de façon digne et suffisante.

— Oui, oui, ce fut là mon but… Et puis, tu te marieras sans doute.

Gwen eut un geste qui signifiait : « À cela, je ne pense guère ! »

Entre ses paupières mi-fermées, Mlle Herminie la considérait, depuis les fins petits pieds cambrés chaussés de souliers de toile grise soigneusement raccommodés, jusqu’à cette admirable chevelure aux tons d’or si chaud que Gwen coiffait de façon simple et seyante, sans aucune prétention. La jeune physionomie pensive prenait une expression ardente que Mlle Dourzen y avait vue plus d’une fois. Sa voix un peu basse et frémissante s’éleva, disant :

— Agir… agir, avoir un but dans la vie, donner du dévouement, de l’affection, voilà mon rêve, mon désir !

— Et connaître un peu de bonheur, n’est-ce pas, enfant ? Et être aimée ?

Les soyeux cils bruns battirent un instant sur les yeux, ardents et mystérieux comme l’océan sous la lumière.

— Oui, je voudrais qu’on m’aime un peu, murmura Gwen.

Mlle Herminie eut un sourire amusé. Elle savait bien que, jusqu’ici, rien n’avait troublé le cœur de sa protégée. Seule, sa vive imagination s’était donnée carrière, en de fantastiques rêveries qu’elle-même encourageait, par goût personnel pour tout ce qui était hors du commun, tout ce qui avait couleur romanesque ou apparence d’aventure.

— Allons, Gwen, joue-moi un peu de Bach.

Gwen se leva et alla s’asseoir devant le vieux piano à queue. Tandis qu’elle jouait, Mlle Herminie continuait de la regarder, tout en caressant le chat siamois qui venait de sauter sur ses genoux. Et dans les yeux clairs de la vieille demoiselle s’allumait une lueur de contentement sarcastique.

Macha, la femme de chambre, entra, apportant le plateau du thé. Quand elle l’eut posé sur une petite table, elle resta immobile, écoutant la musicienne avec un plaisir qui se reflétait sur son visage placide.

— Tu joues admirablement cette fugue, mon enfant, dit Mlle Herminie quand la jeune fille quitta la piano. Vraiment, j’ai là une élève qui me fait grand honneur… N’est-il pas vrai, Macha ?

— Oh ! Mlle Gwen réussit en tout ! répondit la Russe avec une conviction admirative.

Gwen eut un de ces sourires qu’on ne lui connaissait pas chez son tuteur et qui était une des séductions de cette physionomie aux expressions si changeantes.

— Je le voudrais bien, Macha ! Ce serait très agréable !

— Mais cela ferait mourir de rage Mme Blanche Dourzen, dit ironiquement Mlle Herminie. Voilà qui serait trop dommage ! Sers-nous le thé, Gwen. Macha t’a fabriqué un de ces gâteaux que tu aimes.

De nouveau, le doux sourire charmeur parut sur les lèvres de la jeune fille pour remercier la bonne créature de son attention.

Macha était la fille de petits commerçants, échappée de la Russie bolcheviste et que Mlle Herminie avait prise à son service quinze ans auparavant. Depuis lors, elle ne l’avait plus quittée, s’attachant jusqu’au plus complet dévouement à cette maîtresse égoïste, assez fantasque, mais qui l’appréciait et la traitait un peu en confidente. Macha s’était prise d’affection pour la petite orpheline recueillie à Coatbez et avait pour elle des attentions auxquelles n’aurait jamais songé Mlle Dourzen.

Quand le thé fut servi, Gwen s’assit pour faire une lecture à haute voix, dans un volume qui venait d’arriver aujourd’hui même. C’était un ouvrage sur les contrées asiatiques. L’auteur parlait d’un mouvement mystérieux qui, depuis une dizaine d’années, semblait se produire parmi les peuples de ces pays, battant en brèche l’influence européenne, la faisant reculer lentement, mais sûrement. Jusqu’alors, on n’en avait pu connaître la source ni les moyens d’action. Les uns parlaient d’une puissante société secrète, les autres d’un homme doué d’un pouvoir prodigieux qui serait le conquérant et le maître d’un immense empire asiatique. Mais, en réalité, l’énigme restait à peu près complète, bien que certains faits, depuis quelque temps surtout, eussent inquiété les pays pourvus de colonies dans ces contrées et incité leurs gouvernements à s’en préoccuper.

— C’est très intéressant, dit Mlle Herminie, quand Gwen eut terminé le second chapitre. J’avais déjà lu dans mon journal un article à ce sujet, et c’est pourquoi j’ai fait venir ce livre. Vers la fin, j’ai vu qu’il y avait une fort curieuse étude sur Bornéo, Java et les îles de la Malaisie. Tu me liras cela demain.

— Bornéo, c’est là que le comte de Penanscoët est rajah, n’est-ce pas ?

