L’Italie d’hier/L’Église des Frari

Charpentier & Fasquelle (p. 29-34).
L'ÉGLISE DES FRARI.

Des nuques, des nuques, des nuques de Vénitiennes, surmontées de leurs noirs chignons nattés, traversés d’épingles d’argent, et sous lesquels éclatent de petits châles rouges comme des coquelicots. Des colonnes entourées de laine rouge, et sur lesquelles courent des festons, et dans le fond du chœur, le tombeau des Pesaro tendu de rouge, tout flamboyant du soleil du Midi, et de la flamme des candélabres aux bobèches de buis, dans cette sorte d’apothéose sang de bœuf. Et le service divin, au son d’une musique toute théâtrale, au son de valses et de polkas, à la mesure, comme frappée avec une batte d’Arlequin.


BIBLIOTHÈQUE DE SAINT-MARC.

5 janvier 1785. — Le libraire Panckoucke n’a pu suffire aux demandes qui lui étaient faites du livre de

M. de Necker ; à peine six, quatre, et même deux exemplaires étaient brochés, qu’on les enlevait de force, pour ainsi dire, de son magasin. Il est constant que, s’il avait eu vingt mille exemplaires, ils auraient été tous vendus la première semaine.

6 mars. — Le superbe hôtel Mazarin, situé quai des Théatins, a été aussi vendu la semaine dernière à M. le marquis de Juigné, frère de notre archevêque, à raison de 480 000 livres.

7 avril. — La demoiselle Lavaux, jeune actrice du Théâtre-Français, au moment où elle allait se rendre chez Mme la comtesse de Montesson, le feu a pris à son tablier de linon, et elle a eu le sein et une partie du corps calcinés.

10 avril. — On disait que Dubarry, le roué, avait vendu et livré sa femme au Contrôleur général (M. de Galonné).

17 avril. — Sedaine a adressé une lettre très énergique à l’Académie, où il expose ses droits, en sorte que l’élection de Morellet est non certaine : Watelet étant très malade, il lui succédera. Il est très certain que le baron de Breteuil a intimé à Dubarry, le roué, de quitter Paris. Ce ministre, en le mandant chez lui, lui a signifié en outre, que le Roi était instruit qu’il intriguait pour faire casser la séparation du mariage de la comtesse Dubarry, sa belle-sœur, avec le comte Guillaume son frère, que S. M. lui ordonnait de se tenir tranquille, sans quoi il serait enfermé pour le reste de ses jours. Notre roué se dispose en conséquence à partir avec sa jolie femme pour l'lalie. Les ennemis de M. de Galonné ajoutent que le ministre a envoyé 2000 louis à cette dame, pour les frais de voyage.

8 mai 1785. — Le sieur Granger, tenant le Petit Dunkerque, fameux magasin de bijouterie et de quincaillerie, au bas du Pont-Neuf, vient de cesser ses payements, au grand étonnement de toute la capitale, et demande à ses créanciers six ans pour les payer, à quoi ils souscriront probablement.

13 mai. — Le duc de Choiseul qui vient de mourir, a nommé Mme la duchesse de Grammont sa légataire universelle, M. le duc du Ghâtelet son exécuteur testamentaire. Il a légué sa toison d’or, garnie de diamants, au maréchal de Stainville, son frère, dans l’espérance sans doute, que le Roi d’Espagne le décorerait de cet ordre. Il a fait beaucoup de legs particuliers à des gens.

Les amis du duc de Choiseul se plaisent à répandre le bruit, qu’au moment de sa maladie, il était à la veille d’être fait premier ministre.

5 juin. — La Saint-Huberty est partie pour Lyon et Marseille, où elle compte exercer à raison de 500 livres par représentation. L’Opéra en souffrira.

16 juin. — Un amant maltraité par Carline de la Comédie-Italienne (la carline étant une fleur d’un bel incarnat à tête épineuse), a fait les vers suivants, qu’on chante sur l’air de Joconde :

La carline, jusqu’à présent,
Passait pour vermifuge.
On la donnait très prudemment
Comme un bon fébrifuge.
Mais aujourd’hui qu’on ne suit plus
L’ancienne médecine,
On a trouvé d’autres vertus.
Messieurs, à Carline.

14 juillet. — La demoiselle Durancy, actrice de la Comédie de Nancy, dans une partie de chasse faite avec des officiers au régiment du Roi, ayant dit que leur chasse aurait été meilleure s’ils avaient fait une battue, et pris pour cela deux ou trois cents gendarmes, elle fut sifflée au théâtre à outrance, et de là, chez elle, où on l’accabla d’injures, on lui coupa les cheveux, et on lui fît mille indécences.

11 août. — Le Barbier de Séville sera joué au Petit-Trianon. Le duc de Guiche y remplira le rôle de Bartolo,et le bailli de Crussol celui de Basile.

25 août. — Pigalle est mort subitement, dimanche dernier, n’ayant été malade que douze heures d’une colique.

6 octobre. — Les critiques multipliées et pour la plupart mal faites, qui ont été imprimées sur Exposition de cette année, tant dans les feuilles périodiques que dans les brochures particulières, ont déterminé M. le comte d’Angivillers, Directeur et Ordonnateur général de cette partie, à demander que, dorénavant, il ne fût imprimé aucune critique, sans avoir été préalablement censurée et approuvée par lui. Le progrès des arts, qui exige la liberté, s’opposera sans doute à cette entrave.

15 octobre. — La demoiselle Guimard, blessée, dimanche dernier, au genou par une chute dans l’escalier, ne sera point en état de faire briller son talent, pendant les voyages de la cour.

30 octobre. — Début de Mlle Candeille, reçue à l’essai, c’est-à-dire aux appointements de 3000 francs. Ses ennemis, craignant que sa jeunesse et sa jolie figure lui procurent des protecteurs puissants, qui forceront la Comédie-Française à la recevoir à Pâques, à quart ou à demi-quart, se sont rendus chez le maréchal Duras, pour faire des représentations. La Dlle Vanhove, également reçue, mais pour plaire à Mlle Contat, qui destine sa sœur à jouer les jeunes amoureuses. Elle avait été forcée de cesser ses débuts dans cet emploi, lorsqu’elle reçut ordre de jouer devant la cour, à Fontainebleau, dans l'École des Mères, le rôle qui lui a attiré les plus grands applaudissements. Contat ayant appris cet ordre, et que c’était la reine qui avait demandé la Dlle Vanhove, s’écria, dans une grande agitation : Cette Reine a bien du crédit[1]

Ces nouvelles à la main manuscrites portent en tête : « Nouvelles de l'an 1785, par M. Barth. L’adresse de M. Barth est au café du Caveau, au Palais Royal, à Paris » — et à la fin du volume : « La feuille a été envoyée à Son Excellence, Monsieur le Chevalier Delfino, ambassadeur de Venise, depuis le ler mars 1785 jusqu'aujourd'hui 26 février 1786, qui fait douze mois à48 livres par mois… 576.


  1. Je signale ce manuscrit, renfermant de petits renseignements inconnus, à un publicateur du dix-huitième siècle inédit.