L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/VII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 69-70).

SECTION VII.
Du Sublime.

Tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur et du danger ; c’est-à-dire, tout ce qui est en quelque sorte terrible, tout ce qui traite d’objets terribles, tout ce qui agit d’une manière analogue à la terreur, est une source du sublime ; ou, si l’on veut, peut susciter la plus forte émotion que l’ame soit capable de sentir. Je dis la plus forte émotion, parce que je suis convaincu que les idées de la douleur sont plus puissantes que celles qui viennent du plaisir. Il est hors de doute qu’il existe des tourmens dont les effets sur l’ame et sur le corps doivent être plus énergiques que tous les plaisirs que pourraient inventer les imaginations les plus vives et les plus voluptueuses, et dont pourraient jouir les organes les plus sensibles. Je doute même qu’il se trouvât un homme qui voulût acheter une vie de bonheur parfait avec la condition de la finir dans les tourmens que la justice infligea en quelques heures au dernier régicide de France. Mais si la douleur agit plus puissamment que le plaisir, elle touche moins que l’idée de la mort ; parce qu’il y a peu de douleurs, même des plus cruelles, qu’on ne préfère à la mort ; et ce qui ajoute à l’horreur de la douleur elle-même, n’est-ce pas qu’on la considère comme un émissaire de cette reine des terreurs. Lorsque le danger et la douleur pressent de trop près, ils ne peuvent donner aucun délice ; ils sont simplement terribles : mais à certaines distances, et avec certaines modifications, ces affections peuvent devenir et deviennent réellement délicieuses : c’est ce qui est confirmé par une expérience journalière. J’essaierai bientôt d’en découvrir la cause.