L’Ombre des roses/Le Pauvre Blaise


LE PAUVRE BLAISE.


« J’aime la mer comme mon âme. »
Henri Heine.


LE PAUVRE BLAISE.



Le Pauvre Blaise va par la plaine
Avec son cœur en peine…
Il n’aime plus rien que le ciel et l’eau ;
C’est pourquoi il va vers la mer et les bateaux.
Le long de la douce triste Mer du Nord
Il cherche une petite ville qui dort.
Mais elles ont reculé toutes devers la dune,
Roulées dans leur mante de sable — ou brune
Et blanche comme le limon et l’écume.
Bah ! tant qu’il y a de l’eau et du ciel
Le pauvre Blaise ne sera pas découragé :
Ce sont les hommes seulement qui lui font peur.
Il suivra, quand il quittera la mer de sel,
Les beaux canaux aux écluses peinturlurées
Et, vite, arrivera jusqu’à la petite ville, et dans son cœur.

Alors, ce sera comme dans les Fioretti,
Et les oiseaux, les hirondelles surtout,
Viendront écouter en taisant leurs cris
Les discours de ce pauvre petit fou
Sur l’amour, et sur ce que Dieu est pour tous.

Mais quand il aura fini de dire : Dieu,
Il dira la mer par où il est venu, puis son âme

Bleue et or, et comme une impatiente petite flamme,
Puis les étoiles qui l’ont guidé de leur mieux…
Et ce sera presque toujours la même chose
Même s’il dit qu’il est heureux,
Après avoir dit qu’il est très pauvre,
Car le vieux cœur des petites villes sait bien
Qu’il n’y a rien de nouveau depuis que la mer est mer
Et que le sable monte sur elles, grain à grain.

Puis il dira qu’il ne dit rien à personne
De sa propre mélancolie, car le silence
Est ce qu’il a gardé de plus précieux
Après avoir souffert beaucoup et peu.

Il est fleuri de bonne volonté ;
Il est venu en marchant sur la mer.
Cela se peut ; elle est pleine de sel amer ;
Et lui, si droit, si plein de foi et si léger !…

Il est venu sans instrument de musique,
Viole ni luth, double ou simple flûte.
S’il chante, sa respiration sera le rythme
Et sa chanson ira sans air, dans l’air, comme un parfum…
S’il chante, peut-être on n’entendra rien !

Il est venu après qu’il avait un jour tant plu
Sur la tourterelle choyée de son âme,
Et maintenant, il ne retournera plus
Là d’où il s’est enfui serrant sa petite âme…

Mais ici, que fera-t-il, sinon rire,
Sans fin, doucement, avec l’air et l’eau

Et chaque jour, petit à petit, s’instruire
De ce qu’on voit venir de la mer par les canaux :
Le silence, et, quelquefois, un bateau.

Sur les bateaux, il y a le mât penché,
Et Blaise connaît la couleur des voiles :
Les blanches en triangle, les rouges en carré.
Et leur nombre qui est celui des étoiles
Quand on regarde attentivement la mer
Et qu’on sait aussi regarder le ciel,
— Que ce soit au couchant, ou bien à l’orient,
Chaque barque abandonne fidèlement le ciel,
Pour glisser à l’horizon fin sur la mer…
Et l’apparence est comme s’il naissait un oiseau
Du baiser que se donnent très loin de Blaise, l’air et l’eau.
Cela lui gonfle toujours un peu le cœur.
Bien qu’il n’ait rien à faire le pauvre petit fou,
Des baisers infinis, et qu’il soit assis au bout
D’une rue claire et vide dans une ville morte,
Où il vit, sans songer même à frapper aux portes.

Ah ! ce n’est pas moi qui dirai ce qu’il a vu
Quand fatigué de voir, il fermait ses deux yeux
Et s’en allait, avec ses mains dessus,
Les soirs où il attendait quelqu’un des cieux !
Et quand la grande mer chantait comme un coquillage,
Tant il était loin d’elle, ce qu’il a entendu,
Ce n’est pas moi qui le sait, ni même un plus sage,
Car qui suivrait sa petite âme en peine et en voyage ?

Maintenant, maintenant, le long de la Mer du Nord,
De la douce, triste, fanée Mer du Nord,

Qui viendra quand le Pauvre Blaise sera mort,
Pour noyer dans la mer son petit corps…
Et ainsi le vêtir d’une seule caresse,
Et ainsi, l’accompagner jusqu’au seuil
Où les anges chantent en chœur : Dieu le veuille !
Et où commence le tapis bleu du Paradis
Sur lequel on marche en joie et liesse
Avec des pieds de tout guéris…
Des vagues, jusqu’aux cieux qui portent
Les couleurs de la Vierge, quand il fait clair,
La petite ombre ira par les chemins de l’air
Jusqu’aux lèvres de l’horizon et, de la sorte,
À cause du baiser du ciel et de la mer,
Elle s’extasiera d’être si facilement morte.

Et pour Blaise on n’écrira pas « Ci gît » sur la terre.


Décoration florale à 4 branches.
Closset - L’Ombre des roses, 1901 (page 9 crop)