L’Ombre des jours/L’Abondance

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 67-69).


L’ABONDANCE


L’automne roux et las s’effeuille sur l’étang,
Voici la chute prompte et sèche de l’année,
On entend dans les bois l’âpre course du Temps
Sonner comme un sabot de bête éperonnée.

— Ah ne sois pas si triste et ne crains point l’hiver,
Tu ne sentiras pas sa froideur inactive ;
Les rosiers du jardin, la viorne, le buis vert
Refleuriront pour toi dans mon âme inventive.


Car pendant tout le mois, alors que dans les champs
Tu marchais respirant la vivace aventure,
J’allais d’un air plus grave et plus lent, et penchant
Mon désir vers la terre âcre, savante et mûre.

Je sais tous les secrets des plantes et des eaux.
La feuille dentelée et le bruit de la source
Sont entrés dans mon cœur aux merveilleux réseaux,
Mon cœur est plein de joie et de bonnes ressources.

Je te dirai, tandis que les pommes de pin
Grésilleront au creux de la moelleuse cendre,
Comme le jour est beau, pendant l’été divin,
Quand la force amoureuse au sillon va descendre ;

La fraîcheur tournoyante et claire du matin
Glissera comme une eau de ma voix sur tes lèvres,
Au souvenir de l’herbe et des touffes de thym
Qu’à l’aube remuaient la rainette et les lièvres.


Je te dirai le cri des cigales au soir
Sur le silence ardent et triste de la plaine,
Le repos des vergers, l’odeur des arrosoirs,
Les troupeaux, leurs plaisirs, leur sagesse et leur laine.

Je te dirai l’approche auguste de la nuit
Sur la campagne calme et les tiges bercées,
La forme des reflets sur la route qui suit
La petite rivière onduleuse et pressée.

— Alors tu reverras les jours qui ont été
Rosir dans la douceur de ma parole habile,
Et mon regard sera sur toi comme un été
Plein de feuillage vert et de branches mobiles…