L’Orbe pâle/La galère de Cléopâtre partant à la conquête d’Antoine

Eugène Figuière et Cie (p. 90-91).


LA galère de Cléopâtre partant à la conquête d’Antoine, était incrustée de lames d’or ; aux mâts flottaient des voiles de pourpre brodés de fleurs, les rames étaient garnies d’argent fin, la proue ornée de sculptures et de guirlandes.

Sur le pont, s’élevait une somptueuse tente couverte de drap d’or, autour de laquelle étaient disposés de nombreux vases, exhalant des parfums qui embaumaient les rives du Cydnus. Sous cette tente, Cléopâtre était étendue, nue.

J’ai pour abriter mon rêve, une galère plus somptueuse que celle de Cléopâtre. Toutes les pierreries de l’Univers y sont incrustées où se jouent les lumières du ciel et de la mer. Aux mâts flottent des oriflammes, or et flammes, qui se confondent avec le soleil, de sorte que mon navire n’a pas de limite et qu’il s’élève jusque dans la nue. Il n’a pas de rames, il a des ailes qui le portent plus vite, où le veut mon désir.

La figure de proue, c’est la mienne qu’auréole mon orgueil. Et ma tente est faite de vent et de peaux de lions. Mes parfums mêlent les aromes de l’Occident à ceux de l’Orient.

La galère où j’abrite mon rêve est plus somptueuse que celle de Cléopâtre.

Et elle n’a rien coûté à mon orgueil.

Mais parce que j’ai méprisé ce qui valut à Cléopâtre sa gloire : la ruse de femme, je n’ai pas pour abriter mon corps jeune et aussi triomphal que le sien, sa galère d’or, de pourpre et d’argent.

Pour abriter mon rêve, j’ai une galère plus somptueuse que celle de Cléopâtre, mais pour abriter mon corps je n’ai pas même quatre planches et une voile pour voguer sur la mer, seule et jusqu’à la mort.

Mon orgueil attend.