L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/IX

Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 73-74).

SECTION IX.
Cause finale de la différence entre les passions relatives à la conservation de soi, et celles, relatives à la société des sexes.

La cause finale de la différence de caractère entre les passions qui concernent la conservation de soi, et celles qui sont dirigées à la multiplication des espèces, jettera un plus grand jour sur les remarques précédentes ; d’ailleurs, je la crois, par elle-même, digne d’être examinée. Comme l’accomplissement de nos devoirs en tout genre dépend de la vie, et comme il dépend de la santé que nous nous en acquittions avec vigueur et efficacité, tout ce qui menace de destruction l’un ou l’autre de ces états, fait une forte impression sur notre âme : mais comme il ne tient pas à nous d’acquiescer à la vie et à la santé, la simple jouissance n’en est accompagnée d’aucun plaisir réel, de peur que, satisfaits de cela, nous ne nous, abandonnions à l’indolence et à l’inaction. D’autre part, la génération du genre humain est un grand dessein que les hommes doivent être sollicités à poursuivre par un puissant aiguillon. Aussi est-elle accompagnée du plus vif. des plaisirs : mais n’étant nullement destinés à en faire notre occupation constante, il ne faut pas que l’absence de ce plaisir soit suivie d’aucune grande douleur. La différence des hommes avec les brutes, semble, en ce point, très-remarquable. Les hommes sont dans tous tes tems assez également disposés aux plaisirs de l’amour, parce que la raison leur prescrit le tems et la manière de s’y livrer. Si la privation de cette jouissance eût causé quelque grande douleur la raison, je le crains, se serait difficilement bien acquittée de son emploi. Mais les brutes, qui suivent des lois dans l’exécution desquelles leur raison a fort peu de part, ont, pour multiplier leurs espèces, des saisons invariablement fixées : il est probable que dans ces tems, l’impossibilité de satisfaire ce besoin est accompagnée d’une sensation très-pénible, parce que la fin doit être remplie, ou être manquée en plusieurs individus peut-être pour toujours, puisque l’inclination ne revient qu’avec la saison qui lui est propre.