L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV XIX

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 266-269).

SECTION XIX.
De la cause physique de l’Amour.

Lorsqu’il se présente à nos yeux des objets qui plaisent et font naître l’amour, le corps, autant que j’ai pu le remarquer, affecte cette disposition : la tête penche légèrement d’un côté ; les paupières se baissent plus que de coutume, et les yeux roulent doucement en se portant vers l’objet ; la bouche est un peu ouverte, elle respire lentement et laisse aller de tems en tems un faible soupir ; tout le corps est composé, et les mains tombent négligemment sur les côtés. Cette attitude et ces mouvemens sont accompagnés d’un sentiment intérieur de langueur et d’attendrissement, et toujours proportionnés à la beauté de l’objet et à la sensibilité de l’observateur. Sur-tout qu’on ne perde point de vue cette gradation depuis le plus haut degré de beauté et de sensibilité, jusqu’au plus bas de médiocrité et d’indifférence, non plus que les effets qui y correspondent, sans quoi cette description paraîtrait exagérée, et certainement elle ne l’est pas. Il est presque impossible de ne pas conclure de cette description, que l’action de la beauté est de relâcher les solides de tout le corps. Il offre réellement toutes les apparences de ce relâchement, et, selon moi, c’est un relâchement un peu au-dessous du ton naturel qui est la cause de tout plaisir positif. Qui ne connaît pas ces expressions si communes dans tous les tems et dans tous les pays, d’être amolli, relâché, énervé, dissous, anéanti par le plaisir ? La voix universelle du genre humain, fidèle à nos sentimens, s’élève pour affirmer cet effet général et uniforme : et quoiqu’on trouve peut-être quelque exemple bisarre et particulier qui montre un grand degré de plaisir positif sans aucun caractère de relâchement, nous ne devons point pour cela rejeter la conclusion que nous avons tirée d’un concours de plusieurs expériences ; attachons-nous y, au contraire, en admettant les exceptions qui peuvent se rencontrer, conformément à la règle judicieuse établie par Newton dans le troisième livre de son optique. Je crois que ce que nous avons avancé paraîtra confirmé au-delà de tout doute raisonnable, si nous pouvons montrer que les choses que nous avons reconnues pour être les propres élémens de la beauté, ont, chacune prise à part, une tendance naturelle à relâcher les fibres. Si l’on doit nous accorder que la vue du corps humain, lorsque tous ces élémens sont réunis devant le sensorium, favorise encore plus cette opinion, je pense que nous pouvons hardiment conclure que la passion qu’on appelle amour, est produite par ce relâchement. En raisonnant suivant la méthode que nous avons observée dans la recherche concernant les causes du sublime, nous pouvons pareillement conclure que, comme un bel objet présenté aux sens, en causant un relâchement dans le corps, fait naitre dans l’ame la passion de l’amour ; de même, si par des moyens quelconques la passion est d’abord excitée dans l’ame, il s’ensuivra aussi certainement dans les organes extérieurs un relâchement proportionné à la cause.