L’Ombre des jours/Les Campagnes

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 137-138).


LES CAMPAGNES


Des champs de blé trop lourd, des champs de sainfoin rose,
La betterave aussi et les choux vifs sont là,
Le bourg, le cimetière où le corps se repose,
Et la colline bleue au bout de tout cela…

— Ah ! les êtres humains dans l’air et la brûlure,
Battus par l’âpre pluie, et du vent essuyés,
Qui dans la terre sèche ou sa molle mouillure
Vont chaque jour, traînant leurs âmes et leurs pieds.


Ô donneuse de pain, de vin, de fruits, de paille,
Terre où l’homme est courbé des mains et des genoux,
Cœur des plaines, ouvert d’une innombrable entaille,
Lamentable infini des champs verts, des champs roux.

Route longue qui suit des fossés et des ronces,
Petite église avec quelques maisons autour,
Chemins lourds et creusés où la charrette enfonce,
Cloche qui sonne un peu pour la mort ou l’amour.

Ô pauvreté profonde et chaste des campagnes,
Fatigue des corps las qui se couchent le soir.
Silence de la vie aride qu’accompagnent
Le sifflement des faux et le bruit des pressoirs…

— Mon âme, voyez-les, ces marins de la terre,
Dans la houle des blés, soulevés ce matin.
Et que votre bonté aille vers ce mystère,
Vous qui ne connaissez des champs que les jardins…