— Oui. Il a associé son fils à sa souveraineté, paraît-il. Là-bas, on a découvert des mines fabuleuses ; dans les forêts se trouvent les essences les plus rares. Aussi la fortune de ces Penanscoët est-elle incalculable. Singulières gens ! Et mystérieux, vraiment ! Ils mènent pendant plusieurs mois l’existence la plus mondaine à Londres, à Paris ou ailleurs, puis ils disparaissent pendant d’autres mois. Sans doute, alors, vont-ils exercer leur souveraineté là-bas, dans ce Pavala où ils ne reçoivent pas d’Européens, où, assure-t-on, ils mènent l’existence de petits despotes asiatiques. On dirait, d’autres que ceux-là, qu’ils sont des aventuriers. Mais le mot s’applique mal à Ivor de Penanscoët, qui a gardé son air grand seigneur — et encore moins à son fils, pour si peu que je le connaisse.

— Vous n’êtes jamais allée chez eux, n’est-ce pas, mademoiselle ?

— Non, ma petite. Ils n’ont jamais pensé à moi, et ce n’est pas cette bonne Blanche qui m’aurait rappelée à leur souvenir.

Un petit rire moqueur ponctua la phrase.

— … Mais je ne me souciais guère d’entrer en relation avec de si grands personnages, qui auraient considéré avec dédain cette cousine pauvre et pas belle. Mme Blanche en a jugé autrement, pour son propre compte. Elle se figure peut-être que Dougual de Penanscoët va tomber amoureux de sa Rose, sa blonde et fade Rose !

Un rire secoua Mlle Herminie à cette idée.

— … Oui, oui, elle est bien capable d’ambitions de ce genre ! Aussi doivent-elles être dans tous leurs états, ces dames, au sujet de la fête costumée ? N’est-il point spécifié que l’on doit choisir parmi les costumes asiatiques ?

— En effet. Rose sera en Hindoue.

— Hum ! Elle ne paraîtra pas à son avantage ! Et l’autre ?

— En Chinoise. Mme Dourzen revêtira le kimono japonais.

Mlle Herminie rit de nouveau.

— Ah ! ce sera amusant de la voir ! Quelles mines, quels airs, va-t-elle prendre ? Rien que pour la contempler, j’ai envie de me travestir aussi, ce jour-là, et de me glisser parmi les invités de Kermazenc !

— Vous le pourriez sans inconvénient, puisque tous doivent avoir un masque, lequel devra être enlevé seulement dans la seconde partie de la soirée.

— Non, malgré tout, j’aime mieux rester tranquillement ici. Ces escapades ne sont plus de mon âge.

Gwen, d’un geste machinal, tourna quelques pages du livre. Mlle Herminie considérait son visage pensif, sa bouche un peu crispée. Elle dit, après un moment de silence :

— Tu aimerais cette fête, toi, Gwen. Dans le cadre de Kermazenc, elle sera probablement féerique.

Les beaux yeux assombris se tournèrent vers la vieille demoiselle, tandis que Gwen ripostait, avec un rire léger nuancé d’amertume :

— Ce ne serait pas la place d’une paria comme moi, mademoiselle !

— Une paria ! Tu ne le serais pas pour tous, va, ma belle enfant, et je parie que la séduisante Rose Dourzen n’existerait pas près de toi, si tu paraissais devant Dougual de Penanscoët !

Un peu de rougeur monta aux joues de Gwen. Ses cils frémirent un instant sur les yeux éclairés par une soudaine émotion.

— Vous plaisantez, mademoiselle ! murmura-t-elle.

Mlle Herminie eut un hochement de tête, un petit sourire amusé. Puis elle parla d’autre chose. Mais elle semblait distraite et Gwen l’était aussi. Peu après, la jeune fille prit congé. Macha l’accompagna dans la cour et revint au salon où sa maîtresse, la mine songeuse, caressait le chat toujours étendu sur ses genoux.

— Seigneur ! mademoiselle, elle devient chaque jour plus belle ! s’écria la femme de chambre en joignant les mains.

Mlle Herminie approuva de la tête.

— … Quelle physionomie séduisante ! Et des yeux comme je n’en ai jamais vu !

Le rire sardonique de Mlle Dourzen se fit entendre.

— C’est bien pour cela que Mme Blanche et ses filles l’ont en exécration ! Si elles savaient, de plus, combien Gwen, au point de vue intellectuel, leur est infiniment supérieure… Ah ! ma bonne Macha, elles en deviendraient folles !

Cette idée paraissait beaucoup réjouir Mlle Herminie. Une malice narquoise luisait dans ses yeux et s’accentua encore tandis qu’un instant après elle murmurait :

— Tiens, tiens !… Mais pourquoi pas ? Oui, ce serait bien amusant !

Macha la regardait, non sans quelque anxiété. La vieille demoiselle dit avec une gaieté railleuse :

— Vous vous demandez à quoi je pense ? Je vous l’apprendrai un de ces jours. Mais il faut auparavant que j’y réfléchisse… Et demain, vous viendrez avec moi dans le grenier pour m’aider à chercher quelque chose dans les malles de mon arrière-grand-mère.