L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PII VII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 129-131).

SECTION VII.
Le vaste.

La grandeur de dimension est une puissante cause du sublime[1]. Cette proposition est trop évidente et l’observation trop commune pour avoir besoin d’éclaircissement. Il n’est pas aussi commun de considérer dans quels sens la grandeur de dimension, le vaste en étendue, ou la quantité, a l’effet le plus frappant ; car sûrement il y a certains sens et certains modes dans ; lesquels une même quantité d’extension produira de plus grands effets que dans d’autres. L’extension est ou en longueur, ou en hauteur, ou en profondeur. De ces trois dimensions, la longueur est celle qui frappe le moins ; un terrain plat de cent verges d’étendue ne produira jamais un aussi grand effet qu’une tour de cent verges de haut, ou qu’un rocher ou une montagne de la même hauteur. Je suis également porté à croire que la hauteur est moins grande en ses effets que la profondeur, et que la sensation que l’on éprouve en regardant au fond d’un précipice, est plus forte que celle que cause l’aspect d’un objet aussi élevé que le précipice est profond : mais c’est une chose que je ne donnerai pas pour certaine [2]. La perpendiculaire est plus voisine du sublime que le plan incliné ; et il semble qu’une surface rude et brisée a de plus grands effets qu’une surface douce et polie. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner la cause de ces apparences ; mais il est certain qu’elles offrent à la spéculation un champ vaste et fertile. Cependant il peut ne pas être inutile d’ajouter à ces remarques que comme l’extrême grandeur de dimension est sublime, le dernier degré de la petitesse l’est aussi en quelque façon : lorsque nous appliquons notre esprit à la divisibilité infinie de la matière, que nous poursuivons la vie animale jusques dans ces êtres, excessivement petits et cependant organisés, qui échappent à la plus délicate perquisition des sens ; lorsque nous poussons nos découvertes encore plus avant, et que nous considérons ces créatures plus petites encore de tant de degrés, et l’échelle toujours décroissante de l’existence, où se perdent à la fois nos sens et notre imagination, nous demeurons étonnés, confondus des merveilles de la petitesse ; nous ne pouvons distinguer dans ses effets cette extrême petitesse de l’immensité même ; car la division doit être infinie comme l’addition, parce qu’il n’est pas plus possible d’arriver à l’idée d’une unité parfaite, qu’à celle d’un tout complet auquel rien ne puisse être ajouté.

    Pitt ; le vrai moyen d’imiter mon original était d’en donner une aussi bonne en vers français ; je remercie M. Gaston, qui s’annonce heureusement comme un émule de M. Delile, de m’avoir tiré d’embarras.

  1. Voyez partie IV, sect. 9.
  2. Je pense que l’auteur aurait pu affirmer ce qu’il propose comme un doute ; puisqu’à la sensation qu’on éprouve à la vue d’un précipice, se joint nécessairement l’idée du danger de s’y laisser tomber ; ce qui ne peut arriver à l’égard d’un objet élevé.