L’Ombre des jours/Mon cœur je n’ai peur que de vous

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 141-144).


MON CŒUR JE N’AI PEUR QUE DE VOUS


Mon cœur je n’ai peur que de vous,
Tout le reste est moins effroyable,
La Mort, ses flèches et son sable
Font moins mal que le cœur jaloux.

Le vaisseau qui roule et qui sombre
En respirant l’étouffement,
Descend d’un moins lourd mouvement
Que l’espoir au creux du cœur sombre.


Les secrets que gardaient le temps,
L’âpre fortune des journées,
Laissent l’âme moins étonnée
Que les flots de l’amour montant.

L’été à qui ses parfums pèsent,
Les longs silences de l’hiver,
Moins que le cœur près de la chair
Donnent d’étourdissants malaises.

Les bois odorants et mouillés
Où montent dans l’ombre qui plane.
Les belles fleurs de valériane
Et les hauts iris quenouillés,

Offrent moins de verte nature
Que ce que le cœur voit en soi
D’herbes, de sources et de bois
Et de sylvestres aventures.


La paix, l’orgueil, la vanité,
Le soleil et la lune obscure
Ne rempliraient pas la blessure
Du cœur où l’amour a été.

— Ô cœur constant, ô cœur fugace,
Qui rêves d’abris et d’espace
De cimes et de vallons verts,
Voulant, toujours les mêmes choses,
Mais les désirant au travers
De tout le vivant univers,
Prends ces roses, toutes ces roses…