L’Orient (Gautier)/Égypte. — II. Alexandrie

Fasquelle (2p. 136-155).

II

ALEXANDRIE

L’approche du port a cette propriété de guérir le mal de mer mieux que les bonbons de Malte et autres panacées impuissantes. Tout le monde était sur le pont, parfaitement guéri, et regardait à grand renfort de lorgnettes le rivage qui émergeait avec rapidité. Les édifices se dessinaient distinctement, et les palais élevaient au-dessus des maisons plus basses leurs grandes façades bleues. Quelques minarets donnaient à cette silhouette une physionomie orientale. La colonne de Pompée se dressait comme un phare avec son large chapiteau. Une faible brise faisait tourner lentement les huit ailes des moulins, dont l’aspect nous rappelait les moulins de Syra. Çà et là s’épanouissaient des dattiers, comme des plumeaux dont le manche serait planté en terre, et sur tout cela s’étendait un ciel pâle à force d’être lumineux.

Dans la rade se pressait une affluence extraordinaire de vaisseaux de toutes nations : anglais, américains, autrichiens, italiens, français, dont les pavillons faisaient briller joyeusement leurs couleurs au soleil, et qui formaient avec leurs mâtures et leurs cordages une forêt sans feuilles, à travers laquelle voltigeaient en guise d’oiseaux des matelots occupés de quelque besogne. Il y avait des navires voiliers et des bateaux à vapeur en plus grand nombre, la poésie et la prose de la marine. Rien de plus gai qu’un pareil spectacle. L’activité humaine y paraît en tout son jour, et à une ville qui n’a pas de port de mer il manque toujours quelque chose. C’est un charmant coup d’œil que tous ces vaisseaux, avec les figures sculptées et dorées de leurs proues, les lignes peintes de leur ceinture, leur bordage de cuivre vert-de-grisé par l’eau de mer lorsqu’ils arrivent de l’Inde ou de la Chine, et n’ont pas encore eu le temps de faire leur toilette ; leurs mâts aussi hauts que des flèches de cathédrales ; leurs huniers semblables à des balcons de minarets ; leurs haubans qui rappellent le balancier des acrobates ; le délicat fouillis de leurs agrès, dont la ténuité semble défier le pinceau ; leurs cheminées zébrées de noir, de blanc ou de jaune ; leurs tambours arrondis en disques ; leurs noms inscrits à l’arrière, sur la planche du couronnement, parfois en arabe, en grec ou en russe ; leurs chaloupes élégamment suspendues, et tout cet ensemble de détails, si compliqués et si précis, de choses si fortes et en apparence si légères !

Dès que le Mœris eut jeté l’ancre à une assez grande distance encore du rivage, — car les navires d’un fort tonnage ne peuvent aborder directement le quai, — il se détacha de la jetée un grand nombre de barques, de canots et de bateaux à vapeur mouches. L’hospitalité du khédive venait au-devant de nous. Tout cela se hâtait et dansait sur l’eau agitée, où la lumière se brisait en mille éclats, comme sur un miroir cassé. Les uns allaient à la voile, les autres à la rame, mais le vapeur-mouche, portant à son pavillon rouge l’étoile et le croissant, les laissait aisément en arrière. On distinguait déjà dans les embarcations la variété de types et de costumes qui rend les ports d’Afrique si amusants.

Nubar-Pacha, Colutti-Dey, gouverneur d’Alexandrie, et leur suite eurent bientôt gravi l’échelle du Mœris. Nubar savait déjà notre accident, et il nous témoigna toute la part qu’il y prenait en nous remerciant de ne pas nous être laissé décourager par ce début fâcheux. Les politesses échangées, le transbordement des colis commença, et ce ne fut pas une petite affaire. Malgré l’empressement des portefaix de toutes couleurs à recevoir les paquets que les matelots tiraient de la cale, c’était un fourmillement tumultueux, où s’échangeaient des imprécations polyglottes. On se coudoyait, on se heurtait, on s’étouffait, on se poussait au sommet de l’échelle, au risque de tomber dans la mer ou dans la barque, ce qui eût été plus grave. Enfin, la cascade de malles se modéra un peu et finit par tarir, et nous pûmes descendre soutenu par notre camarade. Une caisse sur la dunette nous servit de siége, et au bout de quelques minutes nous étions à terre, sur une plage de sable.

