L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIII XIII

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 201-203).

SECTION XIII.
Les beaux objets sont petits.

La première chose qui se présente en examinant un objet, c’est son étendue ou sa quantité. Pour savoir "quel degré d’étendue convient aux corps que l’on regarde comme beaux, il ne faut que réfléchir à la manière dont on l’exprime. J’ai entendu dire que dans presque toutes les langues, on qualifie les objets d’amour avec des épithètes diminutives ; c’est ce qui a lieu dans celles dont j’ai quelque connaissance. En grec le ιαν et d’autres mots diminutifs sont presque toujours des termes d’affection et de tendresse. Les Grecs ajoutaient communément ces diminutifs aux noms des personnes avec qui ils vivaient amicalement et familièrement. Quoique les Romains eussent des sentimens moins vifs et moins délicats, cependant, dans les mêmes circonstances, ils glissaient quelquefois dans les terminaisons diminutives. Anciennement, dans la langue anglaise, on joignait le diminutif ling aux noms des personnes et des choses qui inspiraient un sentiment d’amour ; nous en conservons encore quelques-uns, comme darling, qui n’est autre, que little dear (cher petit). Mais aujourd’hui, dans la conversation, il est d’usage de qualifier tout ce qu’on aime du nom caressant de petit : les Français et les Italiens emploient encore plus fréquemment ces diminutifs d’affection. Dans la création animale, hors de notre propre espèce, c’est pour le petit que notre choix se détermine : nous aimons les petits oiseaux, et quelques-uns des plus petits quadrupèdes. Une grande et belle chose est une expression à peine connue ; au lieu qu’on dit fréquemment, une grande et laide chose. La différence est immense entre l’admiration et l’amour. Le sublime, qui cause le premier de ces sentimens, s’attache toujours aux grands objets et aux terribles ; le second, aux petits et aux agréables : nous nous soumettons à. ce que nous admirons, mais nous aimons ce qui se soumet à nous : dans le premier cas nous sommes forcés à la complaisance, elle nous flatte dans le second. Enfin, les idées du sublime et du beau reposent sur des bases si différentes, qu’il est difficile, j’avais presque dit impossible, de penser à les concilier dans le même sujet, sans diminuer considérablement l’effet qu’a l’un ou l’autre sur les passions : ainsi, par rapport à leur quantité, les beaux objeti sont comparativement petits.