L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIV X

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 245-247).

SECTION X.
Pourquoi l’unité est nécessaire à la grandeur détendue.

On objectera peut-être à ce système, que l’œil reçoit généralement un nombre égal de rayons dans tous les tems, et qu’ainsi un grand objet ne peut pas l’affecter par le nombre des rayons, plus que cette variété d’objets que l’œil discerne toujours tant qu’il est ouvert. À cela je répondrai qu’en admettant qu’un nombre égal de rayons, ou qu’une égale quantité de particules lumineuses, frappe l’œil en tout tems, cependant, si ces rayons changent souvent de nature, qu’ils soient tantôt rouges, tantôt bleus, et d’autres couleurs ; ou de manière de se terminer, et qu’ils présentent tantôt un carré, tantôt un triangle, et d’autres figures, à chaque changement de couleur ou de figure, l’organe tombe dans une sorte de relâche ou de repos ; mais ce passage successif et si rapide du relâche au travail, et du travail au relâche, est bien loin de produire un état d’aise : il n’a pas non plus l’effet d’un travail vigoureux et uniforme.

Quiconque a remarqué les effets différens d’un exercice violent, et d’une action petite et minutieuse, comprendra pourquoi il n’y a rien de sublime dans une occupation inquiétante et désagréable, qui fatigue et affaiblit le corps. Ces sortes d’impulsions, qui sont plutôt chagrinantes que douloureuses, en changeant continuellement et subitement de nature et de direction, empêchent cette tension pleine, cette espèce de travail uniforme qui s’allie à une douleur énergique, et qui produit le sublime. La somme totale de choses de différentes espèces, égalât-elle le nombre des parties uniformes qui composent un objet entier, ne les égale point dans son effet sur les organes du corps. Outre la raison que nous avons donnée de cette différence, il en est une autre bien puissante. Il est réellement difficile que l’esprit s’occupe attentivement de plus d’une chose à la fois ; si cette chose est petite, l’effet l’est aussi, et un certain nombre d’autres petits objets ne peut engager l’attention : l’esprit s’enferme dans les bornes de l’objet ; et la chose dont on ne s’occupe pas, et celle qui n’existe pas, sont par l’effet une même chose : mais l’œil, on l’esprit, car dans ce cas-ci il n’y a nulle différence, lorsqu’il s’applique à des objets grands et uniformes, n’en atteint pas les bornes tout d’un coup ; il n’a point de repos tandis qu’il le contemple ; l’image est presque la même par-tout : ainsi, tout objet grand par sa quantité, doit nécessairement être un, simple et entier.