Sur cette plage grouillait, aux rayons d’un soleil brûlant, dont la chaleur nous enveloppa soudain comme l’atmosphère d’une étuve, une foule bariolée de nègres, de cophtes, de fellahs, de barabras, de Grecs, de Maltais, contenue à grand’peine par les employés du khédive, jeunes gens de manières distinguées, reconnaissables à leur tarbouch officiel, chargés d’accueillir au débarquement les invités d’Europe et de les diriger vers leurs hôtels respectifs. Le problème difficile à résoudre dans cette mêlée était de ne pas se séparer de ses malles. Vingt bras de toutes couleurs se tendaient pour le moindre colis. Deux ou trois gaillards herculéens se disputaient avec des empressements furieux un carton à chapeau ou un sac de nuit ; et celui qui était parvenu à s’emparer d’une caisse quelconque commençait à courir vers la ville, sans savoir où allait le voyageur. Les inspecteurs parvinrent à modérer ce zèle excessif, et les bagages furent chargés près de leurs maîtres, sur des calèches qui attendaient un peu plus loin. Les cochers des races les plus diverses, les uns en robe blanche et en turban, les autres avec la tunique bleue et le bonnet de feutre du fellah, ceux-ci portant les larges pantalons et le fez à houppe bleue du Grec des Îles, ceux-là dans un costume franc qu’on aurait pu croire emprunté à la garde-robe de Robert Macaire, agitaient leur fouet, et les voyageurs, à peine assis, partaient au galop à travers la foule compacte qui trouvait moyen de s’entr’ouvrir aux cris des saïs précédant les voitures.

Nous avions beau recommander à notre cocher d’aller doucement à cause de notre bras, il modérait un instant l’allure de ses bêtes, puis il reprenait le galop, humilié d’aller au pas. Avec quelle avidité nous regardions autour de nous, saisissant au vol le moindre détail caractéristique ! Rien ne produit l’impression de ce premier coup d’œil. Alexandrie n’est pas une ville purement orientale, mais elle a plus de cachet que ne le disent les voyageurs. Malgré les formes maladroitement européennes qu’affectent les belles maisons, on sent bien qu’on est en Afrique. Ici, une porte est encadrée d’ornements sculptés dans le goût turc ; là, un moucharabieh laisse entrevoir, à travers ses fines découpures, une silhouette de femme qui regarde ; plus loin, un étage surplombe, une maison se termine en terrasse, un dattier darde au-dessus d’une muraille sa colonne surmontée d’un chapiteau de feuilles. À un coin de rue apparaît une femme masquée comme un domino ; des âniers demi-nus poussent devant eux leurs baudets, et un chameau s’avance à pas comptés, balançant son long col.

On arriva bientôt à l’hôtel d’Angleterre, dont la porte était obstruée par une émeute de calèches et de porteurs. L’ordre se rétablit peu à peu. Le logement de chaque invité était désigné d’avance, et les accommodations particulières pour ne pas séparer des groupes d’amis ou de connaissances ne furent pas longues à régler ; et chacun, suivi de fellahs pliant sous les paquets et précédé de garçons d’une politesse parfaite, se dirigea vers sa chambre, en montant un vaste escalier à la rampe peinte en vert.

Notre logement encadrait dans sa large fenêtre un grand morceau de mer et un pan du ciel où voltigeaient les mouettes. Les vagues, dont le dernier pli venait se briser en écume sur les rochers au pied de l’hôtel, balançaient en ce moment quelques barques à voile dont la manœuvre nous amusait et nous consolait un peu de ne pouvoir courir la ville comme nos compagnons : non que nous ne pussions marcher, mais dans cette foule affairée, à travers cet encombrement de chevaux, d’ânes, de chameaux et de véhicules de toute espèce, nous craignions pour notre bras, si récemment raccommodé, quelque heurt fâcheux. D’ailleurs, nous devions, le lendemain même, à neuf heures du matin, prendre la voie ferrée pour le Caire, et nous avions besoin, pour réparer nos forces, d’un peu de repos sur un plancher moins mobile que celui du navire. Nous restâmes donc là, admirant le bleu glauque de la mer, assis dans notre fauteuil, jusqu’à l’heure du dîner, qui fut servi dans une immense verandah ornée de lataniers et de plantes tropicales aux larges feuilles, aérée par les brises de la rade, sur laquelle ses baies prenaient jour.

