L’Orbe pâle/Mon pêcheur m’a dit

Eugène Figuière et Cie (p. 92-93).


MON pêcheur m’a dit : »… à cette condition vous vivrez cent cinquante ans. »

J’ai oublié la fantastique et légendaire condition pour la promesse effroyable.

Et j’ai crié :

— Je ne voudrais pas vivre cent cinquante ans.

Tout grave d’étonnement, il m’a regardée.

Et j’ai crié :

— S’il y avait cent ans de jeunesse, j’accepterais, mais autrement, quelle horreur !

Alors, il n’a plus même été étonné. Comme il ne comprenait pas il a cessé de m’écouter. Que représente en effet la jeunesse pour ces êtres, dont la vie est toujours semblable puisqu’elle ne connaît pas l’intensité qui épuise en vous laissant plus avide ? Pour eux, une seule chose importe : Vivre, c’est-à-dire traîner interminablement un corps aux gestes automatiques, de toutes petites peines et de tout petits plaisirs, vivre une vie que moi je nommerai : une mort animée.

Ils n’attendent rien, eux, ils aspirent seulement à se répéter et à continuer.

Ils n’attendent rien, eux !