L’Italie d’hier/San Miniato

Charpentier & Fasquelle (p. 82-87).

San miniato

Derrière soi, les toits bruns de Florence, sur lesquels dominent la tour carrée du Palais Ducal, et la coupole du Dôme, avec sur la gauche, un poudroiement dans lequel se voit un pâle soleil sur les eaux jaunes de l’Arno, se tordant comme un serpent boueux vers la villa Demidoff, aux serres miroitantes.

Devant soi, une montée en ligne droite, entre des cyprès, à travers une campagne bossuée, maigrement recouverte de la verdure grêle et grise des oliviers. Au delà, des rampes de terrains, qui ont bu le sang de l’armée de Catilina, et qui ont la couleur de bête fauve, que Salvator Rosa étale sous la mêlée de ses batailles. Tout au fond, des montagnes noires, amoncelées les unes contre les autres, détachant durement la tourmente de leurs lignes sur l’argent d’un ciel, où courent de longs nuages déchiquetés, ayant l’air d’une cavalcade fantastique, aux sabots chevelus de chevaux aériens.

Un paysage sévère, morose, austère. Et çà et là, le blanc d'une villa éclatant, comme le blanc d’une carrière de marbre qu’on exploite, à côté d’une tache sombre, qui est un petit bois de chênes verts, abritant le frigus opacum de Virgile.

Les villas, ces blanches demeures, dans la noire verdure du leccio (chêne vert), font la riante ceinture de Florence, et presque toutes ont une histoire. C’est la villa Careggi, élevée par Cosme le Vieux, et où fut ressuscitée la philosophie platonicienne, par Marcille Ficin, installé là, par le vieux duc, en souvenir de l’Académie de Platon, établie dans les jardins suburbains d’Athènes, pour assurer la tranquillité et le travail de son philosophe, tout entouré, en ce palais campagnard, de manuscrits grecs achetés à grands frais.

Et cette royale protection, le grand Cosme mort, était continuée à Ficin par Laurent le Magnifique, qui appelait autour de lui Cristoforo Landini, Pico della Mirandola, Giovanni Cavalcanti, Angelo Poliziano, le prince des lettres grecques et latines : académie commentant Platon, Jamblique, Proclus, dans les jardins de la Vue de San Miniato, à Florence villa, et les petits sentiers des collines ; académie, dont les membres étaient au nombre des Muses, et où dans un convito platonico, le rhétoricien Bernardo Nutti, après la desserte de la table, ouvrait le Convito d'Amore de Platon, et l’expliquait.

Et ce sont encore :

La villa Salviati, achetée par Mario et la Grisi, et où l’on croit qu’ils ne sont jamais venus. La villa Pazzi, une villa ressemblant à une forteresse, et où a eu lieu la fameuse conspiration. La villa Palmieri, le long du torrent Mugnone, où, pendant la peste de Florence, Boccace réfugié dans une compagnie de jeunes gens et de jolies femmes, écrivait le Décameron.

La villa, ou plutôt un ensemble de maisons appelé « la Cure », également située sur le bord de la Mugnone, où le Dante se retirait pendant ses souffrances.

La villa qu’on désignait sous le nom de Poggio imperiale, où sont les deux curieuses statues de l’Arno et de l’Arbia tenant un vase, d’où tombe l’eau qui alimente les viviers.

Enfin la villa Brunelleschi, aujourd’hui la villa della Petraja, qui peut être considérée comme le type de la villa florentine, en son aspect un peu rustique.

Une grande maison aux volets verts, aux toits de tuile, que surmonte une grosse tour carrée, aux serres faites de paillassons, protégeant des camélias en arbres, tout fleuris de couleurs tendres, au milieu d’un bois de chênes verts, où pendent des lianes centenaires et des sapins dressant leurs pyramides vertes, que le soleil dore des tons de la vieille mousse. Une seule chose là-dedans sentant l’habitation souveraine. Une fontaine du Tribolo, le fontainier artiste, qui a fait presque toutes les fontaines des environs : une fontaine de marbre blanc, veiné de rose, où des amours, pliant sous des festons de fleurs, courent autour de la vasque, et où tout en haut des sveltesses coquettes du monument, élancé comme un mat enrubanné de sculptures, une Yénus debout, fait pleuvoir dans le bassin les perles tombantes de ses cheveux de bronze, qu’elle tord.

Et ces villas, ces frais endroits de repos et de plaisir, ont pour ainsi dire une paroisse attitrée, la petite église de Saint-Dominique, où, après une prière, les élégants et les élégantes vont, de villa en villa, danser et chanter.



UFFIZI

Filippo Lippi. — Dans Filippo Lippi, ce peintre à la vie pleine d’aventures d’amour, un sentiment d’élégance qui va jusqu’au maniérisme, à la mignardise du