Des domestiques en habit noir, cravatés de blanc, aussi corrects de tenue que ceux de l’hôtel de la Paix, circulaient avec un empressement silencieux autour de la table, en fer à cheval, garnie de convives affamés, dont la plupart n’avaient rien mangé depuis Marseille. Ils prenaient les plats des mains des serviteurs indigènes, en robe longue et en turban, qui les apportaient de l’office ou de la cuisine ; de nombreuses bouteilles, coiffées de capsules en paillon brillant, plastronnées d’étiquettes pompeuses, et portant des noms de grands crus, se succédaient rapidement et ne démentaient pas trop leurs illustres attributions. Chacun était visiblement heureux de n’avoir plus devant lui une assiette fixée entre deux coulisseaux, et de pouvoir porter son verre à sa bouche sans qu’un coup de roulis lui en fît répandre le contenu dans sa barbe ou dans son gilet. On formait de joyeux projets, et l’on s’enthousiasmait d’avance pour les merveilles qu’on allait voir. Les cigares allumés, le café pris, les voyageurs s’en allèrent par petites bandes parcourir les vieux quartiers de la ville, toujours les plus pittoresques, et se donner le spectacle si curieux d’une ville orientale la nuit.

Tout le monde fut sur pied de bonne heure, et chacun se lesta, qui d’une tasse de café, qui d’un bol de bouillon ou de thé, qui d’un morceau de viande froide, selon son appétit. Le vrai déjeuner devait avoir lieu en route, à une station. Les calèches accoururent, et l’on se dirigea vers le chemin de fer, dont le terminus se trouve à l’autre bout de la ville. Dans le trajet, notre curiosité tâchait de se dédommager de ses privations de la veille. Aux maisons de ce style italien-oriental que nous devions retrouver si souvent, se mêlaient des cahutes bâties de matériaux disparates, des boutiques et des cafés, et des cabarets, historiés d’enseignes en italien, en anglais, en français, en arabe, en grec, que nos souvenirs de collège nous permettaient de déchiffrer, quand la voiture, retardée par quelque encombrement, n’allait pas trop vite. Nous suivions une nouvelle voie, récemment ouverte à travers une forêt de dattiers, dont les racines, parfois mises à nu, s’accrochaient bizarrement aux talus de la tranchée.

Quelques-uns de ces beaux arbres, ébranlés parla pioche, penchaient d’une façon hasardeuse, d’autres restaient debout comme les dernières colonnes d’un temple ruiné. Sur la chaussée, parmi des flots de poussière, passaient des files de chameaux chargés de pierres ou de cannes à sucre, trottinaient de leur pas rapide et menu, des baudets talonnés par leurs âniers ; piaffaient et galopaient des chevaux hardiment montés ; grinçaient des chars primitifs attelés de buffles ; se hâtaient des piétons ayant la plupart quelque fardeau en équilibre sur la tête, et s’agitaient des arroseurs publics aspergeant la route au moyen d’une outre, remplie d’eau, suspendue sur leurs reins par des courroies, et dont ils faisaient jaillir le contenu en la pressant. Un ciel d’une lumière éclatante, mais beaucoup moins chargé de cobalt et d’outremer que les peintres ne le représentent habituellement, s’étendait au-dessus de ce panorama, d’une nouveauté saisissante pour des yeux européens.

