L’Ombre des roses/Le poème du Silence


LE POÊME DU SILENCE


Puisque je t’ai perdu ô silence ! c’est toi que je chanterai d’abord.

Puisque je t’ai aimé plus que Tout, je te chanterai avec une voix, toi qui es sans voix.

Puisque je t’ai trahi, toi plus adoré que l’Amour, je te trahirai encore et je te glorifierai.

Ô Silence, j’ai tenu serré entre mes lèvres, ta fierté pure, et j’étais un enfant. — Ô silence, un enfant seul a la grandeur de se taire.

J’aimais, et je ne le disais pas — je souffrais et je ne le disais pas — je pensais et mes pensées se mouraient de la terreur des paroles…

Maintenant, silence, j’ai péché — j’ai péché contre toi et toi tu me repousses. — Je ne puis plus être avec toi et seul. —

Ma punition la voici : rien n’existe plus pour moi. que ce qui est révélé ; mais ce qui est révélé est imparfaitement pur, ce qui est révélé n’est pas absolu. — Ainsi tout est vain pour mon cœur.

Autrefois l’Absolu était : D’autres parlaient autour de moi. — J’écoutais, enfant que j’étais, et je possédais mes pensées — et je les possédais dans une solitude, avec ivresse et trouble, sans désirer comprendre ni que rien me comprît.

Alors je ne priais pas Dieu et je portais Dieu dans mon cœur.

Maintenant, j’ai voulu tout dire — j’ai balbutié, j’ai osé… Et ce faisant, je n’ai rien dit, mais le divin silence est mort.

Il est mort et je chante… comme une femme qui a vu enterrer son fils et qui rentre dans sa maison, voilà comme je suis. Elle vient et cherche. Elle ne peut pas ne plus entendre sa voix, et elle écoute.

Elle ne peut pas l’entendre — et elle se couvre les oreilles de ses mains, parce qu’il crie…

Ainsi je m’en vais avec mes amours, avec mon amour — et chacun sait dans la maison que mon fils chéri, le Silence, est mort — et je ne pourrai jamais le ravoir — et chaque fois que je l’appelle, je le tue…

Et maintenant je chante… j’ai chanté… qu’ai-je fait !…