La gare du chemin de fer égyptien n’a rien de caractéristique et ressemble à toutes les gares de chemins de fer possible ; mais la foule qui en encombre les abords vous rappelle tout de suite que vous avez quitté l’Europe. À voir ces teints basanés, ces faces aux pommettes saillantes, au vague sourire de sphinx, ces longues robes flottantes, ces tuniques serrées autour du corps par une corde en poil de chameau, comme celles des pasteurs bibliques, ces turbans enroulés, ces calottes rouges à floches de soie, ces masques dont la barbe prolongée descend jusqu’aux genoux, on sent bien qu’on n’est pas à la gare de l’Ouest, se disposant à prendre son billet pour Auteuil, Versailles ou Saint-Germain.

C’était ce matin-là un pêle-mêle effroyable de cawas, de drogmans, de domestiques de place, d’employés du chemin de fer, d’invités et de voyageurs indigènes, dont les groupes, à chaque minute, étaient dérangés par des fellahs, portant sur leur dos des malles et des paquets énormes que retenait une cordelette nouée autour de leur front, ou par le passage des chariots d’équipe. Chacun suivait son bagage avec une inquiétude bien naturelle à travers ce prodigieux entassement. Les indications en arabe inscrites sur les murs n’étaient d’aucun secours ; le dialogue se réduisait à la simple pantomime. Mais bientôt un officier du khédive, parlant toutes les langues, intervenait et se faisait gracieusement l’interprète de l’étranger français, anglais ou allemand ; toutes les difficultés se levaient comme par enchantement, et l’ordre s’établissait parmi cette confusion inévitable.

Nous ne cherchons nullement à jeter le ridicule sur nos compagnons de voyage, nous-même nous avons dû prêter le flanc à la raillerie plus que personne, on ne se voit pas, et la paille de notre œil devient poutre dans l’œil du voisin. Mais il est difficile d’imaginer des costumes plus bouffonnement excentriques que ceux de la plupart des invités. Il y avait là pour un caricaturiste d’excellents motifs de charge. Certes, il ne faut pas se jouer d’un climat nouveau, et la plus vulgaire prudence recommande quelques précautions hygiéniques ; mais vraiment, on se dépêchait trop de les prendre. Beaucoup s’étaient équipés pour cette petite course de quatre heures en chemin de fer comme pour un voyage sur le haut Nil, au delà des cataractes, et cependant la température ne dépassait pas celle de Marseille ou d’Alger à la même époque. Les coiffures surtout, destinées à préserver de l’insolation, étaient particulièrement bizarres. Les plus ordinaires étaient des sortes de casques à double fond, en toile blanche ouatée et piquée, avec un quartier se rabattant sur la nuque comme les mailles des anciens casques sarrasins, une visière en abat-jour doublée de vert, et de chaque côté de la tête deux petits trous pour la circulation de l’air. Comme si tout cela ne suffisait pas, un voile bleu, pareil à celui que portent les sportsmen aux courses d’Ascot ou de Chantilly, s’enroulait en turban autour de ce casque prêt à se déployer à l’occasion pour préserver du hâle des visages barbus qui ne semblaient pas avoir besoin de toutes ces délicatesses. Nous ne parlerons pas des casquettes en toile écrue avec appendices préservant les joues et le col, cela est trop simple ; mais une coiffure indienne, arrangée au goût anglais, mérite une description spéciale. Figurez-vous un disque d’étoffe blanche, posé comme un couvercle au-dessus d’une calotte avec bajoues et garde-nuque. Les gentlemen qui s’étaient affublés de cette confortable invention semblaient avoir sur la tête une ombrelle dont le manche eût été enfoncé dans leur crâne. Ceux-ci, d’un meilleur sentiment pittoresque, avaient adopté la couffieh syrienne, rayée de jaune, de rouge, de bleu et de violet, cerclée autour du front d’une cordelette de passementerie, et dont les pans terminés par de longs effilés, flottent négligemment sur le dos. Ceux-là, moins amateurs de couleur locale, portaient le feutre mou, creusé à son sommet d’un pli semblable à l’échancrure d’une montagne à deux pointes. D’autres avaient le panama à larges bords doublés de taffetas vert ; quelques-uns, le fez du Nizam, de couleur amarante à longue houppe de soie ; seul, un vieux savant de l’humeur la plus aimable, dont le nom est une des gloires de la chimie, avait conservé le chapeau européen, en tuyau de poêle, l’habit noir, la cravate blanche, les souliers à nœuds barbotants, disant qu’il était si habitué à ce costume, que, vêtu autrement, il se croirait nu, et ce ne fut pas celui qui supporta le moins gaillardement les fatigues du voyage.

On pouvait remarquer aussi un grand déploiement de lunettes bleues, de lunettes à verres enfumés comme pour les éclipses, de lunettes avec des œillères se prolongeant sur les branches et s’adaptant aux tempes, et derrière lesquelles il était parfois difficile de discerner un regard ami. Les ophthalmies sont fréquentes et dangereuses en Égypte, et les histoires qu’on en raconte n’ont rien de rassurant. Si l’on s’endort fenêtre ouverte, l’on court risque de se réveiller avec un œil vidé ; c’est du moins ce que nous disait l’auteur de Pierrot-Caïn, qui est aussi un brillant officier de marine : « Il est vrai que cela ne fait aucun mal, » ajoutait-il en manière de consolation, avec ce sang-froid humoristique qui le caractérise.

Les cabans de flanelle blanche, avec ou sans capuchon, plus ou moins soutachés de couleurs vives, les paletots de toile, les vestons de basin ou de piqué beurre frais, les gilets de nankin ou de soie écrue à boutons fantaisistes, sanglés par de larges ceintures de laine rouge, les pantalons bouffants entrés dans des guêtres de cuir montant jusqu’au genou, les nécessaires de maroquin, les étuis de jumelles passés en sautoir, les fusils de chasse enveloppés dans leur fourreau et jetés sur l’épaule, les mac-ferlane, les couvertures bariolées, et tout ce monde gênant d’ustensiles que le voyageur croit devoir emporter avec lui, donnaient un aspect assez étrange à cette foule européenne s’agitant sur le quai du débarcadère et montant à l’assaut des waggons, au milieu de ces hommes à turban, vêtus de robes comme des femmes.

Les wagons, de fabrique anglaise, ont la caisse peinte en blanc et portent l’indication des classes en anglais et en arabe. Ceux de première classe sont divisés en larges fauteuils garnis de cuir vert ; ils ont deux plafonds, séparés par un assez grand intervalle pour que la chaleur du soleil ne fasse pas de l’intérieur des caisses de véritables fours de campagne où l’on cuirait tout vif ; une ouverture ronde forme, au centre, une sorte de puits à air et favorise la ventilation ; des jours sont ménagés aussi sur les côtés pour profiter de la moindre brise ; des persiennes remplacent les stores aux fenêtres des portières. Les caisses de seconde classe communiquent entre elles comme celles des chemins de fer de Suisse ; mais, détail caractéristique, au bout du compartiment, une chambre qui se ferme est réservée pour les femmes, comme une sorte de harem. Nous avions déjà remarqué cette concession à la jalousie musulmane sur les bateaux à vapeur qui desservent les Échelles du Levant. Les troisièmes, simples tombereaux recouverts d’un toit, étaient littéralement bourrées de fellahs, de barabras, de nègres et de gens du peuple de toute nuance et de tout âge. Ce sont eux, dit-on, qui forment le fond des recettes du chemin de fer ; ils apprécient fort cette manière de voyager, quoique dans les places qui leur sont réservées on n’ait pas fait de grands sacrifices au confortable.

Tout le monde avait fini par se caser plus ou moins bien. Il ne se démenait plus sur la berge aucun retardataire éperdu. Le sifflet de la machine fit entendre ce cri strident auquel l’oreille ne peut s’habituer, et qui surprend toujours, bien qu’on s’y attende, et la locomotive, lançant un jet de vapeur, s’ébranla, entraînant le convoi, qui passait sur les plaques des trucs avec un formidable bruit de ferraille.

On était parti, et bientôt allait s’accomplir un rêve caressé par nous depuis longtemps. Nous avions tout jeune désiré voir Venise, Grenade, Tolède, Constantinople, Moscou, Athènes et le Caire. Il ne nous manquait plus que la ville des califes, et quatre heures à peine nous en séparaient.